Circle of life
- Nate & Tom (& Ophelia) -

En fais-je donc trop ? Intéressante, très intéressante question... Mais puisque j'en faisais toujours un peu plus, il apparaissait clairement que je n'en pensais rien. Ce n'était peut-être pas le cas des autres, mes collègues par exemple en ce qui concernait la présente bizarrerie du jour, puisque j'étais arrivé à l'agence avec une adorable gamine au large sourire sur les talons. On m'avait lancé quelques regards sans vraiment poser la question ; il y avait forcément une bonne explication et personne n'avait vraisemblablement envie de l'entendre. Vous non plus ? Tant pis : une heure à peine avant de quitter Redwood Hills, Wyatt m'avait envoyé un message pour savoir si j'étais disponible pour le dépanner et garder Ophelia aujourd'hui. Hm... Pas vraiment, mais pourquoi pas, bien sûr ! Ce n'était pas comme si l'agence était un endroit particulièrement désagréable pour une enfant curieuse et pas peu fière de découvrir ce nouvel environnement où tout allait très rapidement. Les vendeurs et concepteurs allaient et venaient d'un bureau à l'autre, mais heureusement, le mien lui avait plu plus que les autres et elle consentait à s'y enfermer. Trottinant derrière moi, j'avais malgré mon retard du jour pris le temps d'installer mon assistante d'un jour confortablement. L'avant-midi s'était écoulé à une folle vitesse et on ne m'avait absolument pas épargné sous prétexte que j'avais momentanément deux boulots à assurer : graphiste et nounou. C'était une recette plutôt gagnante pour un quotidien débordant de surprises.

Même si Ophelia était d'une patience angélique, il m'avait semblé plus sensé de sortir prendre la pause déjeuner à l'extérieur. Nous nous étions donc arrêté dans un petit restaurant, un café offrant une carte de salades, sandwichs et soupes maison, du centre de la ville. Ophelia faisait preuve de bien plus de zèle que moi ; à peine dix minutes depuis que nous étions installés à une table et déjà, la future artiste décidait de sortir son matériel de dessin de son sac pour reprendre son chef d’œuvre en devenir. « Même les grands artistes prennent des pauses, tu sais ? » La petite répliquait aussitôt : « Tu ne prends pas de pause, toi ! » Je lui souriais doucement. Même si cela venait de la bouche d'une enfant, ce n'était assurément pas déplaisant de l'entendre. Même si c'était faux, je prenais une pause à l'instant même en mordant dans mon sandwich. « Je peux voir ? » Ophelia secouait vivement de la tête en se tournant légèrement pour m'empêcher de voir son dessin. Relevant la tête dans un mouvement instinctif, une silhouette et des cheveux sombres attiraient mon attention à quelques mètres. « Hey, Nate ! » Je ne pouvais probablement pas être plus radieux et puisque ma compagne ne projetait pas de me faire davantage la conversation avant d'avoir terminé son œuvre, la perspective d'un échange amical avec le professeur, probablement aussi en pause déjeuner, ne me déplaisait pas du tout. Je laissais le jeune homme s'approcher de nous et aussitôt, je lui signifiais : « Tu veux t'asseoir avec nous ? » Bon, en quelque sorte avec ce regard et cet enthousiasme débordant, je ne lui en laissais pas tellement le choix. Le jeune homme ne semblait pas accompagné ni de collègues ni d'une petite amie ni de qui que ce soit l'empêchant de nous accorder sa présence pour l'heure du déjeuner.

HJ : Pas pu résister :uuh: je n'avais pas encore sorti ce titre :mdr:

Seul. C’était bien la première fois depuis quelques jours qu’il se retrouvait sans compagnie. Il y avait eu ce week-end d’anniversaire de Casey pendant lequel ils ne s’étaient pas quittés. Cette journée de lundi, triste anniversaire d’un événement malheureusement si difficile à oublier. Cette journée où Nate avait refusé de la laisser seule, l’emmenant avec lui à l’université et tentant de son mieux de la soutenir. Il y avait eu toutes ces journées ensemble, qui ne faisait qu’accentuer sa solitude du moment. Maintenant que la pause déjeuner était arrivée dans sa journée qui ne se résumait qu’à son travail depuis plusieurs heures déjà. La jeune femme n’était pas à l’attendre à la bibliothèque ou dans son bureau aujourd’hui, elle n’était même pas à Burlington. Oh, il aurait bien pu prendre sa pause avec un ou plusieurs collègues, mais tous avaient fini par le lâcher. Un à un. Pas de blâme, ils avaient tous une bonne excuse. Et puis, même, ils ne lui devaient rien. Tant pis, le professeur se dit qu’il finirait bien par trouver un petit restaurant tranquille où manger rapidement avant de traîner dans le centre-ville, ou de retourner tout simplement à son travail et être plus productif que jamais.

Quittant l’université à pied pour rejoindre le centre tranquillement, Nate se laissa aller à plonger dans diverses pensées. Depuis quand n’avait-il pas pris de temps rien que pour lui ? Oh, sans doute trop. C’était peut-être une bonne chose, alors, qu’il prenne une heure sans avoir à rendre des comptes à personne. Pas d’étudiant. Pas de collègue. Pas de hiérarchie. Personne. Juste lui et ses pensées. Lui et tout un tas d’informations, de nouvelles, de changements, de promesses, de demandes. Son ami Connor qui avait quitté la ville il y avait quelques temps déjà, sa sœur qui divorçait du fameux mari tombé du ciel, l’histoire d’Hesther qui semblait ne jamais prendre fin… Sa relation avec Casey qui s’épanouissait de jour en jour, jusqu’à lui apporter quelques sueurs froides avec une certaine fausse alerte. Et cette conversation qui lui revenait régulièrement en tête. Pourquoi lui avoir promis d’en reparler ? Pourquoi ? Il n’était pas prêt. Ne le serait sans doute jamais. Mais pourtant, il voulait l’être. Avec elle. Juste avec elle. Soupir. C’était bien trop compliqué. Légèrement perdu dans ses pensées, le brun avait fini par entrer dans un petit restaurant. Simple, délicieux et rapide. Parfait. Et puis, une salade ne lui ferait pas de mal après les excès des derniers jours grâce aux plats de Granny Connors. A peine était-il entré qu’il entendit une voix familière. Il se retourna. Eh oui. C’était bien lui. Tom. Immédiatement, ce fut un sourire qui prit place sur son visage et Nate s’approcha de cette connaissance. Cet ami. Accompagné d’une petite fille ? Étrange. « Salut ! » lâcha-t-il alors qu’il était arrivé à leur niveau. « Avec plaisir! » C’était raté pour la petite introspection, mais le géographe était finalement bien content d’y échapper. Et puis, prendre des nouvelles de Tom, avoir son avis quant au divorce de Lilly… c’était bien plus intéressant. Mais bon, il n’allait pas lancer ce sujet sans au moins chercher à savoir qui était la petite à côté de son ami. Question de politesse. « Tu fais du babysitting maintenant ? » Qu’il plaisanta, ne sachant pas s’il s’agissait de famille ou autre. Pas très délicat, si vous voulez mon avis.

Est-ce que ce sourire à tout rompre était déplaisant ? Non, j’espérais bien que non et après avoir traversé de nombreux mois bien sombres, j’embrassais avec enthousiasme une attitude des plus optimiste. Est-ce que j’étais un peu trop fier de mon nouveau job de babysitter ? Certainement. Mais ce n’était pas contraint ; l’entente était parfaite et j’étais fièrement en train de transformer Ophelia – de son plein gré, heureusement – en future artiste. Que demander de mieux ! Sauf, peut-être, la présence d’un ami pour partager ce trop-plein de bonne humeur. Pauvre Nate. Il préférait sans doute être témoin des bons moments plutôt que des mauvais (ne ramenons pas ces sujets fâcheux quand ils peuvent rester bien confortablement avec la poussière sous le tapis), mais soyons honnêtes… Il en voyait toujours un peu de toutes les couleurs, chaque fois que nos routes se croisaient. L’invitation du jour ne semblait pas particulièrement lui déplaire ou il avait raffiné ses talents d’acteur depuis nos derniers tête-à-tête. Soit. Je continuais de lui offrir un large sourire. « Oui, c’est à peu près ça. » Commençais-je doucement, coup d’œil en biais sur la jeune fille qui ne quittait pas même des yeux son dessin. « Ophelia, je te présente Nate, un ami. » Et d’ajouter à l’attention du professeur : « Son père m’a demandé de la garder et je ne sais pas dire non, de toute façon il y a plus difficile à garder. Quoi que si je ne fais pas attention, elle risque bientôt de me voler mon job. » Cette affirmation faisait rire Ophelia qui daignait enfin lever les yeux vers moi, puis vers le professeur. Juste avant de ne replonger son attention toute entière vers son œuvre. Ça aussi, à vrai dire, ça avait l’effet de me rendre plutôt fier.

Nous n’étions pas seuls, mais je n’étais en rien gêné par la présence d’Ophelia pour discuter avec Nate, sans compter que je vivais déjà un certain moment de solitude pendant qu’elle se concentrait sur son dessin. Je ne pouvais pas l’en blâmer, surtout pas après avoir moi-même montré l’exemple en étant complètement débordé sous le travail pendant tout l’avant-midi. « Ça fait plaisir de te voir. » Entre nous, pas de débordements affectifs… Enfin, presque pas. J’avais toujours tendance à enchainer plus de mots qu’il n’en était vraiment nécessaire, mais cela faisait partie du contrat lorsque l’on devenait ami avec moi. « Comment va Casey ? » Certaines personnes détestaient entendre les autres parler de leur vie amoureuse et c’était tout le contraire me concernant. Exception faite, peut-être, de la vie amoureuse d’une certaine blonde, mais je n’allais certainement pas laisser ce genre de pensées assombrir cette heure du déjeuner qui s’annonçait bien avec ce hasard agréable. « Et toi ? T’as l’air un peu fatigué, ce qui n’enlève strictement rien à ton charme naturel. » Plaisantais-je. J’en mettais certainement un peu trop, mais c’était moi. J’étais seulement heureux de pouvoir échanger avec lui en de meilleures conditions que les dernières fois. Nous n’avions pas eu beaucoup d’occasions de discuter depuis le début d’année, les emplois du temps respectifs nous tenant bien occupés de part et d’autre. Ce genre de tourbillon avait des effets autant bénéfiques que négatifs, en tout cas, il y avait bien moins de temps pour penser aux sujets épineux.

En cet instant, il avait oublié la déception de se retrouver seul pour la journée et ce temps du déjeuner. Qui aurait cru qu’il se retrouverait face à Tom dans ce petit restaurant ? Certainement pas lui. Et pourtant, le voilà. Devant lui. En compagnie d’une petite qui semblait passionnée par son dessin. Ce serait la pause parfaite, pour ne pas trop se perdre dans ses pensées. Et puis, c’était toujours un plaisir de retrouver ce fameux Tom aux humeurs flamboyantes pour ajouter du piquant à sa journée. Ce serait en plus l’occasion de prendre des nouvelles et de discuter du divorce de Lilly qui, sans nul doute, le mettait en joie. Bref. Il n’allait pas lancer le sujet ainsi. Nate se contenta, pour commencer, de lancer une plaisanterie sur le statut de babysitter de son ami après avoir accepté son invitation de les rejoindre. Une plaisanterie qui fonctionna parfaitement vu le large sourire du brun en face de lui alors qu’il s’assit à la table. Ophelia. Une nièce ? Une fille d’ami ? Oh, ça importait peu. Le professeur la salua rapidement, comprenant qu’il n’aurait pas vraiment son attention. Et c’était très bien ainsi. Il avait beau être père, ce n’était pas pour autant qu’il appréciait la compagnie des enfants. « Voler ton job ? Rien que ça ? » Qu’il lâcha, amusé. Eh bien, si la concurrence commençait déjà à cet âge-là !

Ça lui faisait plaisir de le voir. Sourire. Que répondre à ça ? Que lui aussi ? Non, c’était trop bizarre. Pour Nate, en tout cas. Il se contenta alors d’un simple sourire, sympathique, ce qui était déjà une belle attention venant de lui. Surpris sans le montrer, la discussion arriva sur le sujet… Casey. Oh, ce n’était pas pour lui déplaire. Parler d’elle, il pourrait le faire pendant des heures. Admirer ses qualités, sa gentillesse, les moments qu’ils passaient ensemble. Oui, il pourrait. Surtout avec Tom qui ne semblait pas gêné d’entendre les autres s’étaler sur leur vie privée. Enfin un ami à qui il pourrait tout dire, même des choses qui le préoccupaient. Alors qu’il était sur le point de répondre, la question se compléta. Dirigée vers lui, cette fois-ci. Et un petit compliment au passage. C’était bien un compliment, non ? Rire. Heureusement qu’il avait intégré que Tom ne faisait pas ça pour flirter avec lui. « Rien de grave alors si je peux encore plaire... » Qu’il ponctua d’un sourire amusé. « J’ai été pas mal occupé ces derniers jours, mais une bonne nuit de sommeil et ça ira parfaitement bien ! » Il fallait dire qu’entre l’anniversaire de Casey et les souvenirs de la prise d’otage, les derniers jours avaient en effet été intenses. Mais bon, pas la peine d’aborder ce triste premier anniversaire dont personne ne voulait entendre parler. Et que Nate n’évoquait pas. Jamais. Sauf avec la jeune femme qui comprenait ce complexe mélange de sentiments et émotions qui pouvaient le gagner quand les images de cette fin avril 2018 revenaient. Bref. Ce n’était pas le moment pour les lamentations. « Casey va bien aussi. C’était son anniversaire ce week-end alors on en a profité pour se prendre du temps tranquille. » Sans sa fille. Sans mille activités et sorties pour les fatiguer davantage. Bon, ça n’avait pas non plus été un week-end de tout repos. « Et toi alors ? Je suppose que t’es aux anges avec les dernières nouvelles ? » D’où ce large sourire sur son visage, peut-être. Tom devait trépigner d’impatience de se réjouir devant lui du départ de cet homme qu’il n’avait jamais apprécié. Même si ce n’était pas très joli de se satisfaire du divorce d’une amie.

La curiosité était le défaut de tout le monde, pas vrai ? En cet instant, j'étais peut-être un peu trop concentré à tenter de voler, même un tout petit aperçu, du dessin de mon artiste protégée. Dans une tentative de zieuter par-dessus l'épaule d'Ophelia, j'étais pris sur le fait et la petite se détournait encore plus pour protéger son œuvre des regards indiscrets. J'avais tout de même eu le temps de voir... De voir qu'elle tentait de me dessiner, moi, un peu comme je l'avais fait la toute première fois que je l'avais gardée pour remplacer, à la toute dernière minute, ma collègue. Je tournais la tête vers Nate fort de ce sentiment parfaitement agréable et flatteur, et je réaffirmais mon assurance en les talents de la jeune fille : « Rien que ça, oui, il faut assurer la relève. » Si l'on voyait les choses d'un autre angle, j'étais bien persuadé que personne n'accepterait jamais d'occuper le poste que j'avais et surtout, d'être appelé à faire trois fois le boulot pour une seule tête ! J'étais ainsi dans bien des domaines, certainement pas seulement dans la sphère professionnelle. Apprendre à dire non était une de mes résolutions de début d'année que j'avais déjà plus ou moins abandonnée. Comment, en effet, se convaincre du bien-fondé de la chose quand certaines fois, ne pas savoir dire non apportait de très jolies surprises ? Je prenais une autre bouchée de mon sandwich en laissant Nate me raconter les dernières nouvelles de son côté. Il m'arrivait de l'envier, mais le bonheur des autres me poussait surtout à espérer le mien. D'ailleurs, tout semblait bien prendre une trajectoire largement plus positive ces dernières semaines que ça avait bien pu être le cas quelques mois plus tôt. Question de perspective ? Je voulais bien y croire, mais c'était beaucoup plus facile d'adhérer à ce genre de pensée quand tout allait bien que l'inverse.

J'acquiesçais d'ailleurs : je doutais que Nate ait un jour eu du mal à plaire, mais il m'avait bel et bien confié avoir vécu des heures plus sombres lui aussi. Un autre argument en la faveur de l'influence de l'attitude que l'on décidait d'avoir devant l'adversité. « Rien de mieux qu'un week-end en amoureux... » Approuvais-je avec une toute légère, oui toute légère pointe d'envie. Mon sourire n'en était pas moins sincère. Je jetais un oeil en biais vers la gamine qui faisait preuve d'une concentration enviable, juste avant de reporter mon attention légèrement distraite vers le professeur. « Les dernières nouvelles ? » Pendant quelques secondes, je cherchais dans ma mémoire ce que j'avais pu entendre ces derniers temps et qui aurait été en commun avec Nate, pour qu'il m'en parle avec ce ton résolument convaincu que je partagerais la préoccupation. « Je suis toujours partant pour les bonnes nouvelles, c'est bien de bonnes nouvelles dont tu parles ? » Et si c'était plutôt de mauvaises nouvelles ? Oups. Enfin, n'avait-il pas dit tu dois être aux anges ? Les idées s'embrouillaient à une vitesse folle sous mon crâne, malgré mes efforts de patienter pour l'explication. « Tu m'inquiètes, de quoi tu parles ? » Je ne pouvais pas me battre contre cet esprit toujours trop prompt à la paranoïa. Selon certains, c'était même ce qui me caractérisait le plus distinctement !

C’était toujours un plaisir de passer un peu de temps avec Tom, même si leurs rencontres se trouvaient toujours être intenses. Mais, au fond, Nate en avait peut-être légèrement besoin. S’éloigner de ses habitudes. Accepter l’imprévu. Comme cette fille, aux côtés de son ami, qu’il ne connaissait pas. Oh, ce n’était pas bien grave. Elle avait l’air tellement prise par son ouvrage qu’elle ne prêtait pas attention à l’arrivée du professeur. Une simple salutation, et Nate comprit vite qu’il ne décrocherait rien d’autre. Tant pis. Tant mieux. Bref. Tom demanda quelques nouvelles et en reçut. Surtout celles du week-end et de l’anniversaire mémorable de Casey qui lui avait présenté sa grand-mère. Mais bon, Tom ne lui avait sans doute pas posé la question pour avoir un récit détaillé de ces quelques jours. Se contentant donc de quelques informations rapides, il finit par sourire largement à la remarque de son ami. En effet, rien de mieux qu’un week-end en amoureux. Rien de mieux qu’un week-end seul avec Casey pour fêter un tel événement. Ou même pour profiter de sa simple présence. Anniversaire ou non. Oui, rien de mieux qu’un week-end avec elle. Peut-être ceux avec Joyce aussi. Mais, même s’il l’adorait littéralement, il appréciait n’être qu’à Casey de temps à autre. Enfin, il était maintenant temps de prendre des nouvelles de son ami et d’évoquer l’évidence : le divorce de Lilly. Nate n’y alla pas par quatre chemins et se lança. Tom devait être aux anges, exactement. Lui qui ne semblait jamais avoir accepté la présence de ce mari à présent parti, qui semblait regretter douloureusement sa meilleure amie. Pourtant, s’il avait un si grand sourire dans ce restaurant, ça ne pouvait pas être un hasard. Il devait savoir. Il savait, non ? Eh bien, à en croire sa tête… « Non… T’es vraiment pas au courant ? » Pas possible. Franchement surpris, Nate ne savait pas trop quoi ajouter. A part la belle révélation. Mince, c’était lui qui allait devoir lui annoncer ça ?

De bonnes nouvelles. Moui. Tout dépendait du point de vue. Nate, lui, les classerait plutôt dans les mauvaises vu le déroulement des événements. « Je dirais pas vraiment que c’est une bonne nouvelle, non. Pas pour elle en tout cas, mais je suppose que ça le sera pour toi. » Le suspense était à son comble. Est-ce qu’il le faisait exprès ? Eh bien, peut-être un peu.Tout ça pour voir Tom s’impatienter et se demander ce que le professeur avait à lui dire. Bon, allez, la torture allait prendre fin. « Lilly va divorcer. » Lâché comme ça, en toute délicatesse. Bref, du parfait Nate qui n’étonnait plus personne. « Et je suis sûr qu’elle aurait bien besoin de son Tom. » Sûr et certain, d’ailleurs. Le brun savait que les choses avaient été compliquées depuis l’arrivée du fameux Fitz, Tom lui avait même avoué ce qu’il ressentait dans toute cette histoire. Alors, il se dit qu’ajouter cette remarque ne serait pas de trop. Qu’elle entraînerait peut-être son ami à retrouver la place qui semblait lui manquer et qui n’attendait que son retour. Enfin, il disait ça mais… au fond, il n’avait aucune idée d’où ils en étaient ces deux-là. Se parlaient-ils au moins encore ? Aucune idée. Surtout après la découverte de l’ignorance de Tom concernant ce divorce.

Lilly va divorcer. Ma toute première réaction : un bref éclat de rire légèrement étranglé, aboutissant en sourire aux allures de grimace. Wait, WHAT ? Il n'y avait aucune méprise possible. Une seule Lilly. Un seul mariage me pourrissant suffisamment la vie pour que mon interlocuteur s'imagine que je serais aux anges d'entendre que cela tirait sur sa fin. Sous l'effet de surprise, j'arrachais mon regard de l'expression plus ou moins mal à l'aise de Nate pour regarder Ophelia. La petite ne semblait pas passionnée par notre discussion entre adultes, mais elle avait tout de même levé les yeux vers moi et nos regards se croisaient. Oh, quelle détresse sublime lisait-elle momentanément dans mes yeux ! Je me dépêchais de sourire pour la rassurer et ce sourire avait toujours ce grain de faux. Pendant ces quelques secondes, le professeur avait repris la parole et j'avais enregistré ses mots sans pour autant les intégrer parfaitement. J'étais beaucoup trop sonné pour paraitre calme ou simplement, attentif. Les idées se mettaient à tourbillonner dans un tel désordre que je n'arrivais pas à en saisir une plus que les autres pour m'y concentrer. « Tu penses que je suis comme ça ? » À nouveau, ce petit rire étranglé qui ne traduisait aucun, aucun plaisir. Mon regard s'attardait de longues secondes sur ce qui restait de mon sandwich. À bien y penser, j'étais probablement un peu comme ça et si Nate m'avait appris la nouvelle sans présumer que j'en serais ravi, j'en aurais peut-être bien été ravi. Mon esprit avait cette fâcheuse tendance à avoir besoin d'un problème par lequel se laisser absorber... Maintenant que ce n'était plus ce mariage en lui-même, mon problème était devenu la raison - que j'ignorais... en partie - pour laquelle Lilly ne m'avait rien dit du tout.

Je secouais lentement la tête, sans avoir pleinement conscience de le faire. Jusqu'à ce que mon regard raccroche celui de Nate et que je me décide enfin à parler. « Je ne savais pas. » Sans doute avait-il eu le temps de le comprendre, ces dernières minutes. « On ne s'est pas beaucoup parlé ces derniers temps... » En fait... « Je n'ai pas retourné ses derniers appels ni répondu à ses messages. » Et tout à coup, j'avais honte. « Comment va-t-elle ? Tu l'as vue ? » Lilly vivait dans une bulle depuis des mois. Ce mari tombé du ciel ne m'avait jamais semblé, à moi, être la bénédiction promise. Les raisons étaient fort simples : comment pouvait-on connaitre quelqu'un après seulement un mois ? Je n'étais pas un exemple en la matière, mais je n'avais jamais cherché à me marier l'instant d'après. Pas vraiment. Ou, peut-être, que c'était le fait que Lilly l'ait fait qui m'avait retenu de commettre ce genre d'erreur moi-même. La situation insufflait une certaine sagesse, tout à coup. « Tom ? » Je tournais la tête, passant de Nate (ou plutôt du vide que je regardais en ayant les yeux plus ou moins rivés sur le professeur depuis qu'il m'avait appris la nouvelle) à la petite. « C'est qui, Lilly ? » Je lui souriais doucement, hochant la tête positivement cette fois. « Ma meilleure amie. » Ophelia ne semblait qu'à demi satisfaite de ma réponse, m'observant quelques longues secondes avec curiosité avant de continuer son dessin. Oui, Lilly avait toujours été ma meilleure amie et je l'avais abandonnée. Même si c'était pour me protéger, c'était ce que c'était. « Si tu ne me l'avais pas dit, je ne l'aurais pas su avant un moment je crois. » Constatais-je enfin, m'adressant de nouveau au professeur. Oh, pauvre Nate. Toujours les pieds fourrés dans le drame me concernant, et cela, bien malgré lui.

Un éclat de rire des plus étrange. Clairement, Tom n’en avait jamais entendu parler. Et puis, le professeur qui s’enfonçait dans des affirmations ridicules quant à la soi-disant joie du brun qui lui faisait face en apprenant cette nouvelle... Belle indélicatesse, Nate. Très belle. Est-ce qu’il lui arrivait de réfléchir avant de sortir pareille bêtise ? C’était à se le demander. Lâcher une telle révélation avec si peu de tact… non, franchement, bravo. Il suffisait de voir le regard qui se posait sur lui, ou ailleurs, pour comprendre que la situation venait de se compliquer radicalement. Ce n’était plus le grand sourire chaleureux et accueillant. Oh non. Puis, quand Tom ouvrit enfin la bouche, Nate put se rendre compte de l’ampleur de sa maladresse. Pensait-il vraiment que son ami était du genre à se réjouir du malheur de Lilly ? En effet, formulé ainsi, ça ne sonnait plus très bien. Et merde. Le rire de Tom trouva un écho avec celui du géographe, tout aussi gêné. Il fallait se rattraper maintenant. « Non, je sais pas… enfin je disais ça par rapport à ton avis sur lui... » A la limite du bégaiement. Ridicule. Un jour, il apprendrait à tenir sa langue. A réfléchir avant de déballer n’importe quoi n’importe comment. Un jour, oui.

Voilà. Le malaise s’était installé dans la conversation. Alors que ce n’était d’habitude pas du tout, mais absolument pas du genre du professeur. Tout ça parce qu’il se croyait drôle avec ses remarques… Bref. Gardant le silence, il observa la scène se dérouler en espérant devenir invisible peut-être pour pouvoir s’éclipser discrètement. Mais c’était raté. Tom le regardait, impossible de s’échapper. Il ne savait pas. Oui, bon, ce n’était plus vraiment une révélation à présent. Surtout vu sa tête. Mais la suite était plus étonnante. C’était si compliqué que ça entre eux deux ? Peut-être qu’il l’aurait su s’il avait prêté plus attention à ses amis dernièrement. Mais devrait-il pour autant s’excuser d’être heureux avec Casey ? Oh, stop. Ce n’était pas le moment de jouer les égoïste. « Je l’ai vue rapidement, quand elle me l’a dit l’autre jour. » Quand exactement ? Il ne serait même pas capable de le dire. Mince, était-il un si mauvais ami que ça ? Oh, c’était encore pire alors qu’il se rendait compte qu’il n’était pas capable de répondre à la simple interrogation : Comment va-t-elle ? Soupir. Il baissa le regard un court instant, un peu déçu de lui-même et pour Lilly. « Je sais pas trop, on n’a pas vraiment eu le temps de discuter depuis mais… j’imagine qu’elle n’est pas au meilleur de sa forme. » Imaginer, la seule chose qu’il pouvait faire. Quel idiot il avait été. Et il l’était encore, d’ailleurs. Et le voilà de retour, ce silence un peu gênant. Le professeur fut presque soulagé d’entendre la petite le briser. Manque de chance, ce n’était pas pour changer de sujet mais y plonger en plein coeur. C’était encore pire, en fait. Tom semblait dépité par la nouvelle, ou perdu dans des pensées qui n’appartenaient qu’à lui. Ou les deux ? Peut-être le regret de ne pas avoir été là pour sa meilleure amie vu ce qu’il finit par affirmer. Un sourire, entre désolé et compatissant, s’afficha sur le visage du géographe. Ah les fameux « si »… Mieux valait ne jamais s‘engouffrer dans cette brèche. « Ça fait longtemps que tu n’as plus de contact ? » La question risquée. Mais c’était mieux qu’un silence gênant, non ? « J’ai pas été très délicat pour le coup. » Finit-il par lâcher, dans un rire à peine gêné. Une observation ou une présentation d’excuses ? Tom choisirait bien ce qu’il souhaiterait. « Tu devrais aller la voir... Je plaisantais pas quand je disais qu’elle aurait sans doute besoin de toi. » Cette fois-ci, le sourire était plus franc. Plus motivant. Nate s’y connaissait en situation désespérée, et même très bien, alors il fallait le croire quand il laissait entendre que les regrets étaient inutiles. Que Tom veuille de ses conseils ou pas.

Cette situation était des plus étranges à bien y penser, entre cette amitié qui s'était nouée sur un malentendu - ou plutôt, en raison d'une attrape de la part de notre blonde - et ce qui semblait toujours nous ramener en plein coeur de la controverse. Je ne m'arrêtais pas vraiment à y penser parce que d'autres choses avaient la priorité du malheur de l'instant, mais voilà, le professeur devait se dire qu'il y avait toujours un peu de drama en ma compagnie... Même si c'était lui, cette fois, qui l'avait convié à notre table pour changer. J'acquiesçais mollement. Non, bien sûr. Je savais bien qu'il n'avait pas cherché à être méchant et ma réaction aurait assurément été différente si la surprise ne m'avait pas d'abord complètement paralysé. Mon avis sur lui... Disons qu'à présent, il était pire que jamais même si je ne savais strictement rien de tout ce qui avait pu conduire à quelque chose d'aussi radical qu'un divorce. Je regardais Nate un peu trop obstinément après avoir évité son regard de longues secondes. J'attendais... D'autres détails peut-être ? Mais il ne semblait pas en avoir à me confier, ou peut-être estimait-il que ce n'était pas à lui de me les partager. J'avais toujours les lèvres un peu pincées et cet air contrarié lorsque je soupirais enfin. La situation ne semblait pas l'avoir inquiété suffisamment pour qu'il tente de reprendre des nouvelles, mais je ne pouvais pas lui jeter la pierre. Il n'y avait pas toujours des coupables, parfois c'était... les aléas de la vie. Pas vrai ? J'avais, tout à coup, terriblement besoin de quelque chose à quoi me raccrocher sans trop savoir ce qui aurait suffi, je me sentais dans une lente dérive, destination complètement inconnue.

Les points d'interrogation me forçaient à garder le fil de la conversation. Je tentais d'ailleurs de trouver l'information qu'il me demandait quelque part, dans un recoin de mon esprit en pagaille. « Euh, des semaines. » Il fallait déterminer ce qu'il entendait par « contact », il y avait bien eu quelques SMS ci et là, mais aucune conversation plus soutenue que cela. Le professeur revenait à la charge quant au fait que ma présence serait sans doute la bienvenue aux côtés de ma blonde. Je retenais presque ma respiration, au moins une seconde ou deux. « Ouais. » Ce n'était pas que je n'étais pas convaincu. Non, il était déjà clair que je tenterais de prendre contact avec elle. Non, que j'irais directement chez elle, surtout si elle ne me répondait pas. Enfin. « C'est comme quand on plaisante sur ces sujets sur lesquels il ne faut pas plaisanter... La maladie, les accidents, la mort... Et que ça se produit. » Si Nate suivait bien le fil de ma pensée, il avait compris que je me sentais coupable. Coupable d'avoir haï un homme qui me donnait, jusqu'à preuve du contraire en tout cas - coupable jusqu'à preuve du contraire -, raison de l'avoir haï dès le premier jour. « Tom ? » La petite voix d'Ophelia me tirait à nouveau de mes pensées. Je lui adressais un sourire. La jeune fille se levait et s'approchait de moi pour m'offrir son dessin enfin terminé. « Wow. » C'était sincère. « Je dirais que tu m'as fait beaucoup plus beau que dans la réalité. » Ophelia m'entourait de ses bras et je laissais échapper un rire léger. Les enfants comprenaient tant de choses que nous, les adultes, compliquions allègrement. La petite m'annonçait qu'elle devait aller aux toilettes et je la laissais filer en laissant mon regard flotter sur le dessin quelques secondes. « Je lui en voulais, et je crois que je lui en veux toujours. Je ne sais pas comment me positionner là-dedans. Ça ne veut pas dire que je lui souhaitais d'être malheureuse, pas du tout. » Même que la décision la plus sage que j'avais prise était celle de prendre de la distance de notre amitié, peut-être, un peu trop fusionnelle. La façon de l'appliquer avait sans doute manqué un peu de tact, mais bon. « Je ne sais pas si je suis la meilleure personne pour l'épauler. C'est à toi qu'elle l'a dit, pas à moi. » Confiais-je au brun, juste avant d'ajouter : « T'es toujours partie intégrante des drames de ma vie, ça te vaudrait bien un titre honorifique. » Et surtout, en quelque sorte, beaucoup de reconnaissance parce qu'il ne s'en montrait pas encore exaspéré, alors qu'il aurait pu.

Après tout, la réaction de Tom n’avait rien d’étonnant. Le professeur lâchait une bombe sans aucune délicatesse et s’imaginait en plus qu’elle ferait plaisir à son ami. Mais quelle idée ?! Il n’y avait bien que Nate pour être aussi tordu. Pris au dépourvu, il se débrouilla donc bien maladroitement pour essayer de rattraper sa bêtise et assura son interlocuteur qu’il n’avait jamais eu l’intention de le blesser. C’était uniquement du Nate, tout craché, qui pouvait se montrer particulièrement inélégant de temps à autre. Un signe de tête en guise de compréhension. Peu convaincant. Et voilà, le géographe avait réussi à faire de cette rencontre une petite catastrophe. Mince, la boulette. Pour une pause détente, c’était raté. Que ce soit pour lui ou Tom qui ne semblait plus dans son assiette. Par chance, Nate trouvait toujours une façon de passer à autre chose, une phrase, une question à sortir en cas de besoin. Mouais. Demander à Tom depuis combien de temps ils ne s’étaient plus parlé, ce n’était clairement pas LA bonne idée. Mais bon, là encore, ce n’était que ce bon vieux Nate assis en face de lui. Et pas une fin psychologue doué d’un tact impressionnant. La réponse fut sans surprise. Sur un ton dubitatif, peut-être un peu gêné. Oh, il n’y avait pas de quoi l’être avec Nate. Il avait fait pire, et même plus encore si cela était possible. Ne pas contacter une amie pendant quelques semaines ? Rien d’inquiétant. Rien d’alarmant. Mais sans doute pas quand il s’agissait du duo Lilly-Tom.

D’apparence assez stoïque (la plupart du temps), Nate finit par froncer ostensiblement les sourcils à la réplique de son ami. Il devait s’en passer des choses dans sa tête, puisque le professeur ne comprit pas où il voulait en venir avec ses histoires de sujets sur lesquels ne pas plaisanter. Ou peut-être qu’il jouait à l’idiot et ne voulait pas comprendre de peur… Etait-il possible que Tom lui adresse une critique ? Non. Pas possible. Mieux valait laisser couler. Pour tout le monde. C’est alors que la petite à côté interpella son babysitter. Timing parfait. Pas besoin de changer de sujet de façon étrange après la dernière remarque. Nate en profita pour passer commande. Un sandwich bien gourmand avec une salade pour l’accompagner, histoire de dire qu’il mangeait correctement. Le temps que son attention se focalise à nouveau sur ses compagnons de déjeuner, la jeune fille annonçait devoir aller aux toilettes. Encore mieux niveau timing ! La conversation pourrait être un peu plus honnête, sans quelque oreille innocente et (peut-être?) curieuse. Et là, les confessions commencèrent. Sourire compatissant. Pas la peine de le dire, Nate avait compris. Pour le reste, il n’était cependant pas d’accord. Nate qui serait la meilleure personne pour épauler quelqu’un pendant un événement difficile ? Le connaissait-il vraiment pour sortir une telle chose ? Certes, il pouvait se montrer sympathique, voire empathique, de temps en temps mais… C’était si rare. Il n’avait pas la délicatesse de l’ami parfait dans ces conditions. Un signe de tête, négatif. « Elle me l’a dit parce qu’on s’est croisés et que j’ai eu la bonne idée de demander où il était. C’est tout. » Et c’était la pure vérité. Pas de mensonge. Pas d’embellissement de la vérité. « Je suis pas très bon dans le rôle du confident, crois-moi ! Tu le feras bien mieux. » Et Nate le traînerait lui-même chez Lilly s’il le fallait. La remarque qui avait suivi la première parvint à lui arracher un mince sourire, sur la retenue. Il était vrai qu’ils avaient un don pour se croiser à des moments disons… particuliers. « Si tu veux je t’appelle dès que le prochain me tombe dessus, pour partager un peu ? » Léger rire. Non, ça lui ferait peur d’entendre Nate déverser sa haine. « Ou alors, on peut parler de quelque chose de bien moins déprimant pour changer... » Ça, c’était mieux. « C’est la fille d’un ami ? De la famille ? » Qu’il ajouta dans un sourire, plus franc cette fois-ci. Au moins, on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir tenté de sortir de cet engluement dans le drama made in Tom et Lilly et de ne pas rattraper la nouvelle indélicatesse de l’année.