Silver Lining

Hesther & Nate (Mov'it | Juin 2019)

C’était le Jour J. Enfin. Le spectacle de danse de Joyce. Le premier qu’il verrait, après le débâcle de l’année précédente. Aujourd’hui, Nate avait l’impression de franchir une nouvelle étape. D’être un vrai père, aux yeux de tous. Celui qui s’investit pour sa fille, qui accepte de donner une partie de son après-midi pour bricoler deux ou trois choses dans la salle de danse afin d’aider à la mise en place de l’ensemble. Oui, il avait l’impression d’être ce qu’il fallait être. Mais ça, c’était parce qu’il n’avait pas encore mis un pied dans le Mov’it et ne s’était pas confronté aux fameux parents parfaits qu’Hesther avait évoqués. Arrivant à l’heure indiquée par la professeur de danse de sa fille, le brun eut la mauvaise surprise de se rendre compte qu’il était le dernier arrivé. Enfin, disons clairement pas le premier. L’endroit grouillait déjà de parents s’activant de tous les côtés. Eh bien, apparemment, il était habituel d’arriver en avance pour se faire bien voir dans le coin. Première leçon du jour. Étrange, d’ailleurs. Nate avait toujours entendu dire qu’arriver en avance était tout aussi impoli que le retard. Bref. C’était légèrement nerveux qu’il fit son entrée et salua quelques parents dont les visages lui étaient familiers. Bla bla bla. Quelle chance d’être aussi doué en conversations inutiles. Et pour les au revoir rapides. Une spécialité pour tout bon universitaire qui se respectait et qui devait supporter mille rencontres parfois intéressantes, parfois non.

Elle était là-bas, Hesther. Différente. A discuter avec un petit groupe. Bien sûr qu’il allait les déranger pour saluer la mère de sa fille. Étrangement, sa présence était la plus rassurante de toutes. Oui, Hesther, celle avec qui toute situation, même la plus légère, pouvait tourner au désastre si un mot de travers sortait. Mais en cet instant, c’était sa compagnie qui semblait être la plus appréciable. Ironique, non ? Se débarrassant habilement de ceux qui tentaient de l’embarquer dans un bricolage qui finirait en catastrophe, il s’approcha donc de son ancienne compagne et reconnut la professeur de danse de Joyce. Qu’il salua chaleureusement, évidemment, par sympathie mais aussi volonté de se faire bien voir. Tout un art chez Nate. Puis il se tourna vers Hesther alors que l’enseignante s’en alla vers d’autres parents. « Salut ! » Un grand sourire aux lèvres avant de l’enlacer brièvement. C’était un peu trop, non ? Pourtant, il n’avait aucune raison d’être de mauvaise humeur ce jour-là alors… pourquoi pas ? Tout le monde serait gagnant s’ils parvenaient à atteindre un tel niveau de sympathie l’un envers l’autre. Tant que la blonde ne lui rappelait pas l’existence de Fynn, tout irait bien. D’ailleurs… la blonde ? La brune, plutôt. C’était peut-être pour cela qu’il ne l’avait pas remarquée dès son entrée. « Nouvelle couleur ? » Qu’il ajouta, connaissant pertinemment la réponse. Puis il se garda de tout commentaire. De toute façon, elle pouvait bien être rousse, blonde ou brune, Nate n’en avait que faire. D’ailleurs, il ne préférait pas réfléchir trop longtemps à ce changement pour éviter de dériver sur ses motivations et, peut-être, cette relation qu’il désapprouvait. Pas de scène devant tout le monde, non merci. En parlant de scène… « Ne me dis pas que je vais devoir aider à la monter... » s’interrogea-t-il, en indiquant l’estrade qui devait servir pour le spectacle. Non, il ne commençait absolument pas à se demander ce qu’il faisait là, avec l’envie de partie en courant. Pas du tout. « Joyce est là ? » Traduction : est-ce que je peux la voir ? Oh, il savait très bien qu’elle devait être avec ses camarades pour les derniers préparatifs et donc, indisponible pour le moment. Mais ça ne coûtait rien de demander, pas vrai ?

Depuis quelques minutes Hesther jetait des coups d’œils furtifs en direction de la porte vitrée de la salle de danse, puis sur sa montre. Une légère anxiété s’installa au creux de ses entrailles, tandis que quasi tous les parents participants aux festivités firent leur entrée. La jeune femme avait choisi de venir en avance, parce que Joyce et elle étaient seules à la maison ce jour-là. Les minutes défilèrent et d'autres parents firent leur apparition. Toujours pas de trace de son ex compagnon, ce qui la fit stresser un peu plus. Se pouvait-il que Nate lui fasse faux bond ? Non, c'était impossible, puisqu'il avait promis d'être présent. Se pouvait-il que ? Que quoi au juste ? Des tonnes de scénarios tous plus stressants les uns que les autres valsèrent au sein même de son esprit, telle une tempête rageuse, réclamant son dû. Elle se raisonna finalement, jugeant que l'heure fatidique n'était pas encore dépassée et elle fit abstraction de toutes les pensées négatives et grotesques se télescopant dans sa boite crânienne. Hesther décida de rejoindre un petit groupe, formé par la prof de danse de Joyce, une maman qu'elle ne connaissait pas et quelques pères en grande conversation.  

Au milieu de tous ces parents, la brune se sentit comme une mauvaise herbe, dans un jardin à la Française. Tirés à quatre épingles, tous les adultes sans exception semblaient avoir revêtis leur vêtements des grandes occasions. L'avocate, avec son look casual, dénotait clairement dans le paysage. Pour être très honnête, elle plaignit ces pauvres femmes aux pieds ratatinés dans des chaussures à talons vertigineux et ces hommes étranglés par leur cravate. Elle retint d'ailleurs un rire en constatant à quel point elle faisait tâche, ce qui la fit sourire plus que de raison aux remarques vides de sens de ses congénères mâles – qui tentèrent tant bien que mal de lui faire la conversation, en déblatérant sur la meilleure façon de monter l'estrade – et sans se faire mal au dos s'il vous plait, parce que oui, quarantaine oblige - « Vraiment passionnant ! », s'entendit-elle dire à plusieurs reprises, en jetant toujours des regards inquiets vers la porte du Mov'it, en mourant d'ennui à petit feu. Une pensée lui traversa subitement l'esprit – tandis qu'elle essayait de faire bonne figure en prononçant de temps à autre quelques paroles monosyllabiques. Etait-il possible de s'étrangler avec sa propre cravate ? Elle n'eut finalement pas de réponse à sa question. Un immense sourire étira ses traits, dès lors qu'elle se retrouva nez à nez avec Nate et qu'il vola sans le savoir à son secours, la libérant d'une mort certaine. « Bonjour Nate ! » Elle accepta sans rechigner cette accolade, qui leur valu quelques regards désapprobateurs des mâles lui ayant jusque là fait la conversation. « Oh... le blonde était trop compliqué à entretenir », dit-elle très simplement en haussant les épaules, étonnée qu'il remarque ce changement. Ce qui était vrai en soi, même s'il ne s'agissait pas là de la seule et unique raison de ce changement capillaire. Mais pour des raisons diplomatiques, elle préféra ne rien ajouter, afin d'éviter le déploiement d'une quelconque bombe atomique. Autant surfer sur cette vague de bonne humeur le plus longtemps possible.

Rapidement, Nate entra dans le vif du sujet, en manifestant une légère inquiétude. Et il y avait de quoi être inquiet. « Oh non, ne t’en fais pas, comme tout le monde ou presque s’est proposé pour l’estrade, on se retrouve aux retouches des costumes ! », dit-elle en retenant une grimace. Entre l'estrade, les gâteaux ou bien les costumes, difficile de savoir ce qui était le pire. « Ce que personne ne voulait faire en résumé... Ça sonne comme une sorte de bizutage je trouve», dit-elle à voix basse, en se rapprochant de Nate, afin que seul le jeune homme puisse l’entendre. « D'ailleurs j'ai hâte de voir le père de Stacey, le grand roux là-bas, avec son costume trop petit et la mère de Ashley, qui pourrait faire la couverture de Vogue avec une robe pareille... en action. Je pense que demain matin, ils seront encore en train d'essayer de monter l'estrade», elle dû se mordre l'intérieur de la joue pour ne pas exploser de rire. « J'imagine que tu comprends un peu mieux le concept du comité », ajouta-t-elle toujours très bas, en relevant un sourcil, l'air vraiment amusée, en évoquant le club des parents presque imparfaits à côté de toutes ces gravures de mode  du dimanche. Elle redevint plus sérieuse lorsque le brun évoqua Joyce. « Oui, elle est là et je pense qu'on peut même tenter une mission commando jusque dans les coulisses pour lui faire un coucou... », dit-elle avec entrain, avant de finalement se souvenir d'une détail : « Puisque de toute façon nous devons retoucher les costumes ». Elle adressa un regard désolé à Nate, avant d'ajouter « On m'a assuré que ce serait facile, qu'il y a seulement quelques bricoles à coller sur les costumes, voire un peu de rafistolage à faire ! », dit-elle en reprenant les termes de la prof. « Allons-y, histoire d'en finir rapidement ! », ajouta-t-elle en essayant de montrer un peu d'entrain, tout en se dirigeant vers les coulisses et en indiquant le chemin à Nate.

Pour une première représentation de l’école de danse, Nate aurait au moins appris une chose. Arriver au moins une demi-heure avant l’horaire prévu pour ne pas avoir l’air de celui qui se contentait du minimum. Et ne pas avoir à saluer tous les présents un à un. Par chance, le professeur ne comptait pas le faire et se débarrassa de ce devoir après quelques sourires et signes de tête, avant de rejoindre Hesther qui semblait bien occupée avec d’autres parents. Sans attendre, il la rejoignit et ne prit pas spécialement la peine de se soucier des gens qui l’entouraient. Certainement pas des pères qui réagissaient étrangement mal au sujet de son arrivée. Venait-il d’interrompre une conversation d’une grande importance ? Moui. Peu probable vu les regards dont il héritait. Pas de chance pour eux, Nate n’en avait que faire de ce genre de chose. Au contraire, il se nourrissait presque de cette attention qu’on lui portait. Son ego l’appréciait, pour sûr. Leur accolade fut brève, tout ce qu’il y avait de plus normal. Un normal si plaisant quand on connaissait leur histoire. Comme s’ils étaient une petite famille sans histoire, certes séparée mais pas déchirée. Bref. Inutile de repenser à ce genre de détails absolument superflus dans cette salle de danse. Une remarque sur la nouvelle couleur de cheveux de son ancienne compagne, et voilà un moment de simple complicité comme il n’en avait pas eu depuis des années qui pouvait commencer. L’estrade, visiblement sujet favori de la journée, ne passa pas longtemps inaperçue alors que Nate s’interrogea à son sujet. Devrait-il aider à son montage ? Soucieux de la réponse, il écouta patiemment Hesther qui n’avait pas l’air spécialement ravie. Mince, il allait devoir s’y coller. Puis, ce fut la surprise lorsqu’il entendit l’explication. Eh bien, il ne s’en sortait pas si mal tout compte f… Ah, oui, d’accord, les retouches costumes. Ce qu’il restait, en somme. Un bizutage ? Oh, ça irait. Nate avait vécu (et fait vivre) bien pire à l’université. « Tu rigoles ? Il n’y a rien de mieux que les retouches costumes... » Qu’il ironisait tout en étant soulagé, un large sourire accroché au visage. Franchement, tant qu’il échappait au bricolage de l’estrade… C’était parfait.

Puis la conversation devint plus intéressante. Quelques messes basses pour critiquer le fameux club des parents parfaits qui faisaient tout pour se faire bien voir. De l’altruisme exagéré aux tenues bien trop belles pour l’occasion. Leur avait-on dit qu’il ne s’agissait pas d’un cocktail avec tout le beau monde du Vermont ? Sans doute pas, et les remarques d’Hesther ne firent que déclencher un rire retenu comme possible au professeur. Il était vrai qu’entre les pères avec des costumes rarement bien portés et les mères qui avaient sorti leurs plus belles robes dans une sorte de concours absurde de beauté… Les parents de Joyce faisaient tache au milieu, malgré des tenues tout à fait correctes. Tout aussi discrètement, Nate ne put s’empêcher de répliquer. « Absolument ! Heureusement qu’on est là pour montrer que l’élégance peut aussi être simple. » Et un petit lancer de fleurs sur eux-mêmes au passage. En tout cas, lui ne se sentait clairement pas inférieur avec sa tenue de tous les jours. Mais bon, bien rares étaient les fois où il pouvait se trouver inférieur à d’autres. Certainement pas là. Puis, changement de sujet, puisque Nate évoqua leur fille. Il avait hâte de la voir, de pouvoir la serrer dans ses bras et surtout l’admirer danser. Une hérésie pour le Nate d’il y a une dizaine d’années. Un véritable plaisir pour le Nate d’aujourd’hui. Comme quoi, on pouvait prendre goût à tout lorsqu’on avait la bonne motivation. La petite était dans les coulisses. Parfait, c’était là qu’ils allaient. Rire. Mais oui, ils s’en sortiraient. « Je te suis. » La petite aventure à deux pouvait commencer.

A peine avaient-ils quitter la pièce principale et les oreilles trop curieuses que Nate se permit de taquiner son ancienne compagne. « T’es sûre que t’as pas choisi les coulisses pour éviter tous les vautours qui t’épiaient plutôt ? » Autrement dit, tous ces pères qui les avaient regardé de travers lorsqu’ils s’étaient salués. « Je sais pas si t’as vu leurs têtes quand je suis arrivé... » Peut-être qu’ils avaient étonné de voir Hesther accompagnée puisqu’ils n’étaient jamais vus ensemble. Mauvaise pensée. Stop. Il ne fallait pas imaginer une autre possibilité. « Papa ! » L’interpellation rédemptrice. Joyce s’empressa de sauter dans les bras de son père qui se baissa pour la réceptionner et la soulever à son niveau. Un long câlin s’en suivit et quelques mots et compliments. Avant de la déposer sur ses pieds et de rejoindre ses copines pour le fameux travail sur les costumes. « Alors, c’est quoi la mission du jour ? » Qu’il lâcha à qui voudrait bien le renseigner.