We're okay.

Agatha & Nate (Ecole de Redwood Hills | Juin 2019)

Les journées se suivaient et ne se ressemblaient pas. Aujourd’hui, à l’université, Nate avait passé un bon bout de temps avec quelques collègues triés sur le volet pour préparer un gros projet de l’année qui viendrait. Tout un programme de recherches pour publication à venir. Bref, une journée bien chargée avec en prime la soutenance d’une thèse qu’il  suivait depuis trois ans. Autant dire que c’était un miracle qu’il ait fini à temps pour rentrer à Redwood Hills et aller chercher sa fille dans le complexe scolaire du petit village. Sans attendre, il avait donc pris le chemin pour retrouver Joyce qui sortirait d’une minute à l’autre. Ouf. En partant à cette heure-là, il évitait les bouchons de fin d’après-midi et arriva rapidement à destination. Il dut cependant se garer un peu plus loin que d’habitude, les autres parents ayant été plus rapides que lui sur ce coup-là. Tant pis. Il pouvait bien faire quelques pas pour arriver au niveau des grilles et de l’entrée. Un coup d’oeil à sa montre. Autre miracle de jour : il était arrivé à l’heure, certes, mais légèrement en avance ! La fin de la journée des enfants n’avait pas encore sonné, il restait même quelques minutes avant que toutes les têtes blondes se mettent à proliférer autour d’eux. Faisant volte face pour se trouver un coin tranquille à attendre, sans avoir de préférence à faire la conversation avec ces parents bien trop parfaits, le brun aperçut une silhouette au loin qui lui était familière. Une femme, une mère, qui ne semblait pas vouloir se mélanger aux autres et encore moins se faire remarquer. Etait-ce vraiment une bonne idée d’aller la voir ? Non. Est-ce qu’il allait le faire ? Oui.

« Agatha ? » Qu’il lâcha alors qu’il s’approchait d’elle, pour l’interpeller. Ou la faire fuir, peut-être. Il n’espérait pas, malgré leur histoire qui était relativement particulière. Disons que… leur première rencontre avait été certes fort agréable, mais avait rendu la deuxième fort désagréable. C’était pas de chance, quand même, que l’une de ses rares amantes pendant sa séparation avec Casey se trouve être sa nouvelle amie. Bref. Arborant un sourire bienveillant, il reprit maintenant à ses côtés. « Tu vas bien ? » Politesse sans doute maladroite. Peut-être qu’elle allait bien avant qu’il ne débarque et la mette mal à l’aise. A vrai dire, lui aussi se sentait toujours un peu gêné de cette rencontre embarrassante chez lui. Et… mince, ce n’était peut-être pas une bonne idée d’aller lui parler. Qu’en dirait Casey ? Oh, elle n’était pas là, et ce qu’elle ne savait pas ne pouvait l’inquiéter. Non, mauvaise stratégie. Il faudrait lui dire dès qu’ils se verraient à la maison. De toute façon, que pourrait-il bien se passer aux yeux de tous ? « Tu viens voir ta fille ? » Allez, ce serait une bonne idée de partir sur un sujet différent que les souvenirs qu’ils avaient en commun l’un de l’autre.

Voir Agatha à la sortie de l’école était bien la dernière chose qu’il s’était imaginé. Oh, il connaissait une partie de son histoire. Alors il savait pourquoi elle se trouvait là, à attendre la sortie des enfants. Et d’une petite fille en particulier. Mais quelle idée de s’approcher d’elle pour échanger quelques mots ? Nate avait-il déjà oublié le cataclysme provoqué par leur dernière rencontre ? Bon, c’était décidé, il en parlerait à Casey à la minute où il la verrait pour ne pas s’attirer les foudres de sa compagne. Garder une telle rencontre secrète ne pourrait qu’être mauvais signe. Et pourquoi s’attirer des problèmes pour une simple politesse ? D’un air assuré, il avait donc rejoint la jeune femme pour la saluer et demander de ses nouvelles. Une façon déguisée de savoir si elle allait bien depuis la dernière fois, si elle n’avait pas été trop chamboulée par la découverte. Aussi bien que possible. Sourire un peu gêné. Qu’est-ce qu’il attendait d’autre ? Forcément que tout ça était étrange. Mais heureusement pour tout le monde, tout allait bien pour Casey et Nate aujourd’hui. « Ça va très bien. » Qu’il ponctua d’un sourire pour la rassurer. Et se rassurer aussi. Bon, ça n’avait pas été facile sur le moment mais les choses s’étaient améliorées, comme toujours avec eux. Pas de désastre pour leur couple. Ne restait plus qu’une amitié à restaurer.

Ne sachant trop qu’ajouter pour ne pas rendre la situation plus gênante, Nate s’était risqué à parler à la jeune femme de sa fille qu’elle venait voir. Enfin, qu’elle venait chercher. Ce fut donc avec une sorte de soulagement pour elle qu’il apprit que tout semblait se passer au mieux avec le père de la petite. Avoir la chance d’aller la chercher régulièrement ? Tout semblait s’arranger pour elle. « Oh c’est une bonne nouvelle ça ! Tu peux la voir de temps en temps alors ? » Évidemment, Nate. Mais bon, il se demandait aussi si ces rencontres se résumaient à un court voyage en voiture ou si elle avait la chance de passer encore plus de temps avec sa fille. Dieu que c’était étrange de la voir dans une situation si proche de la sienne. Comme un miroir qui reflétait sa propre histoire des mois en arrière. « Si, sa mère habite à Redwood aussi alors c’est bien plus pratique pour nous. » En même temps, où irait-elle à l’école sinon ? À Burlington ? Clairement pas pratique. Et le côté petit village de Redwood Hills, bien que désagréable sur certains aspects, était un véritable atout pour l’éducation de Joyce. Nate en était persuadé. Puis il observa Agatha. Un peu les alentours. Et un silence un peu gênant s’installa. Pourquoi continuer à taire une évidence si criante ? Il fallait crever l’abcès s’ils voulaient pouvoir tourner la page de cette histoire et être au même endroit sans ressentir cette tension étrange. Comme une culpabilité latente doublée d’images qu’ils préféreraient sans nul doute tous les deux oublier pour le bien de chacun. Nate, en règle générale, n’avait aucun problème à vivre avec tout en conservant une amitié sans ambiguïté. Mais là, à cause de l’amitié qui la liait à Casey, c’était... « C’est un peu… bizarre, non ? » Surtout de le dire ainsi.

Sourire. Sacha ? Le Sacha dont Tom lui avait parlé peu avant ? Le même que Casey allait voir au refuge ? La vie dans cette petite ville pouvait être si étrange. Pas étonnant que Nate ait passé du temps avec une connaissance de Casey pendant leurs mois de séparation… Bref. Ce genre d’idée n’était pas le bienvenu dans cette conversation, même s’il faudrait que quelqu’un se lance pour crever l’abcès et mettre un terme à ce malaise qui s’était subitement installé entre eux. Et le plus vite possible, de préférence. Puis le brun se mit à évoquer Hesther quand le sujet de sa fille arriva. A la remarque d’Agatha, il se rendait compte de l’image particulière que son histoire pouvait donner. Cohabiter ainsi avec son ex, la mère de sa fille… Bon, d’accord, ils n’étaient pas voisins et encore moins colocataires, mais leur relation pouvait tout de même apparaître comme particulière. Surtout quand on en connaissait les détails, ce qui n’était pas le cas d’Agatha et bien heureusement. Progressivement, le sourire sur son visage s’effaçait. Une belle famille recomposée ? Non, ce n’était pas beau. Pas du tout. Pas avec Fynn qui s’incrustait dans l’arbre généalogique pour le rendre affreusement répugnant. Pas avec tous les secrets exposés qui rongeaient leur « famille » de l’intérieur sans qu’ils n’y puissent rien.

C’était sans doute dans ce silence que la gêne finit par le gagner. Bizarre ? Oh oui, ça l’était. Pour tout. Pour cette sensation de faire quelque chose de mal, comme elle le disait. Raison de plus pour raconter tout à Casey dès qu’il la reverrait. « Comme de vieux ‘amis’, oui. » Qu’il répondit, dans un bref rire aussi sincère que gêné. Des amis. Intéressante manière de résumer leur ‘relation’. « C’est bon, il n’y a pas de problème. » Bon, il y en avait à eu l’époque mais tout s’était arrangé, comme toujours. Dans un sourire cette fois-ci plus rassurant, il continua sa réponse. « Et il n’y a pas de raison qu’il y en ait. » Qu’il disait alors que lui aussi ressentait cette sorte de gêne à être à ses côtés. Enfin, pas tant que ça. C’était juste un léger sentiment de faire une petite bêtise de gamin, rien de grave mais quelque chose qui lui faisait craindre une réaction disproportionnée. Et ce n’était pas celle de sa mère, parce qu’il n’était plus ce petit garçon aux bêtises insignifiantes. « Je lui dirai qu’on s’est vus, comme ça pas de surprise... Et je garderai pour moi les circonstances, t’inquiète pas. » Pas d’école, pas de discussion sur sa fille. Juste une rencontre fortuite en ville qui les avait amenés à échanger quelques mots pour s’assurer que chacun allait bien. « J’espère que ça ira mieux entre vous, je suis désolé que ça vous ait éloignées. Casey estimait vraiment ton amitié. » Quelle déception de devoir le dire au passé. Même si Nate était persuadé que sa compagne restait attachée à cette amie qui méritait bien plus que toute cette histoire dont elle ne pouvait rien.

Jouer cartes sur table, il n’y avait que cela à faire pour s’assurer que cette rencontre n’attire de problème à personne. Bon, d’accord, Nate le faisait égoïstement parce qu’il ne voulait pas avoir à vivre une nouvelle crise de jalousie, mais il ne tenait pas non plus à accabler la pauvre jeune femme encore un peu plus auprès de Casey. Agatha semblait être du même avis, ce qui n’étonna guère le professeur. Il ne pouvait qu’imaginer ce qu’elle vivait les concernant depuis cette fameuse journée particulièrement gênante et s’en voulait, forcément. Alors il faisait tout ce qu’il pouvait pour essayer de calmer les choses, pour essayer de donner de l’espoir à la blonde qui regrettait son amie et semblait persuadée qu’elle ne pourrait jamais la retrouver. Peut-être pour se faire pardonner aussi, un peu, même s’il n’avait pas grand-chose à se reprocher. Par contre, il se gardait bien de défendre Agatha devant sa compagne, de peur qu’elle ne l’interprète différemment. Et puis il y avait ces petits secrets qu’ils s’étaient avoués avant de se consoler dans les bras de l’autre. Nate avait à présent tout avoué à Casey, mais ce n’était pas le cas de la blonde qui lui faisait place. Quelle complexité.

Ce discours, il avait l’impression de l’avoir entendu mille fois. Dans son esprit. « Je comprends. » Casey était trop douce. Casey était trop pure. Trop pour accepter de telles horreurs chez quelqu’un de son entourage. Et pourtant… « C’est pour la même raison que j’ai mis si longtemps à lui parler moi aussi, et c’est justement à cause de ça que je me suis éloigné d’elle. » C’était plein de compassion que Nate lui répondait, comprenant mieux que n’importe qui ce qui se tramait dans ses pensées. « Mais il n’y a personne de plus compréhensif qu’elle, je t’assure. » Et heureusement, sinon le brun serait sans nul doute encore un père célibataire au fond du gouffre. Il était conscient de sa chance. « Elle saura t’écouter. » Qu’il finit par ajouter dans un sourire bienveillant. C’était avec une grande sincérité qu’il espérait qu’elle puisse se sortir de toute cette culpabilité et ce malaise qu’engendrait son passé. Qu’elle puisse, elle aussi tourner la page. Avec une amie, si elle ne trouvait pas mieux pour le moment. Et Casey était la candidate idéale. « Et j’espère aussi qu’elle changera d’avis. Même si je pense que ce soit nécessaire. » Parce que Casey n’était pas du genre rancunière et n’en voulait sans doute pas tellement à Agatha, mais à ce destin qui avait le don de nous rendre tous fous. « Elle sait bien que ce n’est pas de ta faute, je ne pense pas qu’elle t’en veuille véritablement. » Que pouvait-il faire d’autre pour la rassurer ? Si seulement il pouvait faire en sorte de permettre à tout le monde de passer outre cette aventure. Peut-être avec un changement de sujet radical ? « Je crois que les enfants ne vont pas tarder à sortir, on devrait s’avancer un peu. » Surtout elle, qui semblait se cacher un peu dans son coin.

Peut-être qu’il parlait trop de lui-même, qu’il s’étendait trop sur son passé pas si lointain avec Casey, mais tout cela n’avait qu’un seul objectif. Pas celui d’un égocentrique. Non, pour une fois c’était pour aider une personne dont il se souciait. Peut-être à tort. Mais cela commençait à faire beaucoup en « peut-être », non ? Dans tous les cas, le brun se sentait coupable de cette situation dans laquelle ils se retrouvaient, tous les deux. Mal à l’aise alors qu’ils ne faisaient qu’échanger quelques mots en toute politesse, que se croiser par hasard devant l’école de leurs filles. Et pourtant, on sentait une envie de se justifier de chaque côté. Le professeur voulait même rassurer Agatha, lui dire que tout espoir n’était pas perdu quant à l’amitié qu’elle partageait auparavant avec sa compagne mais… c’était la seule chose qu’il pouvait faire. Et ça ne semblait pas véritablement fonctionner alors que la blonde qui lui faisait face le remerciait tout en soulignant la complexité de la situation. Et cette simple nuit qui avait des conséquences désastreuses. Sourire. Il avait envie de lui dire d’arrêter, que ce n’était pas de sa faute, qu’il s’était embarqué tout seul dans cette histoire en passant une nuit avec une femme qui se trouvait être aussi l’amie de Casey. Ça aurait pu être n’importe quoi ‘autre, mais malheureusement c’était tombé sur elle. A vrai dire, il n’y avait que Nate de coupable. Coupable de ne pas retenir ses ardeurs. Agatha avait juste eu la malchance de l’avoir croisé.

C’était à cause de cet embarras et du silence gênant qui semblait vouloir s’installer que Nate tenta de changer de sujet et invita la jeune femme à s’avancer pour trouver sa fille plus rapidement à la sortie de l’école. Manqué. Il n’avait pas grand succès apparemment aujourd’hui. « Comme tu veux. » Mieux ne valait pas continuer à lui dire ce qu’elle avait à faire, après s’être mêlé de ses affaires avec Casey. « Je vais y aller, je... » te souhaite une bonne journée et surtout de profiter à fond du temps avec sa fille. Mais ce ne fut pas ce qu’il sortit. « Tu dois la ramener directement ou tu peux passer un peu de temps avec elle ? » De quoi je me mêle ? « Avec Joyce, on va marcher un peu de temps en temps sur les bords de la rivière avant de rentrer... » Phrase qu’il laissa en suspens pour qu’elle comprenne seule ce qu’il avait en tête, sans doute déjà conscient que ce n’était sans doute pas approprié. Il allait lui proposer un plan foireux qui ne ferait que les mettre plus dans l’embarras s’ils étaient démasqués par Casey. « Mais je comprendrai si tu préfères être seule avec elle, il faut pas que tu te sentes obligée. » Ou si elle ne voulait pas passer une minute de plus avec lui, d’ailleurs. Mais autant ne pas verbaliser ce qui pourrait le vexer.