Direction la maison Fordham. Il faudrait la renommer, celle-là. Pourquoi pas dire la maison de Grace. Bah oui, c'était tout de suite plus plaisant à entendre. Bref. Kat avait hâte de rendre visite à sa sœur et la petite famille pour fêter l'événement. L'anniversaire de son aînée. Quarante et un ans, ça se fêtait. Comme tous les anniversaires d'ailleurs, réflexion stupide. Mais il n'y avait pas que ça. Si elle avait bien compris, le fameux Jamie serait de la partie. Oh, la brune avait hâte de le revoir et de l'embêter, de le taquiner pour voir s'il était toujours comme avant. Peut-être pas, si elle ne voulait pas se mettre à dos sa sœur. Le jour de son anniversaire qui plus est.  Elle avait surtout hâte de la voir heureuse. Avec Jamie ou un autre. Mais bon, ce Jamie n'était pas si mal. Surtout comparé à d'autres. Enfin, pas besoin de débat sur les fréquentations de sa sœur. D'autant que les siennes n'étaient pas mieux puisqu'inexistantes ou absolument pas sérieuses.

Un sac dans les mains pour dissimuler le cadeau bien difficile à emballer, Kat était devant la porte d'entrée. Le cadeau du parfait écolo-vegan. Le cadeau parfait de Kat, donc. Une sorte de petite jardinière à mettre dans la cuisine pour y faire pousser diverses plantes, divers aromates. Parfait pour la cuisinière qu'elle était. En espérant qu'elle n'en ait pas déjà, malgré les coups d'oeil que la brune avait jetés à ses derniers passages dans la demeure familiale. Puis la porte s'ouvrit peu de temps après avoir sonné. Grand sourire. « Joyeux anniversaire soeurette ! » Elle fit de son mieux pour l'enlacer et entra sans attendre. « Alors, ça fait quoi d'être encore plus vieille aujourd'hui ? » Qu'elle lui balança tout sourire dans la figure. Bien sûr qu'elle la taquinait. Promis, ce serait la seule remarque pour la journée. Puis son regard se posa sur son neveu déjà prêt. « Salut Eli ! Oh mais tu t'es fait tout beau pour ta maman... ! » Des efforts de coiffure, ce n'était pas tous les jours pour les garçons de son âge.

Le mois dernier, Jamie se rappelait n'avoir été qu'un adolescent quand ils se sont connus, lui et Grace, et aujourd'hui, le voilà devant la porte de chez elle, s'apprêtant à fêter son nouveau pas dans la quarantaine. Il ne peut s'empêcher de se demander ce que ça lui fait, lui qui n'a pas encore atteint les quarante printemps. Lui qui ne réalise pas vraiment, ne mesure pas le poids des années. Certainement pas sur Grace, qu'il regarde aujourd'hui comme il la regardait hier. Hier... Ça devrait être si loin... Pourtant ça lui semble drôlement près. Mais il ne lui demandera rien de tout ça, bien sûr, certainement pas le jour de son anniversaire. Un jour qui se doit d'être parfait. Avant même d'entrer, il visualise la table soigneusement dressée et le gâteau trônant majestueusement au centre. Ce n'est pas ce qu'il a le plus hâte de découvrir, évidemment. Avant de pouvoir admirer Grace, il faudrait déjà qu'il trouve le courage d'appuyer sur la sonnette. Il appréhende. Oui, peut-être même qu'il appréhende davantage qu'il n'a hâte. Les voix qu'il entend à travers la porte, des voix qu'il identifie, par logique, sans être en mesure de les reconnaitre, lui qui ne les a jamais ou pas entendues depuis des années, lui donne envie de se coller à la porte jusqu'à s'y fondre. Peut-être qu'il pourrait, après tout, il a pris soin de se garer un peu plus loin, pour avoir le temps de marcher, une imposante fleur dans les mains. Ce n'est pas le plus pratique, ni le plus discret des cadeaux, mais il a un avantage : planquer son visage derrière quand la porte s'ouvre. Dissimuler son grand sourire, aussi, incontrôlable, sûrement trop amoureux, devant la maitresse de maison.

La fleur choisie est une orchidée aux pétales blancs tachetés de petits points violets. Elle provient de sa serre et ce choix n'est pas anodin. Derrière les couches de plastiques transparent et les petits rubans pourpres qui la recouvrent, est accrochée une enveloppe dans laquelle se trouve le véritable cadeau, qui restera caché encore un peu. Caché, comme les mots qu'il glisse à son oreille, inaudibles pour tous les autres. « Tu es très belle. » Qu'il ose, au passage, déposant le paquet à l'endroit indiqué. Caché, c'est ce que Jamie ne peut plus être, maintenant qu'il n'a plus rien dans les mains, qu'il découvre les deux autres personnes présentes. « Kat ! Waw. » Pas vraiment un choc. Trop positif pour en être un. D'ailleurs, il affiche un large sourire, plus timide, sans dévoiler ses dents, mais enthousiaste face à la jeune femme qu'elle est devenue. « J'ai pas pris trop de rides ? » Peut-être qu'elle ne se souvient même pas de lui. La dernière fois qu'il l'a vue, elle était plus jeune que le petit garçon à ses côtés. Elijah. Jamie est soudainement plus gêné, son sourire s'atténue un peu. Comme impressionné par la prestance -méfiance ?- du garçon. Ce qui ne l'empêche pas de lui tendre une poignée de main, prendre le risque qu'elle reste tendue dans le vide. « Enchanté d'enfin rencontrer l'homme de la maison. » Jamie n'est pas d'avis qu'une maison, ou une femme, ait besoin d'un homme. Il sait aussi qu'Elijah est tout sauf enchanté. Il essaie simplement de lui donner du crédit, ne pas le faire sentir simple petit garçon à ses yeux.  

Kat voyait bien que sa sœur était tendue. Elle l’était toujours, quand elle organisait des petites fêtes du genre, même si ça restait dans la famille cette fois-ci. Enfin, presque. Puisque Jamie serait présent aussi. Le fameux Jamie. La jeune femme en souriait d’avance, mais pouvait comprendre l’appréhension de Grace. Faire ça le jour de son anniversaire, c’était osé. Mais bon, elle n’allait pas en rajouter une couche. « Roh, mais ça va bien se passer t’inquiète pas. Arrête de stresser pour tout ! » C’était facile à dire pour qu’elle qui ne serait que spectatrice. Kat déposa son manteau dans l’entrée et salua son neveu, tout fier de son apparence pour le jour, ce qui lui arracha un sourire. Prendre ses aises, facile. « Je fais le service si tu veux. J’espère que t’as de quoi faire de bons cocktails.. » Qu’elle termina avec un nouveau grand sourire. Il faudrait sans doute quelques gouttes d’alcool à certains individus présents à cet anniversaire pour garder une ambiance détendue. Puis elle fut interrompue dans sa marche pas la sonnerie. Il ne restait que Jamie à arriver, et elle ne se priverait pas de ce moment de découverte. Non, elle n’a pas du tout envie de pouffer de rire dans son coin quand elle le voit se rapprocher de sa sœur pour lui murmurer quelque chose.

Eh oui, c’était bien elle. La petite Kat était devenue grande. Et le jeune Jamie était devenu… vieux ? Elle lui rendit son sourire avec plaisir et se permit de répondre à la plaisanterie sans trop de délicatesse. Mais ça, il le savait, que la petite Miller n’avait pas sa langue dans sa poche. Même à l’époque. « Des rides je sais pas, mais t’as pris un sacré coup de vieux… C’est pas des cheveux blancs que je vois là ? » Qu’elle lâcha en feignant d’en voir un ou deux dans ses cheveux sombres, avant de rire et de le laisser saluer l’homme de la maison. Une façon de ne pas s’imposer chez lui, sans doute. Kat en profita pour saluer sa nièce qui venait tout juste de descendre en l’embrassant sur la joue. « Contente de voir que t’es pas malade aujourd’hui ! » Grand sourire entendu. Une petite piqûre de rappel. La tante laissa ensuite la petite famille faire les présentations et vota comme son filleul. « J’opte aussi pour le gâteau. Qui veut boire quoi ? » Qu’elle sortit, comme si la décision était déjà actée.

Lui dire qu’elle est belle, ça lui semble indispensable, et sur le moment, bien plus important que de lui souhaiter un joyeux anniversaire. Elle lui sourit, exprime sa joie de le voir ici, il n’a pas le temps de sourire comme un idiot ni de trouver quoi lui répondre en  retour, quelque chose qui dissimulerait son stress, qu’un baiser furtif détourne son attention. Un peu guilleret en découvrant la femme que Kat est devenue, il en faudra plus que quelques cheveux blancs pour le déstabiliser. « Quoi ?! Impossible ! Je les ai teints ce matin ! » Qu’il rétorque, faussement choqué. Ce qu’il a réellement fait ce matin, enfiler sa plus belle chemise et un jean qui ne soit ni délavé ni large, rien qui n’empêcherait Kat de le taquiner davantage, ou qui n’impressionnerait Elijah. Grace vole à son secours. « (...) Je t’ai beaucoup parlé de lui. » Jamie pourrait reprendre en coeur ''ta maman m’a beaucoup parlé de toi.'' Mais il y a trop d’inquiétude. En Grace. En ces paroles qui n’auraient fait que lui en rappeler d’autres. Et s'il ne t’accepte jamais ? Jamie ne sais pas pour ''jamais'', mais il sait pour maintenant. Aucun doute qu’Elijah accepte sa poignée de main pour faire plaisir à sa mère. Mais il accepte. Il a même droit à un modeste bonjour. C’est tout ce qui compte. Plus détendu, plus assuré, il accueille l’arrivée de star de Melody le sourire aux lèvres. Ils doivent revêtir le même d’ailleurs, toujours un peu timide. Grace s’extasie de sa tenue, Jamie ne peut s’empêcher de remarquer la ressemblance entre la mère et l’enfant. Il faudrait être aveugle pour ne pas la remarquer. Plus enthousiaste qu’à leur première rencontre, elle tend une main vers lui. Non, pas besoin de faire les présentations. Jamie s’empresse de la serrer, pas comme une poignée de main classique, non, avec plus de délicatesse, enserrant ses doigts, le dos de sa main face à lui. Pas non plus pour y déposer un baiser à la manière d’un gentleman, oh non, ce serait trop gênant, rien qu’une modeste révérence. Comme on salue une princesse.

« Pas d’objection. » Gâteau ou cadeaux, ce n’est certainement pas lui qui va s’opposer au choix des enfants, encore moins mener la danse. Chercher celle qui prend les reines, ça, en revanche, il peut. « Ça dépend de quels cocktails tu pourrais nous faire pour nous impressionner. » Il ne connait pas, ou plus, la plus jeune des soeurs Miller. Il sait juste qu’elle voyage beaucoup. Un peu partout sur le globe. C’est suffisant pour faire le raccourci voyage, exotisme, cocktails. Le vieux Jamie, pas rancunier pour un sou, n’insinue pas qu’ils sont tout l’intérêt à ses voyages, pas encore. En attendant, il ne répond pas vraiment à la question qu’elle a posé. C’est peut-être même un peu dangereux, de lui laisser ainsi carte blanche. Il prend le risque.  

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