long time no see (amelia)

Amelia n'avait pas pour habitude de se figer à ne savoir que dire ou faire jusqu'à rester sotte, avant. Toujours, il y avait cette spontanéité qui la poussait à agir malgré ses incertitudes. Un besoin irrépressible même, de ne pas demeurer passive, quitte à prendre le risque de commettre des erreurs. C'est là le cœur de sa personnalité après tout, ce qui fait d'elle ce qu'elle est, que de craindre un piège se refermant sur elle si elle s'attardait seulement à du surplace. S'emmurer dans une situation qui n'est pas même tangible, c'est là la hantise qui l'a toujours guidé. C'est pourquoi cette nécessité de ne jamais tenir en place la poursuit encore aujourd'hui, autant qu'elle poursuit toujours les routes du pays et des territoires frontaliers.
Dernièrement pourtant, tout semble avoir changé. Ce qu'elle a pris pour acquis ne l'est plus, et une fois que le doute s'immisce, la tentation est d'autant plus grande de douter de tout le reste. Il y a ces doutes la retenant quotidiennement face à tant de visages familiers, qui, il y a quelques mois encore, étaient de bonnes connaissances, si ce n'étaient pas des amis. Seulement les actes de son frère ont eu des conséquences trop graves pour ne pas impacter les relations établies de son entourage. Il y a alors ceux qui, avec ou sans un instant d'hésitation, renouent tant bien que mal avec la complicité passée. Mais il y a aussi ceux qui n'en finissent plus d'hésiter, et qui à défaut de prendre une décision, s'en tiennent à éviter toute confrontation. Dans le meilleur des cas. Amy en a croisé également, des coléreux qui jugent leur famille au même titre que son frère, et à l'égard de qui elle a vite fait elle aussi de laisser ses mots dépasser sa pensée. Pour ça, elle est bien incapable de subir en silence. Mais pour ce qui est de faire le premier pas, elle est trop souvent là à rester passive – ce qu'elle déteste, pourtant. Seulement peut-elle se permettre d'aborder ses voisins comme si de rien n'était, après ce que son frère a fait ? Ce sont là les scrupules, nouveaux, qui très vite l'ont retenu d'échapper les premiers mots, pour plutôt s'aligner sur la réaction qu'ont ses interlocuteurs. Une habitude qui n'en était pas une, avant. Une habitude qui a contribué à lui rendre le climat étouffant dans sa ville natale, jusqu'à céder à l'envie irrépressible de repartir sur les routes.
Elle est de retour aujourd'hui, et rien ne semble avoir changé. Elle s'en rend compte à cet instant, lorsqu'elle s'en retrouve une énième fois à se piéger d'un surplace : aussitôt a-t-elle passé le pas de la porte, qu'elle a reconnu entre mille la chevelure qui lui faisait dos au fond de la boutique. Sa première réaction a été d'en sourire et de songer à une boutade d'amis longtemps perdus de vue, mais elle n'a pas eu le temps de l'échapper que déjà les doutes s'invitaient et la retranchaient sur la réserve. Alors le sourire s'est effacé aussi vite qu'il est apparu, et elle se retrouve à immobiliser son avancée d'un pas hésitant. Comment ne pas se rappeler aussitôt que c'est son neveu que son frère a blessé ? Peut-elle dès lors agir comme si de rien n'était, comme l'amie qu'elle a un jour été, ou comme la native du coin qui comptait simplement déposer son cv ? Et c'est là encore, que comme elle a toujours pu le craindre, un piège se referme sur elle du seul fait de sa passivité : un piège de doutes, et elle déteste ce que cela fait d'elle. Ce qu'elle laisse faire d'elle. Il faut bien que la camarade qu'elle a reconnu se retourne pour qu'enfin elle se décide et s'active... mais finalement non, elle reste plantée là avec des gestes et une expression incertaines.

« Amelia ! » La jeune femme s’était à peine retournée qu’elle reconnut ce visage. Ruine d’un passé qui lui semblait être une autre vie. Son adolescence, le lycée. Une amie, une marraine. Et puis plus rien. Kat s’était toujours demandé pourquoi cette dernière s’était volatilisée du jour au lendemain, pourquoi elle n’avait même pas pris le temps de ne serait-ce que la prévenir de son départ. Elle aurait compris, totalement. Ces deux amies avaient le même goût pour l’aventure, pour le voyage, pour les découvertes. Oh oui, elle l’aurait comprise. Pourtant, Amelia avait fait ce choix à sa place en lui imposant une incompréhension déroutante. Bien sûr que Kat s’était sentie délaissée après ce départ, mais elle n’en avait pas fait une affaire d’état. La page avait été tournée, sans ranceur, sans rancune. Une simple question persistait, une curiosité personnelle. Pourquoi être partie comme une voleuse ? Un jour, peut-être, elle y trouverait une réponse.

Cette journée semblait s’être enfin présentée en même temps qu’Amelia dans cette boutique. Un sourire aux lèvres, elle l’avait donc interpellée et lui fit un signe de la main. Oui, ça lui faisait plaisir de la revoir après tout de temps. De s’imaginer se raconter leurs aventures, dans le pays ou à l’international. Kat avait entendu parler, rapidement, de ce qu’elle devenait. Quelques bribes, ici et là. Oh, et il y avait ça aussi. Et son sourire s’effaça un court instant. Le temps que le souvenir refasse surface. Il y avait ce frère dont elle avait oublié l’existence. Ce frère qui avait été acteur dans la prise d’otage, et n’avait clairement pas hérité du meilleur rôle. Celui de bourreau. De fou. Celui qui avait blessé Elijah, son cher neveu et filleul. Puis le sourire revint. Ce n’était pas elle qui avait eu l’arme entre les mains. Ce n’était pas elle qui s’était lancé dans un spectacle macabre en plein repas de fête. Pourquoi lui en vouloir ? Pour rien, effectivement. Alors Kat décida même de sourire davantage et d’adopter un air rassurant pour son amie d’adolescence. Elle n’avait rien à craindre avec elle, malgré ses liens de parenté avec l’une des victimes.

S’avançant près de celle qui semblait hésitante, Kat profita de la faible affluence pour lancer la discussion et enlaça brièvement son amie sans se poser de questions. Rien de bien étonnant, venant de sa part. « Alors, qu’est-ce qui t’amène par ici ? Tu viens acheter le meilleur sirop d’érable de la région, c’est ça ? » Qu’elle lui sortit d’un air espiègle. Bien sûr qu’elle essayait de vendre ses produits ! Pourquoi n’en aurait-elle pas profité pour vanter les mérites de ces magnifiques bouteilles d’or liquide ? Bon, d’accord, elle en faisait parfois un peu trop. C’était aussi l’approche parfaite pour que la conversation reste légère. Pas de frère, pas de neveu, pas de secte. Juste deux amies contentes de se revoir. Pour Kat, c’était le cas. Et puis, peut-être qu’elle n’était venue ici qu’en tant que cliente. Pourquoi toujours chercher à voir plus dans le comportement des autres ? Oh, peut-être parce que c’était Redwood Hills et que rien n’était jamais simple.

Pourquoi cela devrait être plus compliqué que de seulement échapper les mots qui lui viennent à l'esprit et laisser libre cours à sa nature d'être ? Se pourrait-il que cette fois-ci, ça puisse être au seul sujet d'elles et de leur complicité passée, et non de ce que son frère a pu faire ? C'est là tout ce que continue de se demander Amelia, quand elle devrait à la place de ça prendre simplement une décision. Un mot, rien qu'un mot ? Un seul raclement de gorge, pour signaler sa présence ? Mais elle n'a pas besoin de s'y risquer, pour que déjà sa camarade se retourne. Et elle aussi, la reconnait dès le premier instant puisque son prénom s'échappe de sa bouche instantanément. Quasiment quinze ans ont passé entre temps, mais ont-elles vraiment tant changé que ça ? Et Amy réalise qu'elle a très envie de découvrir ce que Kat est devenue, de l'entendre évoquer sa vie de sa propre bouche, plutôt que de se contenter des échos qu'en a eu sa mère. Si elle reste curieuse de tous, il fut un temps où les deux jeunes filles s'entendaient particulièrement bien. Se pourrait-il qu'elles retrouvent leur complicité en moins de temps qu'il ne faut pour le dire ?
Mais pour ça, il faudrait encore en dire, des mots. Son amie passée reste toujours moins passive qu'elle, lorsqu'elle lui a déjà adressé un mot, un sourire, puis un geste en guise d'invitation. De quoi renouer avec l'espoir que des réticences n'ont pas lieu d'être entre elles ? Mais cette dernière paraît également avoir quelques réserves tout compte fait. Du moins, c'est ce qu'elle craint apercevoir dès l'instant où son sourire disparaît. Ou est-ce ses mauvaises expériences des derniers temps qui la rendent méfiante, trop prompte à voir ce qui n'existe pas ? Car Kat ne semble pas lui être devenue hostile non plus, et finit même par faire apparaître un sourire plus éclatant encore, comme s'il était ressortit victorieux d'une bataille à laquelle les deux jeunes femmes n'ont jamais pris part. Alors pourquoi, de son côté, se priver ainsi du plaisir qu'aurait été de retrouver sa camarade en tout autre temps ? Puisque ravie elle le serait pleinement en effet, si seulement elle ne laissait pas ses doutes la freiner dans son contentement. Depuis quand elle se laisse dicter quoi faire – même par elle-même ? Amy n'a jamais bien eu la retenue de ne pas se montrer contrariante s'il le faut, et il serait toujours temps qu'elle contrarie ces nouveaux scrupules qui semblent avoir momentanément pris le pas sur son quotidien.
Avec un temps de retard donc, elle comprend l'évidence, alors que Kat s'approche et vient enlacer l'amitié qui fut un jour la leur. Avec la conviction que ses réserves ont tout eu d'idiotes, le sourire réprimé retrouve ainsi toute son aisance sur ses lèvres, pour mieux s'affranchir de cette retenue qui n'est pas la sienne.
- Le meilleur, rien que ça ? Je m'en voudrais de passer à côté de cette affaire ! Mais elle ne peut nier que ce n'est pas dans l'espoir d'être cliente qu'elle a aventuré son pas dans cette boutique, et après ces premiers mots plaisantins, elle finit par lui donner une véritable réponse. Non, je venais déposer ça, si jamais y'en aurait l'utilité dans le coin... Le disant, elle en vient alors à extirper son dossier de sous son bras, avec son cv en première page. Mais ça peut aussi très bien absorber les auréoles de tasses de café. Une façon comme une autre de lâcher prise sur le sérieux que voudrait sa recherche de job, quand en présence de sa camarade elle aime à retrouver cette familiarité. D'ailleurs à ce sujet, elle n'hésite pas à ajouter une couche espiègle à son tour. Alors dis-moi tout, ce sirop d'érable est le meilleur depuis des générations ou seulement depuis que t'y as apporté ta magie ?

Mille pensées avaient traversé l’esprit de Kat lorsqu’elle avait découvert ce visage familier. Elle voulait retrouver cette amitié, cette complicité qu’elles avaient, mais était-ce possible ? Après tout ce temps. Après ces événements qui les séparaient malgré elle. Toutes les deux sœurs, l’une de victime, l’autre de bourreau. Si seulement les années étaient la seule chose qui les avait transformées. Pourtant, Kat voulait aller de l’avant. Se morfondre dans le passé n’était pas son genre, absolument pas. Et pourquoi accabler une présence qui avait pour seul tort un malheureux lien de parenté ? C’était elle qui avait perdu un être cher dans toute cette affaire, elle qui était le plus à plaindre. Alors, un sourire n’était pas de trop. La jeune femme fit alors tout ce qu’elle pouvait pour retrouver cette vieille amie et être aussi chaleureuse que possible. Rien de bien difficile, puisqu’une habitude chez la Miller. Elle plaisanta même sur le sirop d’érable pour détendre Amelia qui semblait sur la réserve. Pari gagné. Le visage de son souvenir retrouve un sourire amical et elle finit par répondre sur le même ton, ce qui arracha un rire à Kat. Eh oui, rien que ça ! Dommage, ce n’était pas pour ça qu’elle était venue. Pourtant, ça n’empêchait pas que les produits que la jeune femme vendait étaient les meilleurs, peut-être pas du monde, mais au moins de ce coin du Vermont.

Un travail. C’était pour ça. Eh bien, peut-être qu’il y avait des besoins dans l’érablière. Peut-être pas. Kat n’en savait rien, mais ça n’enlevait rien à la bonne nouvelle. « Tu viens pour du boulot ? C’est génial ! Enfin, je sais pas s’ils recherchent des gens, mais je pourrai transmettre ta demande si tu veux ! » Au plus vite, dès qu’elle verrait le gérant. En cours de journée sans doute. « Je ferai en sorte que ça ne serve pas de protection pour café, promis ! » Qu’elle répliqua à la plaisanterie. À vrai dire, elle n’aurait aucun pouvoir là-dessus, mais ce n’était de toute façon pas le genre de la maison. C’est alors qu’Amelia reprit sa remarque sur le sirop d’érable, ce qui ne manqua pas de la faire sourire à nouveau. Enfin, le sourire était fixé sur son visage depuis un petit bout de temps déjà. « Oh, il était déjà délicieux avant que j’arrive, mais la touche Kat Miller l’a rendu encore meilleur ! » Bien sûr qu’elle n’y était pas pour rien dans ce goût exquis. Ça l’amusait de le croire, tant que ça pouvait faire vendre avec certains. Elle doutait que ce soit le cas avec la jeune femme qui était venue pour une autre raison, mais pourquoi se priver d’en rire un peu ? « Tu veux goûter ? On en propose souvent en dégustation, comme on sait que personne ne peut résister après avoir essayé... » Puis elle l’attira vers le comptoir de vente pour saisir la bouteille et lui présenta une assiette avec quelques pancakes faits maison pour déguster au mieux. Non, elle n’avait pas le choix. Tellement enthousiaste, Kat ne lui laissa pas vraiment l’occasion de refuser qu’elle lança la conversation. « Alors comme ça tu cherches un job ? Tu vas rester dans le coin ? » Pour une fois que c’était elle qui posait cette question…

Ces derniers jours, la jeune femme a pu faire face à nombre de retrouvailles gênantes, pour ne pas dire indésirables parfois même. C'est donc un soulagement cette fois-ci, de ne trouver qu'une bonne surprise dans ce face-à-face avec une ancienne camarade d'école. Il faut dire qu'Amelia a le don de laisser nombre de situations irrésolues derrière elle, mais au moins avec Kat, elle n'a pas à se taper sur les doigts pour un faux pas de ce genre. Ou en tout cas, elle n'a pas un seul instant conscience que son départ précipité ait pu vraiment l'interpeller à la fin de leurs années lycée. C'est alors sans réserve qu'elle apprécie la joie de vivre retrouvée de son amie, qui déjà lui offre un rire.
- Tu pourrais ? Ça serait chouette ! Et en voilà une offre qui ne la prend pas tout à fait au dépourvu, quand elle a toujours connu sa camarade bienveillante à la moindre occasion. Mais plutôt que d'insister sur sa reconnaissance à ce sujet, il est toujours temps de se détendre à nouveau de plaisanterie – elle est plus à son aise dans ce manque de sérieux-là, après tout. Ou si tu ne le peux pas, évite que ce soit ma photo qui boit tout le café. Elle qui n'en boit jamais, ça serait le comble. Ou pas vraiment, lorsque son soucis pour ces feuilles a disparu aussitôt qu'elles sont passées en possession de Kat. Cette dernière en vient d'ailleurs à rebondir sur son trait plaisantin, si bien que l'arc de son sourire ne quitte pas un instant le coin de ses lèvres.
- J'en doute pas ! Qu'est-ce qui n'est pas plus délicieux encore, que l'autodérision dont elle fait preuve ? Même si c'est un autre délice, qu'elle lui propose bien vite de déguster. Si je veux goûter ? J'ai pas changé, j'avale tout ce qu'on aurait le malheur de mettre à portée de mains. L'ogresse Reed, n'était-ce pas un de ces surnoms à leurs jeunes années d'ailleurs ? Un autre temps, une époque révolue. Mais je me demande si c'est vraiment au sirop qu'on ne résiste pas, ou si c'est à ton charme ? Elle plaisante toujours, alors qu'elle suit son sillon jusqu'à ce comptoir. Ça, il faut le reconnaître : son amie sait vendre son produit. Celle-ci en vient cependant à mettre de côté sa casquette de vendeuse, dès lors qu'elle lui demande ensuite de ses nouvelles. Aussitôt, Amy exagère une grimace sur son visage tandis qu'elle s'accoude au comptoir.
- Je suppose, pas vraiment le choix. J'aurais déjà pas dû repartir la dernière fois, mais je suis jamais raisonnable bien longtemps. Alors je ne sais pas vraiment combien de temps je vais rester cette fois-ci. On pourrait faire des pronostics là-dessus d'ailleurs, qui de toi ou moi tiendra le plus longtemps avec ces satanées fourmis dans les jambes ? Puisque s'il y en a une dans cette ville qui peut comprendre son sentiment, c'est certainement celle qui lui fait face : à trop rester surplace, il y a effectivement de quoi avoir des fourmis dans les jambes. Ça fait combien de temps que tu tiens le coup dans le coin, toi ? Car spontanément, elle ne songe pas que sa camarade ait pu revenir s'installer définitivement dans leur ville natale. Et quitte à s'enfoncer dans sa présomption, elle surenchérit. Tu as déjà des idées pour la suite ? Des idées d'ailleurs, forcément, où elle pourrait prochainement aventurer son pas.

Amelia avait bien de la chance que Kat refuse toute notion de rancune. Cette dernière aurait pourtant tellement de choses à lui reprocher, de son départ soudain du lycée à ses liens de sang avec celui qui avait blessé Elijah. Mais non, la brune ne s’en souciait pas. Pas assez, en tout cas, pour rendre la vie dure à celle qui avait jadis été son amie. Amy devait en avoir vu de toutes les couleurs, depuis le printemps dernier, inutile d’en rajouter avec une rancoeur stupide qui n’aurait pas lieu d’être. Ce fut alors tout sourire que la jeune femme accueillit son ancienne amie dans la boutique de l’érablière en lui proposant de faire passer sa demande au patron. À vrai dire, elle n’avait aucune idée des besoins de la petite entreprise. « Je peux toujours essayer ! Mais je te promets rien, la saison est déjà bien commencée... » Qu’elle ponctua d’un sourire bienveillant. De même pour le café. Malheureusement, elle n’avait pas grand pouvoir quant au sort que réserverait le grand patron à son dossier. Juste la conviction qu’il ferait de son mieux pour prendre en compte sa demande. Enfin, elle l’espérait.

Kat finit par se mettre à plaisanter, comme souvent. Rien de mieux pour détendre l’atmosphère et mettre Amelia à l’aise dans la boutique et, surtout, avec son amie. Parce que, oui, Kat avait décidé qu’elles étaient de nouveau amies. Vendant le sirop d’érable avec délicatesse tout en retrouvant leur complicité d’antan, elle lui proposa une dégustation impossible à refuser. Et la réaction de la jeune femme ne put que la faire rire légèrement. « Oh mais au deux, très chère ! » Qu’elle lâcha, toujours dans ce rire. Elle mettait tout son coeur à la vente, elle pouvait bien récupérer quelques lauriers au passage, non ? « Tu me diras quand tu auras goûté ! » Mais il fallait bien avouer que c’était le sirop, qui faisait tout. C’était lui qui attirait tous ces clients, tous ces habitués qui ne pouvaient s’en passer. Pourtant, ce n’était pas lui qui intéressait tout particulièrement Kat en cet instant. Avide d’informations, elle voulait tout savoir d’Amelia. De son retour en ville. De boulot qu’elle cherchait. Mince, ce fut une grimace qu’elle eut en retour. Pas le choix ? Oh, sans doute sa mère. Elle aussi. En tout cas, elle ne chercherait pas à en savoir trop. Évoquer les événements qui avaient chamboulé sa famille ne serait peut-être pas une bonne idée. Gardant son sourire légendaire, elle écouta alors les nouvelles avant de lui répondre. Amusée. « Je vais rester jusqu’à fin mai au moins, c’est sûr. Pour la fin de la saison. Alors je parie que je vais rester plus longtemps que toi, cette fois-ci ! » Cette fois-ci, oui, parce que Kat avait pour habitude de ne traîner qu’un mois ou deux au maximum dans le coin quand elle revenait. Alors, quatre à cinq mois, ce serait déjà un record. « Je suis arrivée en décembre. Ma mère avait quelques petits soucis alors je suis venue soutenir mon père, et pour Noël aussi. Et je suis encore là, t’y crois ça ?! » Qu’elle ponctua d’un rire. A croire qu’elle avait trouvé quelque chose qui l’intimait de rester un peu plus longtemps. Ou peut-être était-ce les années qui faisaient leur travail ? « Après, je sais pas encore. Je verrai ce qui se présentera à moi, comme tout le temps. » Et c’était un mode de vie qui lui convenait à la perfection. « Alors, tu étais où ces derniers mois toi ? » Si elle se souvenait bien, Amelia préférait vadrouiller dans les différents états du pays.

- Je comprends. C'est déjà bien assez gentil de sa part, de s'assurer que son cv soit transmis. À vrai dire, Amelia n'était pas pleine d'espoir quand elle a franchi le pas de cette porte, puisqu'elle ne voudrait pas vraiment être là : ni dans cette boutique, ni à Redwood Hills. Bien qu'il est vrai que de découvrir Kat Miller travaillant ici, lui donne à présent une raison appréciable de s'y attarder. Mais c'est évidemment par nécessité qu'elle s'en trouve là, aussi bien dans sa ville natale, qu'à postuler dans le moindre commerce. Pour tout te dire, j'ai bon espoir d'être embauchée à la mairie de toute façon ! Elle plaisante, bien sûr. Certainement que leur maire n'a pas dans l'idée de se faire remarquer, en engageant la sœur d'un des assaillants qui a marqué sa ville d'une prise d'otages. C'est donc un sourire qu'elle cale à nouveau au coin de ses lèvres, bien que moins visible que les précédents, lorsqu'elle n'est pas tout à fait certaine de bien faire en plaisantant sur ce sujet à l'oreille de sa camarade. C'est d'ailleurs pourquoi elle n'en rajoute pas une couche, et préfère s'en tenir aux pancakes et au sirop d'érable qui s'attardent sous son nez.
- Je me disais bien, y'a de ça aussi ! Mais difficile de réprimer son charme quand il s'exprime même au naturel, hein ? C'est en tout cas ce qu'elle trouve à répondre, alors qu'elle en vient ensuite à mordre dans sa gourmandise. Et forcément, dès l'instant où il s'agit de lui dire ce qu'elle en pense, elle ne peut s'empêcher de plaisanter à nouveau – mais pas avant d'avoir pris le temps d'avaler sa bouchée. Arf, de toute la région t'es sûr ? Je sais pas si vous l'emporterez au prochain festival de Saint-Albans... Il faut bien que la Reed la taquine à ce sujet, lorsqu'elle suppose que la saisonnière serait de la partie à cette occasion. Et la lueur de son œil se fait effectivement espiègle, bien que l'instant d'après elle ne peut repousser plus longtemps la vérité. Non, c'est vraiment bon. Tu peux compter une victime de plus à ta dégustation ! Tu m'en mettras deux bouteilles ? Car en effet, la postulante se transforme en cliente qui ne va pas repartir les mains vides. Et entre temps, elle ne cache pas son plaisir à terminer sa gourmandise, avant d'en revenir au sérieux de leur conversation (ou presque).
- Si seulement. J'aimerais bien te prendre au mot pour ça ! Évidemment qu'elle aimerait être ailleurs d'ici mai, mais les traits de son visage ne cachent rien de ses doutes à ce sujet, pour ensuite écouter ce qu'il en est de sa camarade. Merde, mais qu'est-il arrivé à la Kat Miller que j'ai connu ?! C'est qu'elle non plus ne peut s'empêcher de s'exclamer sur le même ton, quand il faut croire que la famille est décidément la raison première pour les retenir dans le coin. Tu ne couverais pas une sédentarité aiguë par hasard ? Ça, elle ne peut s'empêcher d'en rajouter une couche pour sûr, avant d'avoir à préciser où elle a pu se trouver ces derniers mois. Partie courir après le soleil, tu penses ! Pas de quoi surprendre donc, en cette saison. Au Nouveau-Mexique d'abord, mais surtout au Texas en fin de compte. Et je serais certainement en Louisiane à l'heure qu'il est, si le devoir ne m'avait pas rappelé dans le coin. Le devoir familial en l'occurrence, et à y songer de nouveau, elle finit par renouer avec le sérieux de leur situation respective. Ta mère va mieux maintenant ?

Trouver un boulot dans le coin ? Ce n’était pas si difficile, tant qu’on venait de la communauté et qu’on était apprécié. Et c’était ce deuxième point qui faisait défaut à la jeune femme qui lui faisait face. Amelia n’était pas détestée à vrai dire, mais son nom de famille et ses liens de sang avec une certaine personne pouvaient rendre les choses délicates. « Toi dans un bureau ? Mais bien sûr ! » À vrai dire, il y avait plus à la remarque, mais Kat préféra ne pas le souligner. Elle avait beau ne pas être aussi touchée par la prise d’otage que la plupart des habitants de cette ville, malgré son lien de parenté avec une victime, ce n’était pas pour autant qu’elle était prête à plaisanter ouvertement sur la situation. Pas encore. Peut-être après plus de temps passé ensemble, quand l’amitié serait enfin retrouvée. Peut-être. Ce qui semblait sur la bonne voie, puisque la complicité des deux jeunes femmes revenait rapidement. Bien sûr que Kat comptait sur son caractère avenant pour optimiser les ventes ! Il ne restait plus qu’à la guider vers une dégustation, et le tour était joué. Sauf qu’elle trouva à lui sortir une espièglerie pour lui faire croire qu’elle avait goûté un meilleur sirop d’érable. Impossible. « Tu rigoles ?! On va tout déchirer, les autres n’auront aucune chance. Ils l’ont déjà eu le grand prix du festival ici, je compte bien en voir un nouveau cette année ! » En tout cas, elle l’espérait vraiment pour les propriétaires qui mettaient tant d’énergie dans leur entreprise familiale. « Et je participe au concours de photographie aussi ! » L’occasion parfaite de lier toutes ses passions en un week-end. Ce festival s’annonçait déjà comme mémorable. Affichant un large sourire à la dernière réplique de son amie, Kat ne put s’empêcher de s’exclamer. « Va pour deux bouteilles ! » Pari réussi.

Amelia ne semblait pas particulièrement enjouée à l’idée de rester dans la petite ville du Vermont, mais Kat ne s’enfonça pas dans le sujet. Plutôt délicat, même pour une personne si optimiste. Puis elle se mit à rire. « Et c’est grave ça, Docteur Reed ? » Une sédentarité aiguë, bien trouvé ! « Non, mais... ça faisait quelque temps que je voyageais beaucoup et je veux profiter un peu de la famille avant de repartir ! » Oui, c’était ça sans doute qui la faisait rester. Sa mère, bien entendu. Mais l’envie de se poser un petit peu avant de repartir pour des mois ou plus. « La Louisiane… J’ai étudié un peu à Bâton Rouge, c’était tellement beau ! » Peut-être qu’elle parcourrait les états du pays, cette fois. Pour changer un peu de ses habitudes. Mais la suite était un peu moins joyeuse, même si Kat n’était pas du genre à se laisser abattre. « Ça va mieux, elle se remet doucement ! » Tout doucement, et c’était très bien comme ça. Parce que ça lui donnait une excuse pour traîner dans le coin encore quelque temps. « J’envisage d’ailleurs de me trouver un appart ou une chambre à louer dans le coin, histoire de ne plus être avec mes parents ! Mais bon, la liste de mes voyages ne motive pas vraiment les propriétaires en général… Et je les comprends comme je ne sais pas moi-même combien de temps je vais encore rester ! » Un sourire pour terminer ce petit discours. Peut-être qu’elle s’y plaisait aussi un peu, chez ses parents. Un petit retour à la maison avant le retour à l’indépendance pure. Mais ce sourire ne resta pas bien longtemps, alors qu’un sujet délicat pouvait faire surface. Mais quelle amie aurait-elle été si elle ne s’était pas intéressée à la jeune femme ? « C’est pour… la famille que tu es revenue aussi ? »

Son amie a raison : elle, dans un bureau, c'est aussi probable... que d'imaginer Kat dans la même situation ! Pour ça, elles se sont toujours ressemblé il faut croire, quand Amelia n'a pas davantage apprécié de se retrouver coincée derrière sa table de classe durant sa scolarité. N'a-t-elle pas saisi la première chance pour s'en échapper, quitte à manquer d'avoir son diplôme au passage ? En voilà une chose qu'elle ne regrette pas, lorsque c'est tout aussi improbable d'avoir pu un jour envisager qu'elle ferait des longues études. Là-dessus, sa mère n'a jamais manqué de lui glisser un mot à la première occasion, mais c'était peine perdue face à l'obstination de sa fille. Alors oui, sa camarade peut se montrer sceptique à ce sujet, tandis que l'instant d'après, c'est son esprit de compétition qui s'exclame et ne manque pas de faire rire Amy au passage.
- Tu es impitoyable ! Aucune pitié pour tes concurrents. Et elle en sourit toujours, jusqu'à ajouter une nouvelle plaisanterie. Et dire que si vous ne l'emportez pas, tu vas devoir rempiler la saison prochaine pour être certaine de l'avoir, ce grand prix ! Mais évidemment, elle ne serait pas de celles à mettre sa main à couper sur ce sujet-là, quand l'intenable Miller pourrait tout aussi bien se retrouver à des milliers de kilomètres d'ici, l'année prochaine à la même époque. D'ici-là, il s'agit de l'instant présent et de la joie que peut se faire sa camarade du festival à venir. Et tu comptes leur laisser une chance, à ce concours-là ? Elle plaisante toujours, mais reconnaît aisément la raison de son enthousiasme. C'est toujours chouette ce genre d'occasion, y'a souvent de belles rencontres au passage. Je crois bien que la dernière fois que j'y ai été à ce festival, je devais avoir... douze ou treize ans. Pas très récent en effet, mais avec sa désespérante habitude de foutre le camp, à quoi s'attendre d'autre ? C'est tout aussi inévitable, que ses boutades à tout va.
- Seulement si ça te rend malade ! Et en la matière, elle semble beaucoup mieux encaisser son séjour en ville qu'elle. Mais peut-être est-ce parce qu'elles n'ont pas la même motivation, pour les pousser à voyager ? En tout cas, Amelia peut toujours la comprendre en ce qui concerne sa famille. Elle va même jusqu'à acquiescer en conséquence, avant de s'exclamer l'instant d'après. Oui, ma mère m'avait dit que t'avais fait des études ! Attends ne me dis pas... dans le marketing, c'est ça !? Car quand a-t-elle seulement promis de rester sérieuse dans sa devinette ? Sérieuse, elle finit néanmoins par l'être au sujet de la mère de son amie, et elle acquiesce à nouveau, ne sachant (n'osant ?) savoir que répondre. Et ce n'est que lorsque l'occasion d'un nouveau trait plaisantin se profile, qu'elle ouvre donc la bouche. Tu insinues que c'est regrettable d'avoir à vivre avec ses parents, passé un certain âge ? Ce n'est pas comme si elle aussi se trouvait dans le même cas de figure en l'occurrence, mais c'est un sourire qu'elle laisse bel et bien voir dans un même temps, malgré ce regard prétendument suspicieux. Quand il s'agit par contre de s'intéresser à sa propre situation familiale, c'est tout d'abord avec un hochement qu'elle confirme l'hypothèse de Kat, avant de finir par y joindre des mots. Oh mon grand-père est toujours déterminé à nous enterrer tous, il se porte comme un charme ! C'est plus compliqué pour ma mère, mais j'ai bon espoir qu'elle finisse par s'en remettre doucement aussi. Qu'espérer d'autre, après tout ? À égarer son regard jusqu'à finir par croiser celui d'une autre cliente, Amy en revient finalement à la réalité de ces deux bouteilles qui s'attardent sous son nez. Elle abandonne le comptoir de ses coudes alors, et part en quête de cette monnaie qui doit traîner au fond d'une de ses poches. Je te dois combien au fait, pour cette paire de délices ?

D’où venait cet esprit de compétition ? Kat n’avait jamais été du genre à chercher être la meilleure, maintenant encore. Pourtant, elle croyait en la justice. Et il n’y en aurait pas si le travail de la famille Anderson et des employés n’était pas récompensé. Ils se donnaient beaucoup de mal pour que la récolte et la production se passent au mieux et offrent un produit excellent. Alors, oui, ils méritaient de remporter un prix au festival. Cette ardeur de ton n’était qu’en réponse au scepticisme de la brune face à elle. « Aucune, non ! » Rires. Pas de pitié pour les autres. A vrai dire, si. Et s’il se trouvait qu’une exploitation locale proposait un meilleur sirop d’érable, Kat accepterait bien entendu de laisser la première place. Mais, comment dire… ce n’était pas possible avec les productions des Anderson. « Tu veux vraiment qu’on perde toi, non ? » Qu’elle renchérit, alors qu’Amelia semblait bien trop croire que la défaite était envisageable. Même plus, probable. Faussement suspicieuse, elle lança un regard offusqué à son amie avant de lâcher un rire. Autant continuer avec ce même jeu, alors elle fit mine d’être à nouveau sans pitié pour ses adversaires. Oui, ses adversaires. Même pour un concours de photographies. « Leur laisser une chance ? Jamais ! » C’était surtout pour le plaisir de s’adonner à sa passion. Le premier prix ? Aucun intérêt. Enfin, bien sûr que ça lui ferait plaisir, mais ce n’était absolument pas son objectif. Profiter du festival et des personnes présentes, c’était ça l’essentiel. « Tu devrais passer alors ! Je pourrai sans doute prendre le temps de visiter le festival alors on pourrait se voir là-bas ? »

Rire. Pas de risques, alors. Les voyages ne la rendraient jamais malades. Le manque de la famille, peut-être par contre. D’où cette envie de rester un peu, pour se ressourcer avant un nouveau départ. Des études ? Du marketing ? « Mais si, bien sûr ! Tu as devant toi la meilleure vendeuse du monde maintenant ! » N’importe quoi. Enfin, elle était bien une excellente vendeuse juste pour son amie et surtout la plaisanterie, mais pas grâce à des études. Elle finit par rire, amusée par leur conversation. Mais bref, soyons un peu sérieux. « Non, en fait j’ai fait quelques années de français-espagnol, pour trouver du boulot plus facilement pendant mes voyages. Mon petit bagage ne suffisait pas toujours... » Que ce soit sa valise ou ses connaissances. Malheureusement, son niveau de français n’avait pas toujours suffi sans diplôme pour accéder aux petits boulots qu’elle souhaitait. A chaque problème sa solution. Et en plus, elle avait pu en profiter pour voyager ! « Et toi, t’as eu des envies de retrouver les bancs de l’école ? » Question vaine, sans nul doute. Mais on ne savait jamais.

Le sujet devint plus sérieux en parlant de la famille. Sa mère, puis celle d’Amelia. Celle-ci acquiesça et un instant de silence s’installa. Pas très long, puis qu’elle trouva une plaisanterie à sortir. Parfait. « Avec mes parents, oui ! » Kat ne parlait que pour elle, et non en général. Encore moins pour son ami dont la situation familiale était délicate. Inutile d’en parler, d’ailleurs. « Ils sont toujours aux petits soins. C’est gentil, je dis pas le contraire, mais tu me connais j’aime avoir ma liberté et tout ça... » Alors se retrouver avec des parents qui, même s’ils n’étaient pas envahissants, suivaient toutes ses allées et venues… ce n’était décidément pas son truc. Son sourire s’élargit quand son amie lui demanda combien elle devait pour son choix. Toute contente d’avoir fait une vente à celle qui était venue pour tout autre chose. « Pour deux bouteilles de cette taille, ça fait dix. » Pas très cher, d’où l’intérêt de faire un arrêt dans la petite boutique. « Tu pourras te rendre compte encore mieux que c’est le meilleur en le goûtant au petit déjeuner... » Toujours ce grand sourire. Toujours.