Le début de printemps n’était clairement pas la plus belle saison pour être dans le Vermont. La neige fondait et ne faisait que gêner les déplacements, on ne pouvait plus vraiment parler des beaux paysages dans ce cas. Enfin, ça restait une région très belle tout de même. D’où le plaisir que Kat avait de travailler dans cette érablière jusqu’à la fin de la saison. La nature, il n’y avait que ça dans son coeur, ce boulot était donc tombé du ciel. Il fallait dire que les gens n’accouraient pas en général pour un travail saisonnier en pleine nature et assez exigeant, surtout quand on se retrouvait avec Anderson comme patron. Il n’était pas, disons… très avenant. La jeune femme avait entendu mille histoires sur lui et avait même fait l’expérience de ses humeurs il y a quelques années de cela, et s’étonnait souvent encore de ne pas avoir eu à supporter des remarques désobligeantes. Enfin, pas trop. Parce qu’elle voyait bien qu’il la regardait comme si elle n’était pas capable de faire le travail qui lui était attribué. Heureusement que son fils était plus affable. Bref. Cela ne gâchait en rien son envie de venir à l’érablière chaque matin, au contraire. Elle se donnait pour défi de montrer à ce grincheux que certaines femmes avaient tout autant de compétences que la plupart des hommes. Et cela valait aussi pour les personnes de couleur comme elle !

Kat vaquait tranquillement à ses occupations à l’érablière lorsqu’elle se retrouva interpeller par le fils du patron. Charles. Toujours aussi sympathique et agréable dans sa demande. Contrairement au vieux qui beugla un sacrilège pour elle qui était vegan dans le talkie-walkie. Génial, elle allait passer un bon moment en sa compagnie. Enfin, ce serait l’occasion de lui prouver, ou plutôt tenter de lui prouver, qu’elle était une jeune femme tout à fait capable. Bien plus que certains empotés masculins qu’il avait embauchés, en tout cas. La voilà donc quelque temps plus tard en plein milieu de l’érablière, accueillie par un magnifique regard. Pas de problème, il en fallait plus pour Kat pour perdre espoir. « Bonjour ! » Qu’elle lui sortit avec un grand sourire. Peut-être que ça lui donnerait l’idée de la saluer à son tour, ou de grogner dans son coin. Observant les alentours, elle ne put que constater les dégâts. Ils ne seraient pas trop de deux, c’était clair. « Je vous en ai ramené d’autres, Charles m’a dit de prendre ceux-là. » continua-t-elle en indiquant les tubes que Charles lui avait demandés de prendre, au cas où. Et il se remit au travail, sans autre considération. Très bien. « Attendez, je vais vous aider ! » Ce n’était pas vraiment le moment de se tenir immobile, comme une idiote qui ne savait que faire, si elle tenait à lui faire changer d’avis. « Ce sera plus facile si on s’y met à deux. » Plutôt que de galérer à faire tenir les tubes avant de les fixer. Elle s’approcha donc et tenta de l’aider dans son ouvrage, en espérant ne pas se retrouver avec un refus. Il pouvait au moins faire l’effort de lui donner une chance de faire ses preuves.

Victoire. Elle avait eu droit à une réponse du grincheux. Bon, ce n’était qu’un signe de tête, mais c’était déjà un début. Bien mieux que le regard qu’elle avait aperçu à son arrivée. Se mettant rapidement au travail sérieusement, Kat s’approcha du vieil homme et l’aida dans son ouvrage. Changer tous ces tuyaux abîmés prendrait du temps et de l’énergie, mais beaucoup moins s’ils étaient deux à s’y mettre. Sans surprise, elle se prit une remarque de cet individu vivant encore dans l’ancien temps, s’imaginant sans doute qu’elle était incapable de faire un tel travail. Est-ce qu’il côtoyait souvent ses employés au moins pour se permettre un tel jugement ? Oh, il devait faire partie de ces personnes qui considéraient qu’on n’était jamais mieux servi que par soi-même et ne cherchant donc pas d’aide. Encore moins un esprit de fraternité. Bref. Elle n’était pas là pour faire son profil psychologique, mais uniquement pour l’épauler dans sa tâche. Elle commençait d’ailleurs à s’atteler à son ouvrage, tubes en mains, avant que M. Anderson ne l’interpelle à nouveau. Pour faire la discussion ? Étrange. « Faite pour ça, je ne sais pas. Mais le travail à l’extérieur ne me fait pas peur, au contraire. Et j’ai beaucoup d’admiration pour les entreprises familiales et artisanales. » Est-ce qu’elle essayait de se faire bien voir ? Totalement. Est-ce qu’elle racontait la vérité ? Totalement. C’était son point fort, d’après elle, alors qu’elle faisait face à son patron. Kat était du genre à mettre tout son coeur à l’ouvrage quand elle s’engageait dans quelque chose, et ce travail ne faisait pas exception. Surtout dans une entreprise avec des valeurs proches de la nature comme celle des Anderson. En même temps, on ne pouvait pas se permettre autre chose quand on exploitait les ressources que Mère Nature voulait bien nous offrir.

Ah non, ce n’était donc pas pour une simple discussion. Mais pour un test. Elle se retrouva bien vite avec une perceuse dans les mains. Oui, elle savait comment percer un érable. Elle hocha donc la tête puis écouta la suite. M. Anderson lui demandait de trouver un autre arbre et de s’en occuper. Pas le moment de faire des bêtises, Kat. Elle partit donc en quête d’un arbre en bonne santé et prêt à donner ce qu’il avait et s’activa alors qu’il lui indiqua de commencer. Ni une ni deux, elle se lança, perça proprement le tronc et vérifia que tout allait bien pour cet arbre. « Est-ce que ça vous convient, comme ça ? » Bien sûr que ça lui conviendrait, ou il serait de mauvaise foi. Et elle saurait se défendre, si nécessaire. Puis, profitant de l’attente du jugement de son patron, elle en profita pour faire remarquer autre chose en désignant un arbre qu’elle avait dépassé en cherchant celui qu’elle venait de percer. « J’ai l’impression que cet arbre ne donne plus beaucoup non plus. » Ça ne pouvait pas faire de mal, de montrer une autre de ses compétences. Il fallait dire qu’avec le temps, elle avait appris à reconnaître facilement un arbre un peu fatigué.