Until the pain is gone

Casey & Nate (Old Maple | 22 Avril 2019)

Un week-end parfait. Un week-end ensemble. Rien qu’eux deux. Enfin, il y avait eu Granny Connors pour quelques heures. Et puis, disons plutôt un samedi parfait. Un anniversaire parfait. Ensuite, il y avait eu ce dimanche. Cette journée chargée de souvenirs qui remontaient à la surface. Dans la douleur. Nate avait senti en cette fin de week-end que Casey n’allait pas aussi bien qu’elle voulait lui faire croire, à mesure que la nuit approchait. Et cette date. Le lendemain, ce ferait déjà un an que la prise d’otage aurait eu lieu. Déjà. Un an que leur petit monde avait volé en éclats. A cause de ces fanatiques. Et à cause de Nate qui n’avait pas eu le courage d’affronter la vérité, la réalité de son passé pour être aux côtés de la jeune femme et l’aider à surmonter ses cauchemars. Son traumatisme. Mais ça, ça avait changé dès l’instant où elle avait accepté de retrouver ses bras sur cette plage en novembre. Une seconde, et il s’était promis de tout faire pour la rassurer, pour la protéger et l’aider à tourner la page. D’agir, vraiment. De ne pas rester une ombre, lointaine, à l’aider pour finir par lui reprocher un comportement qui n’était en rien sa faute. Non. D’agir. D’être là. Une vraie promesse. Comme il s’était promis, au fil de la journée, de ne pas la laisser affronter seule le retour brutal des souvenirs qui la hantaient. Il avait fait en sorte de la garder occupée toute la journée, puis lui avait proposé de venir à l’université avec lui le lendemain. Ce fameux jour. Ce fameux « anniversaire ».

La nuit avait été agitée. Des cauchemars. Oh, c’était bien loin de la terreur qui les avait réveillés tous les deux il y a quelques mois. Très loin. Mais préoccupant. Le brun n’aimait pas la voir ainsi. Perdue, affolée, triste. Alors il l’avait réconfortée, il l’avait serrée dans ses bras pour l’aider à se rendormir paisiblement. Sans grand discours cette fois-ci sur les raisons de ce réveil nocturne. Juste sa présence. Puis ils s’étaient rendus à Burlington en début de matinée. Elle, elle finalisait sa thèse. Lui, il s’occupait de ses quelques cours. Et ils auraient l’après-midi pour eux, puisque Nate avait décidé de mettre l’avancement d’un projet universitaire entre parenthèses pour la journée. Pas d’après-midi au boulot, mais un après-midi ensemble. Tous les deux. Un restaurant. Une errance dans le centre-ville. Le long des vitrines, le long du lac Champlain.  Le professeur avait gardé le silence tout ce temps. Accord tacite. Il valait mieux ne pas évoquer l’évidence. Ne pas avouer la raison de ce sursaut de romantisme. Ne pas raviver les blessures. Mais ça ne pouvait plus durer. Il y en avait assez, de ces démons qui les hantaient en se jouant d’eux, en profitant de leurs faiblesses, de leur culpabilité. Il fallait les chasser. Il fallait essayer, au moins. Et, malheureusement pour Casey, la seule idée qu’il avait eu était de la forcer à faire face à ses cauchemars. Nate et sa délicatesse. Toujours.

Un mensonge. Voilà ce qu’il avait sorti pour la convaincre de le suivre jusqu’à Redwood Hills. Ils rentreraient tranquillement, retrouveraient leur cocon pour cuisiner et manger ensemble. Oui. Peut-être. Mais il avait omis un arrêt. Un obstacle à franchir avant d’être libre. Enfin libre. A moins qu’elle ne le prenne mal, et qu’il empire la situation. C’était ce qu’il commençait à se dire, dans la voiture, alors qu’ils approchaient de la petite ville. Il ferait mieux de bouleverser son programme. Juste rentrer chez eux. Ne rien dire. Et passer à cette deuxième année d’emprise des mauvais souvenirs. Vraiment ? Subir, encore ? Non. Une année, c’était déjà bien trop. Alors, arrivant à Redwood, il ne prit pas le même chemin que d’habitude. Pas exactement. Le soleil commençait à descendre, doucement en cette fin de journée de printemps, et offrait une lumière apaisante. Puis ils arrivèrent. La destination. Le silence, alors que Nate doutait de plus en plus que ce soit une bonne idée, alors que Casey devait commencer à comprendre ce qu’il avait en tête. Il s’arrêta devant, coupa le moteur et prit la main de la jeune femme assise à côté de lui. « Tu me fais confiance ? » Pour affronter ses souvenirs. Affronter leurs souvenirs. Et retourner sur les lieux, retourner au Old Maple. Ou au moins le regarder, de loin, et exorciser ses angoisses. Ensemble.

La journée de son anniversaire avait été parfaite, elle avait passé la journée entière avec Nate et une petite partie de la soirée avec lui et sa granny pour une rencontre et un anniversaire. Elle avait été certaine que sa granny s'entendrait bien avec Nate et cette soirée l'avait simplement confirmé. En vrai, ils allaient sûrement s'entendre comme larrons en foire dans pas longtemps. Gladys Connors était chiante mais elle l'adorait cette vieille originale. Elle avait profité à fond, sachant très bien que les jours qui suivraient seraient bien moins évident. Un anniversaire terrible s'approchait également, celui de la prise d'otage. Elle avait rejeté toutes ces pensées pour le jour de sa fête, mais elles revinrent lentement et insidieuse dés le lendemain. Les souvenirs l'envahissaient par vague et ça n'avait rien de facile pour la jeune femme. Elle avait vécu un événement traumatisant et puis s'était laissée sombrer, elle n'en était d'ailleurs pas fière du tout, elle en avait même honte. Casey avait toujours tout affronté la tête haute jusqu'à ce fameux jours où les crises de panique l'avaient mises à terre. Certes, elle s'en était relevée, mais il lui avait fallu des mois et plusieurs grandes claques métaphoriques dans la face. Elle avait un peu fait comme si, parce qu'elle n'avait pas envie de se laisser envahir à nouveau, noyer à nouveau… elle ne voulait en aucun cas cacher ce qu'elle ressentait à Nate, mais elle en avait eu besoin pour ne pas se laisser emporter. Et puis elle savait pertinemment qu'il savait très bien ce qu'il se passait. Il avait redoublé d'attention et surtout avait redoublé d'idées pour la tenir occupée le plus possible. Elle s'était d'ailleurs prise au jeu avec plaisir… tout pour lui éviter de trop penser de toute façon.

La nuit les emmenant sur ce jour fatidique avait été peuplée de cauchemars et de souvenirs, mêlant réalité et ce qui aurait pu arriver… et heureusement pas aussi violent que les terreurs nocturnes qu'elle avait pu vivre dans le passé. Elle s'était réveillée en sursaut plusieurs fois, la peur au ventre. Une fois, elle se débattait même dans son sommeil tandis que Nate tentait de la rassurer… sa présence auprès d'elle l'avait aidée à dormir au moins quelques heures, collée à lui, entourée de ses bras… elle s'y savait en sécurité et aimée, ce qui mettait un peu de baume sur son cœur encore blessé par ces événements. Le lendemain, c'était la fameuse date, celle qui avait vu, il y a un an, une prise d'otage dans un restaurant du village qu'était Redwood Hills. Oh oui, elle était nerveuse et un peu triste aussi. La veille, quand il le lui avait proposé, elle avait accepté avec plaisir de venir à l'université avec lui, cela lui permettrait de mettre un point final à son mémoire et à se garder occupée. Elle avait même souri à l'idée qu'il viendrait certainement la voir à chaque fois qu'il le pourrait, juste pour vérifier que tout allait bien. Cet homme qu'elle aimait à la folie était si prévenant avec elle, si attentif. Une matinée bien occupée pour Nate et pour Casey, qui se plongea profondément dans sa thèse. Et l'après-midi et bien, elle l'apprit ce matin-là, ils l'auraient pour eux. Il l'emmena à Burlington pour faire du lèche-vitrine et se balader tranquillement en amoureux. Elle avait souri, durant la plus grande partie de la promenade. Ils avaient conversé tranquillement de sujet et d'autres mais évitant soigneusement celui de la prise d'otage et ils avaient également gardé le silence de longs moments, profitant simplement du moment. Ils n'ouvrirent pas la boîte de Pandore.

En fin de journée, ils rentrèrent à Redwood Hills et Casey était légèrement tendue, elle ne pouvait le nier. Un peu distraite en voiture, elle avait cru Nate quand il avait parlé de rentrer à la maison rien que tous les deux pour cuisiner un morceau à deux et passer une soirée tranquille, évidemment. Jamais elle n'aurait pu deviner ce qu'il avait en tête. Elle sortit de sa distraction alors qu'il tourna à gauche au lieu d'à droite pour rentrer chez eux. Elle ne dit rien et observa la route et elle sut. Elle sut sans vouloir vraiment y croire, elle ne passait que le minimum vital devant ce restaurant et n'y avait plus mis les pieds depuis ces événements. À vrai dire, elle l'avait totalement et purement évité, faisant parfois même des détours pour ne pas passer devant… et lui, il l'y emmenait. Elle en fut certaine quand il arrêta le moteur. Elle ne se tourna pas tout de suite, observant le bâtiment où elle avait vécu l'enfer. Un léger tremblement la prit et elle serra ses mains l'une contre l'autre par réflexe, pour éviter qu'il ne s'inquiète. Oh bien sûr, il s'inquiéterait, elle le savait. Elle se tourna finalement vers lui, ne sachant pas quoi ressentir ou quoi dire, elle le laissa parler. Lui faisait-elle confiance ? Oui, entièrement. Elle hocha doucement la tête. Elle soupira doucement et puis hocha une nouvelle fois la tête. "Oui, je te fais entièrement confiance." Elle regarda le restaurant un instant et puis hocha la tête. "J'imagine qu'il est temps…" Elle sortit de la voiture et puis rejoignit son homme et lui saisit la main. "Je crève de trouille… tu restes avec moi…" Elle avait mal et ça se voyait, elle serra sa main, complètement stressée. "Je sais pas si j'y arriverais." Et pourtant elle savait qu'à terme, cela serait certainement bénéfique. C'était juste que l'intérieur de ce restaurant lui rappellerait tout ce qui s'était passé et tout ce qui avait suivi… Elle tremblait un peu et il devait le ressentir. Elle mourrait de peur à vrai dire.

Cette idée était un peu folle. Une surprise, et pas une bonne. Nate, lui, aurait détesté qu’on lui fasse ce coup et serait parti en un coup d’éclat. Quelque parole mal placée, quelque geste désagréable. Il aurait mis le paquet. Alors pourquoi infliger une telle chose à Casey ? Pourquoi ? Malheureusement, la réponse était d’une simplicité affligeante. Parce qu’il se sentait incapable d’en parler avec elle. Comment lancer une telle conversation ? Comment trouver les mots justes ? Les mots qui ne la blesseraient pas ? Qui ne l’accableraient pas ? Il ne savait pas. Il ne savait jamais. Trop maladroit. Trop brutal. Trop évasif. Oh, il y avait le choix. Alors, bête comme il était, il avait décidé d’allier tous ses défauts pour en sortir la pire idée du siècle : l’emmener dans ce restaurant. L’emmener sur le lieu de ses cauchemars, l’obliger à confronter ses peurs, sans lui donner le choix. Bien sûr, il ne serait pas indélicat en la forçant à faire quelque chose qu’elle ne souhaitait pas. Ils verraient bien, sur place, comment les choses se passeraient. Mais… mon Dieu, quelle idée ! Quelle folie, Nate, de lui imposer cet arrêt, de lui imposer cette vision. C’était donc légèrement nerveux qu’il prit le chemin de retour vers Redwood Hills, après une journée à Burlington. Nerveux, oui, et presque indécis. Devait-il vraiment le faire ? Fallait-il vraiment le faire ? Les minutes qui séparaient les deux villes lui laissèrent le temps d’y réfléchir. Pourtant, il en arriva à cette conclusion. Pourquoi reculer maintenant ? Impossible. Il fallait que tous les deux parviennent à tourner la page de ce triste événement, aussi douloureux qu’il soit. Il le fallait, pour qu’ils ne se laissent pas piéger par des cauchemars, par un sentiment de culpabilité. Par tout ce qu’avait engendré cette dramatique prise d’otage. Pour elle. Pour lui. Ça n’avait pas été les mêmes souffrances, mais chacun d’eux avait cette marque. Une terrible cicatrice, comme marqués au fer rouge. Visible pour elle, invisible pour lui. Et il était temps de l’accepter, de se l’approprier. Et de ne plus en avoir peur.

Le moteur coupé. Oui, il lui avait fait ce sale coup. Ils étaient devant le Old Maple, fameux restaurant de l’horreur. Et le silence régnait dans la voiture. Nate sentait la tension gagner Casey qui faisait tout pour faire bonne figure. Alors il ne tarda pas à poser sa main sur les siennes en guise de réconfort et à lui rappeler qu’elle pouvait lui faire confiance. Tout simplement. Un hochement de tête. Bien. Mais un soupir ? Bien sûr que ça ne serait pas facile. Pourtant, elle acquiesça à nouveau et formula sa réponse. Oui. Entièrement confiance. Parfait. Il resserra l’emprise de sa main sur la sienne pour lui assurer que tout irait bien, qu’il serait à ses côtés à chaque pas et la regarda, compatissant et bienveillant alors qu’elle annonça avoir compris son intention. En effet, il était temps d’affronter ses peurs. Ils sortirent tous les deux de la voiture et se retrouvèrent rapidement. Hors de question de la laisser seule plus de quelques secondes. Oh non, ce n’était pas une bonne idée. Pourquoi l’avait-il emmenée ici ? Elle était là, presque agrippée à lui, tremblante et terrifiée. C’était la pire idée du monde, à vrai dire. La voyant ainsi, il en devenait certain. Comme il savait pertinemment qu’il n’avait pas le choix. Qu’il ne pouvait plus reculer. Juste être là, présent pour elle. Quelle image donnerait-il s’il abandonnait ? Il s’approcha alors de Casey et la regarda, rassurant. « A n’importe quel moment, si tu veux qu’on s’arrête, qu’on retourne dans la voiture, qu’on s’en aille… Tu me le dis tout de suite, et on s’en ira. » Laissant sa main libre caresser sa joue puis remettre une mèche blonde rebelle à sa place, il fit de son mieux pour être le plus prévenant possible. Puis, il la prit doucement dans ses bras et reprit pour la réconforter comme il pouvait. « Je reste avec toi, promis. » Une promesse lourde de sens, dans ce lieu à quelques pas où les presque mêmes mots avaient été prononcés et brisés en quelques minutes seulement. Mais cette fois-ci, rien ne l’empêcherait de tenir parole. Se détachant légèrement d’elle, le brun déposa brièvement ses lèvres sur le front de la jeune femme et lui sourit. Bienveillant. Il reprit sa main, la serrant doucement mais avec assurance, et l’invita à le suivre. « On y va ? » Qu’elle le dise si elle ne voulait pas. Qu’elle le dise, il ne le prendrait pas mal du tout.

Terrorisée, c'était le mot qui convenait le mieux à son état d'esprit actuel. Évidemment, elle avait réussi à se changer les idées durant toute la journée. Bosser sur son mémoire avait été un exutoire parfait, surtout qu'elle devait le rendre dans les prochaines semaines, donc c'était parfait. Et puis un après-midi agréable en amoureux, la journée avait été aussi parfaite qu'elle pouvait l'être pour cette date fatidique qui la traumatisait encore aujourd'hui, après une année. C'était clairement un sale coup qu'il lui faisait. Elle avait peiné à y croire jusqu'à devoir se rendre à l'évidence quand il arrêta le moteur de la voiture devant ce bâtiment qu'elle avait fui durant un an. Elle ne dit d'abord pas un mot, parce que dans un sens, elle savait que c'était un passage presque obligatoire et qu'elle n'était pas sûre qu'elle en aurait eu le courage un jour. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait pensé à quitter cette petite ville, cette région qu'elle aimait pourtant et peut-être même cet État. Avec tout ce qui leur arrivait ici, elle pensait encore de temps à autre que ce pourrait être une solution, même si le Vermont lui manquait et même si elle ne voudrait pas s'éloigner tant de sa granny, même si celle-ci parlait depuis quelques temps d'emménager définitivement dans le Sud. Enfin ce n'était pas le sujet. Perdue, elle le laissa parler et ne put qu'hocher la tête. Bien sûr, elle lui faisait une confiance totale et elle avait compris, malheureusement ou heureusement peut-être. Le fait qu'il serre sa main et soit à ses côtés, ça lui donnait du courage mais elle avait peur que cela ne soit pas suffisant pour réussir à entrer dans ce restaurant, celui de ses cauchemars.

Et pourtant, pourtant, elle sortit de la voiture et ils se rejoignirent vite, elle serra ses mains et avoua ce qu'elle ressentait, de la pure terreur. Mais Nate le savait, il lisait parfaitement en elle et elle savait pertinemment qu'elle ne dissimulait rien en ce moment. La peur et le stress se lisait dans son attitude, dans ses yeux, sur ses lèvres qui tremblaient légèrement, ses mains qui enserraient la main de Nate de manière désespérée. Elle leva les yeux sur son partenaire et Casey hocha simplement la tête à ses mots. Il lui donnait le contrôle total, si elle voulait partir, ils le feraient, à n'importe quel moment. Cela la rassura quelque peu, mais à quelque part, elle savait qu'il fallait qu'ils fassent cette démarche aujourd'hui, pour tenter de se libérer de ce qui s'était passé il y a une année. Elle sourit légèrement quand il remit une mèche de cheveux derrière son oreille, habitude qu'il avait souvent, quand ses cheveux étaient lâchés et qu'elle adorait. Quand il la prit dans ses bras, elle se blottit contre lui et prit de longues inspirations pour se calmer, Nate avait toujours eu cet effet-là sur elle, il l'apaisait. Les gens qui connaissaient le jeune homme pourrait se demander comment cela était possible, mais elle s'en fichait, c'était la simple vérité, il lui avait toujours apporté une tranquillité d'esprit, un apaisement… il restait avec elle, c'était ce qu'elle avait besoin d'entendre, même si elle le savait déjà, il ne l'abandonnerait pas. Ou plus, disons plutôt. Il y a un an jour pour jour, il avait disparu de sa vie sans une explication, peut-être bien que cela aussi ça la travaillait un peu. Elle ne pensait pas qu'il lui ferait ça, pas une seconde fois. Il l'aimait.

Un baiser sur son front l'apaisa encore un peu et elle serra sa main en retour quand il serra la sienne et puis finit par hocher la tête. Oui, il était temps d'y aller. Elle prit une grande inspiration après avoir fermé les yeux quelques secondes et fit un pas en avant. Le premier. Le plus dur. Enfin elle l'espérait. Ils marchèrent donc côte à côte. Main dans la main, oui, mais Casey était également au plus près de lui, épaule contre épaule presque. Elle ne voulait pas s'éloigner tout en sachant que c'était puéril. Rien ne se passerait aujourd'hui, elle était simplement hantée par des souvenirs. S'approchant de la porte, elle tremblait légèrement à nouveau. "Cette journée devait simplement être une belle journée… un bon repas, de la bonne compagnie et des rires." Après quelques secondes d'hésitation, elle hocha la tête à la demande muette de Nate et il ouvrit la porte. Ils rentrèrent tous les deux dans l'établissement où elle avait longtemps été une habituée à vrai dire. "C'était tout décoré, une grande table au milieu de la salle, c'était vraiment chouette. Avec Eli, on attendant Melo et leur maman." Elle se mordit la lèvre. "Mais tout a viré à l'enfer, ça s'est passé tellement vite." Elle observa autour d'elle. "Ca a changé. Pas beaucoup mais un peu…" En regardant devant elle, elle posa une main sur le bas de son ventre, là où une nouvelle cicatrice était apparue suite à cette journée d'enfer. Une balle l'avait frôlée avant de se planter dans la jambe du petit garçon. Restant figée, elle regardait un lieu précis, celui qui avait vu tout ce qui s'était passé. Elle se tourna vers Nate. "Tu veux bien me prendre dans tes bras ? Juste une seconde…" Ils étaient en public et tous les deux plutôt prude, mais elle avait besoin un instant de ce contact salvateur pour ôter les images qu'elle avait dans la tête. Il y avait eu tellement de sang.

Il était là, devant le Old Maple à se demander s’il faisait le bon choix. Elle était là, devant le Old Maple à sans doute se demander pourquoi il lui infligeait ça. Pourtant, ils savaient tous deux qu’ils n’avaient pas le choix. Qu’il fallait avancer, tourner cette page douloureuse de leur vie. Qu’il fallait se forcer à faire face à leurs souffrances pour écrire une nouveau chapitre plus léger et prometteur que ce précédent si tourmenté. Oh, il avait bien fini. Par miracle. Et on ne pouvait pas en espérer mille dans une vie. Alors Nate avait décidé de cette folie, de ce moment dans le restaurant qui avait vu se passer un véritable cauchemar. Pour ceux qui s’y trouvaient, comme Casey. Et ceux qui l’avaient vécu de l’extérieur, comme lui. Une angoisse différente, certes, et le professeur ne prétendrait jamais en ressentir une d’une intensité égale à celle de la jeune femme mais…. Elle était là, cette angoisse. Insidieuse, terrée dans l’ombre et prête à ressurgir dès que la première fissure, la première faille finirait par laisser entrevoir un passage vers la lumière. Vers la réalité. Le regard des autres. Heureusement qu’il s’était trouvé un rôle à la hauteur de ces préoccupations, pour qu’il n’ait plus qu’à penser à la blonde. A vivre cette fin de journée pour elle, afin qu’elle n’ait pas à combattre ses démons seule. Un rôle de surprotecteur qui lui convenait divinement bien, mais finirait un jour par s’écrouler tant son silence sur cette fameuse journée d’il y avait un an et les mois qui avaient suivi ne faisait que s’éterniser. A moins qu’il ne se brise aujourd’hui.

La rassurer, c’était tout ce qu’il pouvait faire à présent. Lui montrer qu’il était là pour elle, qu’il la soutenait et la soutiendrait dans toutes ses décisions. Même si elle souhaitait partir loin d’ici, retourner chez eux et ne plus repenser à cette sordide histoire. Parfait, ils étaient d’accord sur les termes de la soirée. Il ne restait plus qu’à se lancer. Nate fit tout ce qu’il pouvait pour la mettre en confiance, tout ce qu’il pouvait en public, et ils finirent par s’élancer vers le restaurant. Clairement pas bondé, rien d’étonnant pour cette date. Et en général. Qui aurait envie d’aller déjeuner ou dîner dans un théâtre de l’horreur ? Certainement pas Nate. Et pourtant, les voilà devant l’établissement. Face aux souvenirs. Ça aurait dû être un bon moment, oui. Ça aurait dû. Ça le serait, ce soir. Le brun ferait tout pour. La laissant prendre le temps d’être prête, il finit par ouvrir la porte et s’engouffrer dans le Old Maple avec elle. La main serrant toujours la sienne. Non, c’était une mauvaise idée. Elle avait l’air si mal. Pourquoi lui infliger un tel malaise ? Ou peut-être était-ce lui qui ne supportait pas cette ambiance pesante ? Nate avait envie de faire demi-tour, de quitter ce lieu, alors que la jeune femme reprit la parole. Quelques bribes de récit. C’était étrange, cette impression d’avoir été là sans l’avoir été. Très étrange. Comme s’il vivait par procuration la situation. Ce qui était encore pire, puisqu’il la découvrait presque et ne la comprenait pas. Enfin, il la comprenait, mais pas comme ceux qui l’avaient vécue. Et puis, il restait comme un idiot. Là, à attendre que la jeune femme réagisse. Bien ? Mal ? Il n’en avait aucune idée. Elle ne faisait que regarder autour d’elle. Ce premier contact depuis un an. Et cette main sur sa cicatrice. Le professeur avait envie de la serrer dans ses bras, de la rassurer en lui disant que rien ne l’atteindrait ce soir-là. Pourtant, il se l’interdit. Se disant qu’il ne valait mieux pas tenter un geste qui ne ferait qu’accentuer une peine déjà vive. Sauf qu’elle finit par le réclamer. Devant les quelques présents dans ce restaurant. Bien sûr. Bien sûr qu’il la laisserait se blottir entre ses bras malgré les témoins. Longuement, si elle en avait besoin. Tant pis si, d’un regard extérieur, cela paraissait étrange. Alors, il s’exécuta pour répondre aux besoins de Casey. Il s’approcha d’elle comme il l’approcha de lui. Il profita de sa douceur et de sa vulnérabilité pour retrouver ce rôle qui lui confiait une grande responsabilité. Une responsabilité qu’il ne gâcherait pas cette fois-ci, en restant à ses côtés après sa promesse.

Lorsque leur étreinte prit fin après qu’il a déposé ses lèvres sur sa joue,  on les guida vers une table. Loin de l’endroit où le drame s’était joué, il l’espérait. « La table te va ? » Qu’il lui souffla discrètement, bien qu’il n’aurait aucune gêne à demander un changement de place si besoin. Une fois installés dans un coin convenable, Nate prit le temps d’observer la jeune femme. Franchement, cette idée de venir ici était terrible. Mauvaise. Catastrophique. Espérait-il vraiment finir le dîner ici ? Bref. Trop de questionnements et doutes. La soutenir, et tourner la page. La soutenir, et tourner la page. Il fallait qu’il se répète cet objectif, pour ne pas empirer les choses. On leur donna la carte, avant qu’ils soient à nouveau tranquilles. Une remarque sur le menu, peut-être, pour changer de sujet ? « Leurs feuilletés de champignons sauvages sont délicieux… Tu les as déjà goûtés ? » Qu’il sortit avec un sourire affectueux. Oh la belle bourde. Mais, en même temps, comment aurait-il pu savoir que ça avait été l’une des entrées servies ce fameux jour ?

Nate lui infligeait tout une épreuve et pourtant, elle ne lui en voulait pas. Elle était simplement consciente que c'était encore une étape à passer pour tenter de mettre cet événement derrière elle, derrière eux, une bonne fois pour toute. Certes, ça n'allait pas être évident et elle tremblerait sûrement de peur pendant des heures, mais elle le ferait. Elle était prête, enfin peut-être. La présence rassurante de cet homme qu'elle aimait, l'aidait énormément et ils finirent par franchir le pas de la porte tous les deux. Casey savait que Nate ne la quittait pas des yeux tandis qu'elle observait autour d'elle en libérant des bribes de cette journée d'enfer. Elle lui fut reconnaissante de lui laisser prendre le temps d'appréhender le lieu avant qu'il ne la prenne dans ses bras sur sa propre demande. Blottie contre lui, elle se sentit un peu mieux et surtout cela lui donna la force pour continuer encore un peu. Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, il resterait à ses côtés et si elle voulait partir, ils partiraient. C'était l'important pour elle de savoir cela et qu'il tienne cette promesse. Bien sûr, elle savait que leur relation avait énormément évolué depuis cette fameuse journée il y a un an, mais il existait encore une petite peur au fond de son cœur que Nate se réveille un jour et disparaisse simplement de sa vie. Peur qu'elle arrivait à faire taire le plus souvent grâce à la confiance que cet homme unique avait réussi à gagner, mais son passé revenait la hanter de temps à autre et sa peur de l'abandon revenait la dévorer doucement. Il connaissait ses démons, elle lui en avait parlé même si ça n'avait pas été facile. Ils avançaient, ensemble, c'était l'essentiel.

Elle sourit doucement quand il posa un baiser sur sa joue et puis elle se laissa guider jusqu'à une table. Elle hocha la tête quand il voulut être sûr que la table convenait. Ça n'avait que peu d'importance, mais ils étaient dans un coin tranquille, ce qui l'arrangeait… surtout que le milieu de la salle était l'endroit où tout s'était passé. Le but d'aujourd'hui ? Tourner la page, évidemment. Ce n'était pas vraiment évident et il l'avait clairement prise au piège, mais elle avait accepté le challenge. Elle était maintenant silencieuse et pris le menu qu'on lui tendit. Elle regardait le dit-menu tout en étant un peu distraite. Elle leva les yeux quand il se mit à parler et elle grimaça légèrement. Casey savait très bien que c'était pour changer de sujet et essayer de passer une bonne soirée. Un petit rire nerveux lui échappa. Mauvais choix pour Nate, mais il ne pouvait pas savoir que c'était l'une des premières et dernières choses qu'elle avait goûtées avant que l'enfer ne se déchaine dans ce petit restaurant de campagne. "C'était un des plats servis…" Il l'avait sûrement deviné à son visage. "Je sais pas si j'arriverais à être à l'aise un jour dans ce resto, je comprends pas pourquoi ils ont pas tout refait en fait ! Ça ferait pas tout, mais je pense que ça aurait aidé, non ?" Elle était toujours nerveuse et le serait sûrement encore longtemps, mais elle s'était détendue, au moins légèrement.

"Et si on prenait juste un petit truc avant de grignoter un truc plus solide à la maison ? On pourrait prendre un petit dessert ? C'est toujours bien de commencer par le dessert…" Elle lui sourit doucement. "C'est tellement triste ce qui s'est passé ici, mais ça a dû être terrible d'être dehors également…" Oui, c'était une ouverture qu'elle lançait à Nate, sans savoir s'il prendrait la perche ou non. C'était un sujet très délicat pour l'un et l'autre, elle le savait. Mais peut-être qu'il était temps de vraiment crever les abcès afin de pouvoir vraiment avancer sur une route dont les obstacles avaient été retirés, enfin ceux du passé en tout cas. Parce que oui, elle aurait préféré dans un sens changer de sujet… mais autant prendre le taureau par les cornes et tenter de voir s'ils pouvaient communiquer sur cet événement, ça ne pouvait qu'être bénéfique, non ? Elle l'espérait sincèrement. Toute son attention était concentrée sur Nate, elle ne voulait pas laisser son regard vagabonder et laisser trop de souvenirs l'envahir par surprise. Elle comptait le faire, peut-être, mais un lieu à la fois et quand elle s'y sentirait prête. Mais dans le fond, il y avait surtout le souvenir intense du coup de feu, le reste n'était pas si précis que ça dans son esprit… c'était un mélange de cri et de bordel sans nom, ce n'était pas cela qui l'avait tenue éveillée des nuits et des nuits.

Plus la soirée avançait, plus Nate regrettait de s’être lancé dans une telle folie. Lui imposer de presque revivre ce moment qui, une année auparavant, l’avait brisée… Pauvre Casey. A croire que les cauchemars ne suffisaient pas, il fallait que le professeur en rajoute en transformant ses visions en réalité. Pourtant, il fit de son mieux pour chasser ces idées de son esprit et être tout à fait disponible pour la jeune femme qui devait passer cette étape. Certes douloureuse, mais nécessaire afin de tourner la page d’un triste chapitre de leur vie. Un chapitre qui avait façonné leur relation, pour le pire avant de se métamorphoser en meilleur. A présent, il était à ses côtés, s’assurait que chaque pas soit sûr, dans la bonne direction. Encore plus en cet instant, alors qu’ils étaient entrés dans le restaurant et qu’elle avait besoin de lui. Sa pudeur, il pouvait bien l’oublier un moment pour lui offrir tout le soutien dont elle avait besoin. Il pouvait bien éclipser la présence des autres et serrer dans ses bras cette femme qu’il aimait plus que tout pour répondre à sa demande. Sa seule demande, dans cette improvisation que Nate lui imposait depuis leur arrivée à Redwood Hills. Comme ça, ils restèrent quelque temps. Pas longtemps. Mais assez pour que Casey se sente plus à même de reprendre la soirée et d’en passer une partie dans cet endroit. Un sourire doux, qu’il adorait et qu’il lui rendit, avant de partir en quête d’une table avec un serveur. Parfait, elle convenait à la jeune femme. Parfait… C’était un bien grand mot pour qualifier un moment aussi délicat. Mais bon, le professeur se satisfaisait déjà de ces quelques minutes passées, ces quelques minutes qu’elle avait réussi à supporter dans cet Enfer.

Dans sa maladresse, il ne prit pas conscience de son erreur lorsqu’il essaya de changer les idées de sa compagne en évoquant un plat apparemment délicieux. Un feuilleté de champignons. A sa grimace et son rire nerveux, il comprit cependant rapidement son erreur. Ce n’était quand même pas… ? Et si. Merde. Son coeur battait un peu plus fort qu’à l’accoutumée. Gêné. Désolé. Mais ce n’était pas le moment de se confondre en excuses, de rendre la situation encore plus laborieuse. Tout se transmit alors par un simple regard, et sa main qui se rapprocha d’elle pour appeler la sienne et la serrer doucement alors qu’elle expliqua ne pas se sentir à l’aise. Normal. L’écoutant, tout simplement, il trouva mille réponses et excuses pour justifier un manque de changement de décor dans le restaurant. Manque de moyens ? Manque de temps ? Parce que, fermer un restaurant si longtemps pour le retaper entraînerait un manque à gagner… Mouais. Ce n’était pas très convaincant à côté du besoin de faire oublier le drame à tout le monde. Mais bref, Casey n’attendait pas de réponse. Alors, il les garda pour lui et se contenta de laisser le bout de ses doigts glisser sur la main de la jeune femme en ajoutant d’un air compatissant : « Ça aurait été bien, oui. » Au fond, qu’est-ce qu’il en savait lui ? Il n’avait pas été à l’intérieur quand tout s’était passé. Il n’avait rien vécu de cette horreur, il n’avait pas les murs, les décorations, imprimés dans sa mémoire pour lui rappeler. Les cris. Les supplications. Les coups de feu.

Un nouveau sourire. Rendu, encore une fois. Commencer par le dessert avant de retrouver la maison. Elle avait de ces idées… Mais il adorait. Serrant sa main, il acquiesça dans ce même sourire. « Je prendrais bien une part de tourte aux pommes. On partage ? » Bien sûr, il ne serait pas contre qu’elle prenne un autre dessert et qu’il puisse en avoir un bout… Pourtant, l’envie de plaisanter lui passa rapidement. Avec les paroles qui suivirent. Ça a dû être terrible dehors également. Oh Casey, si seulement tu avais idée. Mais comment pourrait-il dire cela alors qu’elle aussi avait eu ses peines à supporter ? Sentant son regard un peu trop insistant sur lui, il la fixa un instant. Le visage fermé. Puis il eut cette triste habitude. Détourner le regard. En n’oubliant pas, bien sûr, de relever légèrement le menton pour tenter de conserver un air altier qu’il sentait lui filer entre les doigts. Non, il n’avait pas envie de parler de ça. Quel hypocrite. Lui, qui obligeait Casey à revivre son cauchemar. Lui, qui refusait qu’elle lui rende la pareille. Son regard se fixa sur un élément de décor insignifiant. Un point d’évasion. « Je savais même pas que t’étais là avant de découvrir la liste. » Pareil pour les deux autres, mais il s’en fichait royalement actuellement. « Je pouvais rien faire. A part attendre. » Et Casey savait à quel point Nate détestait se sentir impuissant, inutile. C’était ça, lui, son cauchemar. Il aurait mille fois préféré avoir été à l’intérieur, avoir été à ses côtés pour qu’elle n’ait pas cette cicatrice sur son corps et ces regrets sur sa conscience. Être à ses côtés. « Et la seule chose que j’avais à faire... » Il l’avait ratée. Comme d’habitude. Il était parti, s’était enfui. Tentant un regard vers elle, le professeur ne tint pas bien longtemps et baissa le regard. Ultime preuve de son échec. De sa honte.

Elle ne lui en voulait pas, parce qu'elle savait pertinemment qu'il voulait bien faire. Et dans le fond, elle espérait sincèrement qu'il avait raison et que c'était un passage obligatoire et qui l'aiderait à passer à autre chose, qui les aiderait tous les deux finalement. Parce qu'elle savait qu'il en avait souffert également de cette prise d'otage, pas pour les mêmes raisons, mais c'était un fait. L'étreinte, une fois la première étape franchie lui fit du bien et ils purent aller s'installer à une table. Celle-ci lui convenait, même si elle aurait milles fois préféré se trouver ailleurs, évidemment. Nate tenta de lui changer les idées en parlant du menu, ce qui ne fonctionna pas vraiment vu qu'il lança la discussion sur un des mets présents à cette fameuse journée, un an plus tôt. Il ne dit rien, mais le fait qu'il semblait vraiment désolé et qu'il lui prenne la main pour la soutenir dans ces instants la soulagea grandement. Elle se concentrait sur cet homme qu'elle aimait par-dessus tout, tout simplement. Et cela l'aidait, vraiment. Elle était plutôt étonnée qu'ils n'aillent pas changer le décor, ça aurait sûrement pu aider. Dans le fond, elle ne comprenait pas vraiment comment cela se faisait qu'il y ait encore des gens qui venaient manger dans ce restaurant. Et puis elle proposa de commencer par le dessert, cela leur permettrait de ne pas rester ici trop longtemps, ça leur permettrait de rentrer plus tôt et de manger quelque chose de solide.

Il serra un peu plus fort sa main et puis acquiesça, ce qui ravit la jeune femme. Il se décida très vite, une tarte aux pommes, un bon choix. Elle se mordit la lèvre et hocha la tête. "Je veux bien partager… mais je vais en prendre un aussi. Un fondant chocolat." Quoi de mieux que du chocolat pour se remonter le moral, à part Nate évidemment… "Mais je veux bien partager quand même…" Et puis une fois la commande faite, elle ne put s'empêcher de tendre une perche à son homme. Elle ne savait pas trop s'il allait la saisir ou pas, mais elle avait besoin de lui laisser cette chance également. L'observant, elle remarqua tout de suite que son visage se ferma et qu'il détourna le regard. Elle se disait qu'il n'allait pas saisir cette opportunité, mais il reprit la parole. Il ne savait pas qu'elle y était jusqu'à ce qu'ils voient la liste et puis il ne pouvait rien faire à part attendre. Elle soupira doucement et hocha la tête. Il avait dû se sentir tellement impuissant et puis il avait dû voir les autres noms également sur la liste… celui de son frère et de la mère de sa fille, Hesther. Elle releva les yeux à la suite, la seule chose qu'il avait à faire… et il ne finit pas sa phrase. Elle serra sa main, un peu plus fort. "Faut pas… ce qui s'est passé, c'est passé. Je t'en veux pas." Enfin le mot plus exact était qu'elle ne lui en voulait plus. Oh oui, elle lui en avait horriblement voulu tandis qu'elle descendait plus bas que terre, mais ce n'était pas parce qu'il était parti. C'était parce qu'il avait disparu de la circulation et qu'elle s'était sentie abandonnée, encore une fois.

Elle fit bouger son pouce, caressant la main de son homme avec tendresse. "Tu t'es rattrapé, tu n'imagines pas à quel point." Et c'était la vérité, mais que pouvait-elle dire de plus ? Elle lui avait pardonné, entièrement. Que ce soit le fait qu'il l'ait laissé seule ce jour-là ou qu'il n'ait rien répondu et même son attitude plutôt désagréable par la suite… bon, elle avait pas été tendre non plus. À vrai dire, elle avait réussi à tout lui pardonner, que ce soit les mots durs, l'abandon ou même les non-dits. Elle regarda un instant autour d'elle, mais se concentra rapidement sur Nate à nouveau. Elle n'avait pas envie de voir cet endroit. Elle soupira doucement à nouveau. "Ca m'a fait tellement de bien de te voir en sortant de cet endroit." Quand elle avait découvert qu'il n'était plus là, elle s'était simplement dit qu'il s'était passé quelque chose et qu'il avait dû rentrer. Elle n'aurait jamais pu imaginer qu'il avait vu son frère et la mère de sa fille s'embrasser évidemment, vu qu'elle ne savait pas encore qu'il avait une petite… ni qu'Hesther était son ex d'ailleurs. Quelle histoire quand même. C'était fou le nombre d'étapes par lesquelles ils étaient passé tous les deux, en un peu plus d'un an. Leur dessert fut finalement servi et prenant sa fourchette, elle attaqua sérieusement son fondant au chocolat.

On pouvait presque la toucher, la sentir, cette atmosphère lugubre qui reniait dans le restaurant. Cette envie de Casey de déguerpir d’ici le plus rapidement possible. Et Nate la comprenait. Enfin, pas véritablement, mais il faisait de son mieux pour compatir à ses souffrances. La soutenir dans ce cauchemar éveillé. Mais ne surtout pas le revivre avec elle. Il ne manquerait plus que ça, qu’il s’effondre à cause de souvenirs trop douloureux. Marqué par de terribles erreurs, par de terribles découvertes. Par une horreur sans nom qu’il n’avait jamais su gérer. Tant de choses s’étaient passées, s’étaient vues bouleversées en une seule journée. Trop de choses. Gardant la tête haute, le professeur s’était toujours interdit d’y repenser trop longuement. Plus de nuits à traîner dans les bars pour oublier. Plus de nuits d’insomnie à attendre que le temps passe, que les images s’effacent. En vain. Refouler tout ça, c’était la bonne décision. Refouler, la solution à chaque problème qu’il rencontrait. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à perdre pied et se retrouver moitié ivre sur une plage d’un parc, en plein automne, à avoir envie de se laisser entraîner au plus profond par sa fatigue ? Jusqu’à se retrouver abattu, à bout de force, humilié, face à celle qu’il avait rabaissée alors que la culpabilité l’avait rongé ? Mais pas jusqu’à aujourd’hui. Il se l’interdisait. Parce qu’il fallait bien offrir un pilier solide à Casey qui ne méritait pas d’avoir à s’occuper en plus d’une épave incapable de se gérer seule.

Pour le moment, c’était discussion dessert. Léger rire. « Je sais même pas pourquoi je t’ai demandé. » Un fondant au chocolat. Toujours, avec Casey. Le brun lui sourit doucement, davantage lorsqu’elle accepta le partage. A vrai dire, ce serait sans doute elle qui taperait le plus dans son assiette que la réciproque, puisque Nate n’avait jamais été un grand adepte des fondants au chocolat. De tout dessert, d’ailleurs. Même s’il ne disait rarement à une belle part de gâteau. Malheureusement, cette conversation fut rapidement remplacée par une autre moins plaisante. Casey, qui tentait de le faire parler sur son ressenti à lui. Cette prise d’otage vécue de l’extérieur. Sa réaction fut immédiate. Un regard dévié, perdu sur n’importe quoi tant que ce n’était pas les yeux de la blonde qui attendait une réponse. Une réponse qui finit par arriver, malgré la réticence de l’interrogé. Oh non, il n’avait pas envie de parler. Et pourtant, il se sentait presque obligé. Comment demander à la jeune femme de s’ouvrir sur ce sujet si lui n’en était pas capable ? Il se fit alors violence, et parla. Pas grand-chose. Rien de surprenant. Pas de grande révélation. Ou d’envolée lyrique pour exprimer ses sentiments. Juste des regrets. Comme souvent, avec Nate. Des regrets, des remords. Et l’impossibilité de retourner dans le passé pour effacer la souffrance.

Les mots, les gestes de Casey parvinrent tout doucement à Nate qui commença à s’apaiser. Parfait, il n’était pas allé trop loin. Il pouvait se reprendre, sans se sentir submergé par les souvenirs. Son regard se fixa progressivement dans le sien, calme. Un peu torturé, encore. Mais ça, ce n’était rien d’étonnant avec lui. Surtout dans cette situation. C’était sans doute ce qui l’empêcha d’esquisser un bref sourire sur son visage lorsque la jeune femme lui annonça avoir particulièrement apprécié sa présence à sa sortie. Après tout, à l’époque, ils ne s’étaient revus que quelques fois. Et même si le professeur avait de l’estime pour elle un an auparavant, il n’avait jamais été au stade d’imaginer quelque chose de plus ambitieux. Ou peut-être un peu, mais dans une sorte d’illusions perdues à cause de tous les secrets qu’il avait encore. « Je crois que c’est ce jour-là que ça a vraiment commencé. Pour nous. Enfin... pour moi. » Parce qu’il ne pouvait pas parler pour Casey. « Un peu raté comme début mais... » Eh bien, le voilà tout de même ce sourire. Bref, certes, mais bien là. Il avait au moins le mérite d’accompagner ses paroles, puisque son regard commençait à avoir du mal à soutenir celui de la jeune femme. Le discours devenait trop personnel, trop intime. Regarder son gâteau ou celui de Casey qui diminuait à vue d’oeil était bien plus facile. « Je m’en rendais pas spécialement compte à l’époque, mais t’étais devenue… plus importante à mes yeux. » Non, il n’avait pas été fou amoureux un an auparavant mais ce drame avait sans doute déclenché quelque chose. Et oui, il était absolument en train de dévier la conversation pour ne plus avoir à parler de la prise d’otage en elle-même. Ceci dit, parler de ses sentiments pouvait s’avérer tout aussi délicat.

Elle voyait bien que Nate faisait tout son possible pour faire en sorte que cette soirée ne soit pas une horreur, mais il savait bien que ce serait difficile comme Casey le savait également. Cet endroit lui rappelait tant d'horreurs qu'elle avait vécue et qui avait lancé les hostilités pour sa descente aux enfers… dans le fond, c'était ça qui était le pire pour elle. Bien sûr, elle avait vécu des événements traumatisants et ils la hantaient encore, mais si elle y pensait vraiment en profondeur, c'était ce qui avait suivi qui lui avait fait le plus de mal. Ils parlèrent dessert, ce qui remettait toujours un léger sourire sur le visage de la jeune femme. Un fondant au chocolat, la réaction de Nate la fit rire doucement. Il avait raison, elle était plutôt prévisible sur ce point… elle adorait le chocolat, surtout le noir. Et bien sûr qu'elle acceptait le partage, en même temps, elle savait pertinemment qu'elle serait gagnante. Nate n'était pas vraiment dessert, pas autant qu'elle en tout cas. Mais ce petit moment de détente ne dura pas, pourquoi ? Parce que Casey avait envie de profiter de cet instant pour tendre une perche à Nate. Oh certes, elle n'était absolument pas sûre qu'il la saisirait, il pouvait être très borné quand il s'agissait de ne pas partager ce qu'il ressentait ou avait ressenti. Mais elle en avait besoin, besoin d'avoir un peu plus de détails et peut-être bien pour l'aider à vraiment passer au travers de cette journée qui l'avait blessé également, elle le savait aujourd'hui.

Il se referma comme une huître, elle pouvait le lire sur son visage… ses expressions, ses mouvements. Elle fut donc assez étonnée quand il se mit à parler. Dans le fond, ils s'étaient peu vus jusque-là, vu qu'ils s'étaient retrouvés que peu de temps avant cet événement. Mais il fallait avouer qu'à chaque fois, ça avait été plutôt intense et Casey avait été abasourdie, à ce moment-là, de découvrir que leur complicité était restée intacte. Mais malgré tout cela, il s'en voulait quand même, encore. Après un an. Elle ne pouvait pas vraiment juger vu qu'elle se sentait encore un peu coupable du fait qu'Eli ait été blessé lors de cet événement. Et puis elle ne put que lui dire la vérité, elle ne lui en voulait pas. Casey lui avait vraiment et complètement pardonné, que ce soit son départ précipité après avoir vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû, ainsi que tout ce qu'il avait pu lui dire les mois qui avaient suivis. Ils étaient tous les deux blessés et avaient faits de nombreuses erreurs, mais ils l'avaient tous les deux avoués, afin de pouvoir avancer à nouveau. Ce qu'ils faisaient ensemble depuis déjà plusieurs mois maintenant. Et puis la jeune femme n'avait jamais vraiment été du genre rancunière. Elle sourit doucement à la suite, il pensait que c'était là que ça avait commencé pour eux, enfin pour lui du moins. Un peu raté… oui, définitivement. Ils avaient eu un sacré mauvais départ et c'était presque un miracle qu'ils aient réussi à en refaire un.

Et c'était presque un miracle qu'il mette des mots sur ce qu'il avait ressenti, sur ce qu'il ressentait. Nate était avare de mots quand il s'agissait de parler de sentiments ou de ressentis… il faisait passer tout cela par ses gestes, par ses actions, très rarement par ses mots. Alors cela la touchait particulièrement quand il se faisait violence pour tenter d'en parler. Ses yeux étaient d'ailleurs fixés sur les gâteaux. Il tenait donc déjà plus à elle que juste une fille qu'il mettait dans son lit à l'époque… cela, elle le savait, enfin, pas vraiment mais un peu quand même. Si elle avait juste été une nana qu'il appréciait avoir entre ses draps, ils ne se seraient certainement pas retrouvés quelques mois plus tard, ce qu'ils avaient vécu auraient pu être mis de côté également, mais leur relation ne se serait pas développée comme elle l'avait fait, de cela, elle était sûre. dElle savait aujourd'hui qu'elle était déjà à moitié amoureuse de lui durant cette prise d'otage, même si elle n'en était pas consciente à ce moment-là. Elle avait toujours tenu à lui et l'avait toujours considéré comme un ami, mais leurs retrouvailles dans ce club de jazz avait donné une toute autre dimension à cette relation qui avait été quasi inexistante durant l'année qui avait précédé. L'attraction avait toujours été là, l'amitié également, ils avaient toujours adoré débattre à bâtons rompus de milles sujets différents. Il l'avait toujours autant stimulée intellectuellement que sensuellement et ils avaient retrouvés cela en un clin d'œil. Ça avait été une pure folie cette soirée, pure folie qu'elle n'avait jamais regrettée… même au plus bas, quand elle avait essayé, ça n'avait jamais vraiment fonctionné. "Je pense aussi. Enfin… il faut avouer que ça avait plutôt bien commencer dans le club de jazz…" Oh oui, elle osait faire une allusion du genre. Les joues de la demoiselle devinrent légèrement rose, évidemment. "J'ai essayé de te détester, mais j'ai jamais réussi." Elle vint lui prendre la main et la serra doucement. "Merci…" Pourquoi ? Parce qu'elle se sentait un peu moins mal alors qu'elle était toujours dans ce restaurant qui avait vu l'enfer se déchaîner. Parce qu'elle arrivait encore à plaisanter un peu et à rougir. Parce qu'elle se sentait en confiance avec lui et surtout en sécurité, et ce, malgré toute la merde qu'il y avait eu et qu'il y avait encore. Avec lui, c'était ce qui comptait.