THE IDEAL WANNABE PADDY TRAP

ANAPHORE

Il se fait un peu tard, mais pas trop tard pour que le Garnett ferme ses portes. Et il n’est sacrément jamais trop tard le jour de la Saint Patrick. Jamie n’a pas pour coutume de célébrer cette fête. Non pas qu’il en célèbre beaucoup d’autres… La Saint Patrick, ça lui arrive. Pas de manière régulière, mais de temps en temps, elle lui évoque la joie, aucun souvenir douloureux, aucune absence, alors il se laisse emporter. Pas qu’il ait pour coutume de sortir en ville non plus. Encore moins en soirée. Il n’explique pas comment, moins il passe d’heures au commissariat, plus il fréquente le centre-ville. Oh bien sûr, il a une petite idée, et cette petite idée se nomme Grace. Ce soir, il ne vient même pas la retrouver. Il est seul, et ça lui va. Ça lui va toujours. Il n’empêche que, peut-être bien qu’il espère trouver des visages familiers dans l’agitation de la fête. Oui, peut-être bien. Si ses origines sont trop anciennes pour se prétendre irlandais, il n’a pas besoin d’excuse, de prétexte pour se laisser séduire par la perspective d’une bière et de la déco de couleur vert un peu partout. Ouais, il s’est fait attirer dans le bar comme les insectes sur les néons, attiré par les couleurs festives comme ces petites bêtes par la lumière vive. La dernière fois qu’il s’est posé au Garnet, c’était pour une raison tout autre. Plus triste, aussi. Et ça le fait hésiter un peu. Parce qu’il ne se sent pas triste, et n’a pas envie de le devenir. Non, il ne veut pas finir noyé dans la mélancolie après quelques verres. Il se remémore la discussion qu’il a eu au comptoir avec Gwenn-Aël, l’air morose sur son visage qu’il n’a toujours pas compris. Ou que trop bien, tant il ressemblait à celui habillant son propre visage. Il pense à des choses plus futiles, aussi, d’autres plus terre-à-terre. Que c’est dimanche soir, qu’il devrait penser au lundi. Qu’il devrait être chez lui. Chez lui, là où se trouve son vieux père, tiens. C’est plutôt lui qui serait du genre à courir dans le premier bar pour un évènement pareil. Un bar, c’est bien la seule chose qui le ferait sortir de son trou. Les rôles s’inversent ce soir, cette pensée fait sourire le fils alors qu’il met un pied à l’intérieur.

Assailli par la musique traditionnelle, il sourit parce qu’il reconnait l’air. Whack for my daddy oh there's whiskey in the jar. Ce n’est pas du whiskey qu’il cherche, et il s’avance vers le comptoir, vers les pressions, quand il l’aperçoit. Nate. Impossible de se manquer. Le bar n’est pas suffisamment bondé. Jamie continue de sourire. Pourquoi ne sourirait-il pas ? Il se sont déjà croisés depuis le désastre dans le parc, quand il avait fini le coeur lourd sur son banc, et se sont même souri. Alors il sourit cette fois aussi. S’il pourrait s’en contenter, ce n’est pas le cas. Pas Jamie. Têtu comme il peut l’être. Il avance comme prévu jusqu’au comptoir, mais revient avec deux pintes au lieu d'une dans les mains, qu’il pose tout près de Nate. « Celle-là c’est pour m’excuser. Je tiens à le faire. » Le professeur doit savoir qu’on ne s’excuse pas soi-même. Jamie n’a simplement pas trouvé de plus jolie façon de le dire. Ni d'occasion propice jusque là. « J'aurais pas dû parler de... Ça t'a fait dire des choses dont tu te sentais sûrement pas à l'aise de parler et j'aime pas ça. » Le mettre mal à l'aise était bien la dernière chose qu'il souhaitait. Qu'il souhaite, d'ailleurs. « Je t’aurais pris un super t-shirt aussi si j’avais su que tu serais là. » Oh. Oui. Ça. Il ouvre blouson et gilet d’un tour de main, dévoilant un t-shirt tout vert avec une inscription blanche ''everyone loves an irish boy''. Se trouver face à Nate lui donne un sens inattendu. Pour l'instant, il se retient de rire. Ça ne vaut pas le costume de Joseph dans lequel il l’a surpris à Noël, mais ça vaut bien quelques rires.

Qu’est-ce qu’il faisait là ? Seul ? Après un merveilleux week-end en amoureux à New York ? Trouver Nate au Garnet était bien étonnant. Mais non, ce n’était pas un mauvais amant qui préférait la compagnie d’un verre à celle de la femme qui partageait sa vie. C’était tout simplement un homme qui n’avait pas eu envie de passer la soirée de la Saint Patrick seul, chez lui, alors que Casey était partie pour une heure ou deux. Voir une amie qui quittait l’état dès le lendemain matin, s’il avait bien compris. Bref. Il ne posait pas trop de questions, souhaitant lui laisser une partie de sa vie rien qu’à elle. Sans lui. Nécessaire, pour un bon équilibre dans leur relation. En tout cas, Nate en était convaincu. Peut-être parce que lui aussi avait besoin de se retrouver seul, de temps en temps, malgré tout le bonheur que la jeune femme lui apportait. Et ce soir-là, c’était le bar de la petite ville qui accueillait son envie de changer d’environnement. Risqué, très risqué. Et si Fynn avait eu la même idée ? Le professeur n’y avait pas réfléchi. N’avait pas voulu y réfléchir. C’était la Saint Patrick, le Garnet était le seul bar de Redwood Hills. Point. Tous les irlandais d’origines, lointaines ou non, se devaient de boire ne serait-ce qu’un verre en l’honneur de cette journée. Tous. Même les faux irlandais qui se trouvaient des ancêtres miraculeusement pour la soirée.

Installé au comptoir du bar, un peu excentré, Nate n’était pas si à l’aise. Pas autant qu’il l’aurait souhaité. Ça faisait longtemps qu’il n’avait plus mis les pieds ici. A cause de son frère. A cause de Casey. Grâce à Casey ? Oh, Nate n’avait jamais été du genre à boire plus que de raison, à finir par tituber en prenant la porte, comme d’autres bien trop familiers des banquettes et tabourets qu’offraient le Garnet, mais réduire sa consommation d’alcool ne pouvait être qu’une bonne chose. Pourtant, les habitudes revenaient vite. Une discussion, puis une autre avec des irlandais de coeur et un peu de sang comme lui. Mouais. C’était d’une tristesse, en réalité, d’être seul dans un bar. De se contenter de superficialité avec des inconnus. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Sans but. Sans ami. Sans Casey. Toujours elle, qui revenait. Toujours. Et sa robe rouge à New York. Un sourire, venu de nulle part pour tout le monde ici, sauf lui. Lui, qui avait l’esprit encore dans cette grande ville merveilleuse. A ce week-end merveilleux. Ce fut au bout d’un certain moment qu’il sortit de ses pensées pour observer les alentours. Comme s’il avait senti qu’une présence pouvait illuminer sa soirée. Enfin, la rendre plus intéressante. Il rendit à Jamie son sourire et se retrouva rapidement avec une pinte juste à son niveau. Et un ami, aussi. Un ami… qui s’excusait ? Incompréhension totale. Oui, c’était déjà dur pour le professeur de comprendre ce besoin que tout le monde avait de s’excuser pour tout et rien mais alors là… Il avait beau réfléchir, Jamie ne lui avait fait aucun tort. « T’excuser… ? » Pour quoi ? De quoi ? Ah. Pour l’autre fois. Le parc. Nate finit par sourire. « Oublie ça, c’est pas grave. C’est moi je me suis emporté. » Et des excuses ? Non. Jamie l’avait déjà fait, pas la peine d’en rajouter. Pas la peine de lui rappeler, non plus, qu’il avait presque pété un plomb en se mettant à parler de sa fille et de son frère. « Mais merci, tu sais que je peux jamais résister à un cadeau de ce genre... » Qu’il ponctua d’un sourire espiègle. Il n’y avait rien de mieux qu’une bonne bière pour corrompre Nate. Encore plus un soir de Saint Patrick. Un t-shirt ? Hm… Pas sûr. Pourtant, le voir sur Jamie eut un résultat totalement attendu. Large sourire. Léger rire. « Pas mal, pas mal. » Nate l’aurait bien évidemment pas porté. Pas son style. Mais il aurait apprécié le geste. Comme il apprécia avec délice sa plaisanterie. « T’aurais pas un costume de Jospeh plutôt ? » Impossible de ne pas le mentionner. Impossible. Son ami y aurait droit régulièrement. Tout ça pour plaire à Grace, c’en était encore plus drôle. « Alors, tu deviens quoi depuis la dernière fois ? » Avec elle, Grace. C’était ce qui l’intéressait, principalement. Nate avait entendu des choses, ici et là. Mais, maintenant, il attendait ce récit plein d’espoir. Un récit à l’opposé de leur dernière vraie discussion.

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ANAPHORE

Se trouver seul dans un bar n’a jamais posé de problème à Jamie. Il ne se sent pas seul. Ni triste. Ni rien. Il a simplement envie de sortir un peu. De voir du monde, pour une fois. De boire une pinte le sourire aux lèvres en se mélangeant aux autres petits hommes verts pour l’occasion. Et s’il croise quelques visages agréables entre temps, c’est tant mieux. Il ne peut pas faire comme si cela ne lui plairait pas, comme s’il n’avait pas pour réflexe d’analyser rapidement la salle, repérer qui est installé lorsqu’il se décide à entrer. Être seul tout court, n’importe où et en n’importe quelle occasion ne lui a jamais posé de problème non plus, d’ailleurs. Mais c’est un jour qui déroge à la règle. Il sait qu’en pénétrant à l’intérieur d’un bar, le seul de la petite ville qui plus est, le jour de la Saint-Patrick, il ne sera pas seul pour longtemps. Non, il y a peu de chances qu’il ne tombe pas sur un ou deux visages familiers. Un, en particulier. Celui de Nate. À peine entré qu’il n’est déjà plus seul. Jamie ne trouve rien de surprenant à sa présence ici, à première vue. Il fait un irlandais beaucoup plus crédible que lui. Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’il soit la deuxième personne sur laquelle il tombe pour la deuxième fois qu’il s’aventure au Garnet. Que, la fois précédente, celle qui a été la première depuis son retour en ville, il y ait croisé Gwenn-Aël. C’est ironique. Comme un coup du sort. L’humour assez particulier qu’a la vie, parfois. Ça remonte à quelques mois seulement, pourtant, Jamie a l’impression que tout a changé. L’ambiance est bien différente ce soir au Garnet, et sur le visage de Nate. Il n’a pas l’air morose. Pas vraiment à son aise non plus, mais rien à voir, non, il n’est pas noyé dans les verres. Pas que ça aurait fait une quelconque différence. Jamie se serait avancé vers lui de la même manière.

Jamie sourit en s’approchant de lui, le même sourire, le même enthousiasme qu’il arborait la dernière fois qu’ils se sont vus, dans le parc, vraiment vus, pas rapidement croisés comme pendant les animations de Noël. Il espère qu’il quittera le bar différemment qu’il s’était levé de son banc cette fois-là. Avec le même sourire sur les lèvres, non pas un masque d’amertume et de culpabilité. Culpabilité que la bière décharge, tel un réflexe bien encré. Il ne connait pas meilleur remède, meilleur prétexte, meilleures excuses non plus. C’est bien à cela qu’il s’emploie en offrant une pinte à Nate, des excuses, d’entrée de jeu. Lair perplexe qu’il reçoit en se mettant à parler ne peut pas le stopper. Même une gorgée de bière ne lui donnerait plus de courage. Jamie est déjà parti sur sa lancée et, quand Nate s’étonne verbalement, il va au bout de ses explications. Pas de quoi s’épancher non plus. Ni rappeler trop de détails potentiellement gênants pour le professeur. Du moins, c’est ce qu’il essaie de faire. Oublier, ce que son ami l’incite à faire, ça, il y arrive sans problème. Il agite une main dans le vite, balaye l’air comme pour balayer ses paroles. Laisse-tomber, va, ça veut dire. Jamie connait suffisamment Nate pour savoir qu’il n’est pas fait du même sang froid et calme que lui, même s’il a oublié de s’en méfier. « C’est bien ce que je me suis dit. » La bière plus efficace que les mots. Jamie retient tout en dévoilant son t-shirt aux couleurs de la fête. Pas mal oui. Le maximum qu’il a pu faire pour le côté folklorique. D’ordinaire, il se sentirait trop remarqué, pour le coup, c’est le meilleur moyen de se fondre dans la masse. De faire rire aussi. Il pensait que ça ne ferait rire que lui. Et bien non. C’est une bonne surprise. Aucunement comparable à la surprise de le voir déguisé en Joseph, ça va de soi. Nate n’a pas oublié. Il n’est certainement pas prêt d’oublier, mais oubliera bien avant Jamie. « Pas assez vert. » C’est de bonne guerre, et il donne le chance malgré le souvenir de cet évènement qui lui donne envie de descendre sa bière cul sec. « Tu veux savoir si j’ai fini par toquer à sa porte avec un bouquet de fleurs et des chocolats ? » Oh il devine aisément à quoi il fait allusion en lui demandant des nouvelles. Ça ne le gêne pas du tout cette fois, parce que les nouvelles à donner sont meilleures et que rien ne peut être plus gênant que lui dans le rôle de Joseph sous l’oeil critique de Grace. « Pas mal de choses ont changées pour nous depuis la dernière fois, pas vrai ? » Nous. Oui. Jamie insiste dessus, tente d’instaurer un léger suspense au passage. Tout en entamant son verre, il considère la question de Nate intensément, trop pour paraitre honnête. Il pense aux derniers évènements, à Grace et lui, cherche une façon de dire les choses. Qu’elle lui a avoué l’aimer encore, non, être follement et irrévocablement amoureuse de lui. Il faudrait qu’il dise exactement ça, mais c’est impossible. C’est trop, même pour se le dire à lui-même, et tout le reste, qu’ils se donnent une dernière chance, qu’ils veulent faire les choses en douceur, prudemment, lui semble à la fois si juste mais trop maigre, tellement éloigné de tout ce qu’il ressent. « Je te dirais ça si je survis aux présentations officielles. C'est prévu pour la fin du mois. » Bref, mais qui en dit tellement long. De quoi contraster avec la douceur et la prudence, lui faire perdre toute crédibilité s’il essaie de s’en défendre, mais une nouvelle intéressante pour Nate. Jamie lui tend la perche, en toute conscience. Quel genre d’ami serait-il s’il ne lui donnait pas l’occasion de le chercher un peu ?

Pour un soir de Saint Patrick, le brun était particulièrement morose. Oh, il n’y avait pourtant aucune tristesse à cet état. Pas vraiment. Uniquement un manque après avoir passé deux jours exclusivement avec Casey, enlacés et attentifs à l’autre à chaque seconde. Rien d’étonnant. Cette césure se faisait d’autant plus ressentir qu’il ne trouvait personne avec qui parler. Vraiment parler. Pas discuter, de tout et de rien, histoire de faire la conversation entre irlandais ou descendants d’irlandais sans s’y intéresser réellement. C’était dans ce genre de moment que Nate se rendait compte de la transformation que sa vie avait vécu avec le retour de la jeune femme de sa vie. Pour de bon. Enfin, il l’espérait. Il l’envisageait. Qu’est-ce que cela voulait dire de leur relation qui allait déjà bien vite ? Aucune idée. Le professeur n’en avait absolument aucune idée. Et, en vérité, il ne tenait pas à y réfléchir tant que ça. Le déménagement était suffisant, largement suffisant. Parfois trop, lorsqu’il avait besoin de se retrouver un peu seul pour retrouver l’homme et pas uniquement le compagnon, mais c’était le lot de la vie à deux. Il l’avait appris à ses dépens, avec Hesther, lorsqu’ils avaient emménagé ensemble avant l’arrivée de leur fille. Et s’il avait fini par craquer et faire une bêtise à l’époque, ce ne serait pas le cas aujourd’hui. Pas avec Casey. Parce qu’il faisait tout pour que leur couple trouve un équilibre parfait. Fragile, parfois. Mais jamais brisé. Jamais. Bref. C’était donc un Nate heureux qui se tenait au comptoir du bar, malgré les apparences. Un Nate épanoui, enfin, dans sa vie. Malgré quelques accrocs subsistant encore. Mais tout ça, c’était oublié quand il avait Casey en tête. Et quand il voyait un visage familier, un visage ami qui présageait une soirée bien plus intéressante. Jamie.

Ce fut tout sourire qu’il le vit s’inviter à ses côtés et lui offrir une pinte de bière. Pour s’excuser ? Mais de quoi ? Oh, c’était inutile. À vrai dire, c’était plutôt à Nate de lui présenter ses excuses pour avoir eu un tel comportement. S’enflammer contre un ami qui n’avait rien demandé ? Quelle mauvaise idée. Mais c’était Nate. Nate et ce sang qui ne faisait qu’un tour avant de le voir exploser sur place. La moindre des choses était donc de lui dire d’oublier. D’oublier ce fâcheux épisode de leur amitié. En tout cas, pour Nate, c’était déjà fait. Et puis, comment faire autrement lorsqu’une bière était offerte pour trinquer à leurs nouveaux départs ? Un sourire, et ils passaient à autre chose. De bien plus drôle. Le t-shirt de Jamie, sorti pour l’occasion, ce qui ne manqua pas de faire rire Nate. Et de le faire plaisanter sur la tenue de Joseph, bien entendu. Malheureusement, ce n’était pas dans le thème de la soirée. Dommage. De toute façon, le professeur était intéressé par toute autre chose à présent. Les dernières nouvelles animant la vie de Jamie. Les dernières nouvelles concernant Grace. Inutile de le formuler à voix haute, ils savaient tous les deux qu’il n’y aurait qu’elles dans leur conversation, ce soir. « Exactement. » Même s’il connaissait déjà la réponse. Mais l’entendre de Jamie serait bien mieux. Alors, il voulait tout savoir, de la saveur des chocolats à la couleur des fleurs. En attendant, il sourit à sa remarque. Beaucoup de choses avaient changé, tout à fait. Deux tristes célibataires qui avaient enfin retrouvé la compagnie de celles qui les faisaient languir. « Pas mal de choses, en effet. » Qu’il répliqua dans un sourire entendu, mais il voulait en entendre plus. Il ne pouvait quand même pas le laisser sur sa faim, ainsi. Sur le point de réclamer plus de son ami, il fut coupé dans son élan par une première révélation. Intéressante. Très intéressante. « Les présentations officielles ? Rien que ça ? » Non, il ne cherchait pas du tout à le faire stresser davantage en insistant sur la nouvelle. Tout sourire, il continua sur sa lancée. « T’inquiète pas, tu vas survivre. Mais, au cas où…. Tu veux que je t’appelle à une heure précise pour te donner une chance de t’échapper avant qu’ils t’achèvent sur place ? » Ce ne serait pas Nate s’il n’essayait pas de le taquiner gentiment. Et ce ne serait pas un bon ami s’il ne lui offrait pas une solution de repli. Au cas où. Même s’il était persuadé qu’il n’avait rien à craindre avec les enfants de Grace. Qui pouvait détester Jamie ? Mais ils n’étaient pas là pour discuter de la popularité de son ami. Cette fois-ci, le géographe ne laisserait pas passer sa chance de lui arracher des informations supplémentaires. Une gorgée de bière en l’observant le faire patienter, puis il se lança. Enfin. « Et c’est tout ce que tu vas me dire ? » Et qu’il n’essaie pas de détourner le sujet, Nate finirait par apprendre tout ce qu’il voulait. Ce qui signifiait exactement tout.

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ANAPHORE

Jamie ne serait tout de même pas venu ici parce qu’il a la trouille. Pour cogiter au rythme de la musique, un verre à la main pour oublier, penser à autre chose, à tout sauf au fait que l’avenir de son couple est encore fragile, incertain, et risque de voler en éclats dans une journée décisive. Non, franchement pas son genre. Se ronger les sangs de l’intérieur, cogiter à s’en retourner l’estomac sans ne jamais rien laisser paraitre, que le même visage qu’il arbore au quotidien, sérieux et calme, le sourire à jamais teinté d’une tristesse mélancolique et le regard lointain, un peu perdu. Ouais, ça, c’est déjà plus lui. Le solitaire n’a plus grand chose de perdu désormais. Ni de triste. Pas autant qu’avant. Ce n’est pas seulement dû à ce jour de fête, non plus à l’alcool qui coule à flot. Il n’y a même pas encore touché. Pas non plus uniquement au visage familier de Nate qu’il est allé embêter. Avec envie mais appréhension aussi. Parce qu’il se doit de présenter des excuses d’abord. Jamie n’aurait pu faire autrement, pas après l’autre fois, pas après s’être pris la colère et le désarroi de Nate de plein fouet. Que le professeur veuille bien de sa compagnie lui réchauffe le coeur, mais ce n’est pas seulement ça, non, c’est un tout, c’est une femme surtout. Toujours une histoire de femme. Et l’ancien inspecteur ne manque pas de remarquer qu’il n’est pas le seul dans cet état. L’ami à ses côtés lui ressemble étrangement. Il ne faut pas longtemps pour qu’ils portent les mêmes soupçons, la même curiosité l’un envers l’autre. Voilà, Jamie peut rougir en toute quiétude, en sachant qu’il pourra rendre la pareille. Se faire tirer les verres du nez ne l’empêchera pas de rire, pas plus que d’y aller de sa propre malice.

Exactement. Oui. Exactement les mêmes. Les mêmes célibataires maladroits et désœuvrés hier, et les mêmes amoureux transits aujourd’hui. À croire que leur existence s’est parfaitement coordonnée jusqu’à aujourd’hui, dans ce bar, leurs vies complètement métamorphosée. Meilleures. « Et bah… non. Pas de fleurs ni de chocolats, désolé. » Oh Jamie, Jamie… C’est tout, et oui, il jubile déjà. C’est rien du tout comparé à tout ce que Nate veut savoir. Il le sait, mais il fait durer le suspense. Pire que ça, il lui retourne la question. Pas vraiment une question en réalité, davantage un constat. C’est tout ce que ça restera d’ailleurs, un constat, répété par Nate un sourire entendu aux lèvres à travers lequel Jamie perçoit autre chose de plus taquin. Il espérait l’encourager à donner l’exemple en se montrant plus bavard que lui, peine perdue. Bien, bien, il semblerait que l’ancien policier doive passer aux aveux le premier. La première nouvelle qu’il lâche est lourde, un brin énigmatique également. Tandis qu’elle fait son bonhomme de chemin dans l’esprit du professeur, lui préfère prendre son temps, donner le reste des explications au compte-gouttes, en profitant pour faire descendre un peu sa pinte. « Et ouais ! Pour son anniversaire… J’ai déjà passé un peu de temps avec Melody, mais Elijah… » Il ne sait vraiment pas comment conclure sa phrase cette fois. Rencontrer les enfants de Grace, c’est plutôt une bonne nouvelle, parler de son fils… Il faudrait plus qu’une bière pour noyer la honte qu’il ressent de redouter un enfant de neuf ans. Mais plus encore pour noyer celle qu’il ressent de susciter autant sa haine en aimant sa mère d’un amour irrationnel. Par chance, Nate le sauve avec une proposition saugrenue mais tentante, assez pour sauter sur l’occasion. « Au moment des bougies, dans le noir je suis sûre que tout le monde n’y verra que du feu. » Il faut connaitre Jamie au moins aussi bien que le connait Nate pour se douter qu’il n’est pas réellement en train d’organiser sa fuite avec un complice. Complice, hein ? Peut-être pas. Il n’a pas l’air décidé à le laisser s’en tirer si facilement. Jamie attend la sentence en le regardant prendre une gorgée de sa bière, déjà tout ouï, la mine innocente, se demandant s’il cherche quelle question formuler ou s’il recherche l’effet de suspense. Ah. Est-ce tout ce qu’il va lui dire ? La moue du timide Jamie se renfrogne instantanément. C’est déjà beaucoup ! Oui, c’est déjà tellement ! Il exagèrerait volontiers, au lieu de quoi il préfère prolonger le suspense. « Ah. Oui. Le mystère de comment reconquérir une femme sans fleurs ni chocolats… » Il n’essaie pas de détourner le sujet… non… Il le retarde. Sa fierté de détective l’empêche de céder du premier coup. Du deuxième non plus. Il espère toujours dans un coin de sa tête, peut-être un semblant d’égo, ne pas céder aux confidences le premier. Ne pas craquer trop vite. « Mon petit doigt me dit que tu es plus calé sur le sujet que moi. » Insinuer qu’il se pourrait bien qu’il sache déjà tout. Qu’il sait quelque chose, au moins. Technique vieille comme le monde, mais toujours amusante. À son tour de descendre toujours plus sa pinte, trop lentement, et, égarant son regard un peu partout, comme perdu dans une profonde réflexion, il tombe sur un pot de cure-dents laissés là. D’un coup, il se montre vachement intéressé. Sous l’impulsion, l’un d’eux finit entre ses dents. Paré, il peut de nouveau fixer Nate, cure-dent mâchouillé façon cowboy avant un duel, le petit sourire malicieux au bord des lèvres et le défi dans le coin des yeux. L’ancien inspecteur est au bord d’une grande réalisation : « Ne rien faire, c’est sa la technique, pas vrai ?! » Son sourire franc a pour résultat de faire tomber le bâtonnet d’entre ses dents. Voilà qu’il bout maintenant, l’envie de tout lâcher le remue de l’intérieur. La jalousie, la peur, l’excitation, l’espoir. Tout. Bon sang, il ne prend même pas le temps de jubiler. « Si elle n’avait pas fait le premier pas… Ouais, je serai encore à me morfondre dans mon coin et à me torturer l’esprit chaque fois que je l’aurais croisée quelque part. Surtout si elle se trouvait avec quelqu’un. » Elle. Grace. Quelque chose lui dit qu’il pourrait tout aussi bien s’agir de Casey. Cette même sensation qui l’a finalement poussé à en dire plus. Jamie n’a pas oublié que c’est Casey qui a fait le premier pas vers Nate, pas qu’il a ignoré. Il revoit la honte sur le visage de son ami sans devoir faire le moindre effort pour s’en souvenir. C’est facile, lui non plus n’a rien fait quand il a croisé Grace accompagnée d’un nouvel homme. Il s’est contenté de sourires aimables quand en réalité la honte l’envahissait. C’est ce qu’il aurait continué de faire si elle n’avait pas tenue à lui parler. À coeur ouvert.

La soirée, qui s’annonçait bien trop déprimante pour une Saint Patrick, devenait subitement plus intéressante. Croiser le regard de Jamie qui l’invitait à le rejoindre marquait sans nul doute le départ d’une conversation ô plus plaisante que leur précédente. Difficile de croire qu’elle remontait à quelques mois déjà, alors qu’ils n’avaient pas pris le temps de se reparler véritablement depuis. Ils effacèrent donc rapidement tous ces vains regrets d’un trait, parce que les reproches sortis sans crier gare n’avaient aucun sens et ne pouvaient gâcher une si belle amitié. Et puis, il y avait bien plus passionnant à développer à présent de toute façon. Mais Jamie semblait d’humeur joueuse alors qu’il faisait languir son ami. Pas de fleurs ni de chocolats ? Soupir. Il secoua la tête. Jamie n’avait donc fait aucun effort ? C’était bien à lui de penser ça, alors que de son côté il n’avait quasiment rien fait pour désamorcer la situation avec Casey. Il n’y avait eu qu’elle pour les sortir de leurs regards sans plus plus gênés qu’autre chose. Avec l’aide de quelques verres et d’un coup de déprime chez son compagnon actuel. On pouvait donc dire qu’il avait contribué à la réconciliation alors, non ? Bref. C’est alors qu’il apprit que son interlocuteur était sur le point de rencontrer officiellement la famille de sa dulcinée. Pour son anniversaire en plus ! Cette excellente nouvelle décrocha un sourire au professeur jusqu’à ce qu’il comprenne le léger problème de l’événement. Le sourire devint compatissant, compréhensif. « Il finira par accepter aussi. » Et c’est là qu’il se rendait compte de sa chance de ne pas avoir eu ce problème avec Joyce et Casey. A vrai dire, Nate n’avait aucune idée de ce qu’il en était avec Melody, mais c’était ce qu’il avait lu entre les lignes. Et c’était compréhensible, dans un sens. Elijah était le garçon de la famille à présent et ne voulait sans doute pas voir sa mère lui être enlevée par ce qu’il voyait comme un intrus. « C’est très officiel alors tout ça… ! » Et très encourageant pour la suite et la confiance que Grace lui portait. Nate, lui, n’en était pas encore là alors qu’il vivait déjà avec sa compagne. Enfin, il n’était pas vraiment un exemple sur la marche à suivre dans les relations amoureuses. La plaisanterie continua alors que le brun en ajouta une couche. « Tu me diras l’heure, alors. » Pour le sauver, au cas où la rencontre ne tourne en catastrophe. Le sourire amusé sur son visage laissa place à quelque chose de plus rassurant, et plus réaliste. « Non mais t’inquiète pas, il n’y a pas de raison que ça se passe mal. » En réalité, il y en avait tout un tas. Mais était-ce vraiment le moment de lui confirmer ses craintes ? Absolument pas. D’autant que ce ne serait que de folles hypothèses.


« Alors ? » Il veut le connaître ce mystère, même s’il n’en avait pas besoin pour sauver ce qu’il avait espéré rester de sa relation avec Casey la dernière fois qu’ils s’étaient croisés avec Jamie. Par contre, sa curiosité mourait d’envie d’en découvrir plus. Malheureusement, la réponse se faisait attendre et l’impatience le gagnait. Si bien qu’il sortit une réponse en parfaite fausse modestie à la remarque suivante. « Plus calé, tout de suite. » Bien sûr que Nate l’était plus, mais il se garderait bien de le faire remarquer à son ami qui n’était pas là pour recevoir des commentaires vains. Et puis, le professeur avait beau se croire séducteur, il n’avait pas été plus capable de s’en sortir pour autant. « C’est pas de ma faute si elle n’a pas pu résister à mon charme plus longtemps. » La bonne blague. C’était plutôt lui qui avait été sur le point de s’effondrer devant elle si elle ne l’avait pas pris en pitié. Mais pourquoi parler des sujets désagréables ? Nate préférait de loin observer son ami qui semblait vouloir s’amuser avec un cure-dent. Choix étrange, mais bon. Pourquoi pas. Pourtant, pas de chance pour lui. Nate ne mordait pas à l’hameçon. Pas encore. Même avec tous les sous-entendus que Jamie pouvait faire en évoquant la façon dont il avait retrouvé Casey. Large sourire. Il avait raison, ne rien faire avait été la technique la plus efficace. Enfin… « plus efficace » n’était certainement pas l’expression idéale pour résumer ce qu’il s’était passé et les mois vécus séparés. Crache le morceau. Qu’il a presque envie de lui dire, alors qu’il observait tranquillement son ami mourir d’envie de partager plus qu’il voulait laisser paraître. Eh bien voilà, ce n’était pas si difficile. Mais… « Avec quelqu’un ? Tu l’as vue avec quelqu’un d’autre ? » Alors là, c’était une grande surprise. Si bien qu’il en oubliait le reste bien plus positif. Il avait vu Grace avec quelqu’un d’autre ? Le pauvre. « Je serais devenu fou si j’avais vu Casey avec un autre. » Et, croyez-moi, c’était un euphémisme. Se ravisant, il finit tout de même à penser à la grande information du jour (qui n’était en aucun cas une découverte). « Enfin bon, elle est avec toi maintenant. C’est l’essentiel. » Qu’il reprit avant de prendre une gorgée de sa boisson. « Et tu vas voir, ça se passera bien avec son fils. Il n’y a pas de raison si tu rends sa mère heureuse. » Grand sourire. En tout cas, il espérait de tout coeur que ce soit le cas. Pour son ami.

THE IDEAL WANNABE PADDY TRAP

ANAPHORE

Jamie a sa propre curiosité, ses propres questions sur la nouvelle vie de son ami. Il se demande ce qu’il fait là, s’il a été attirée par la lumière, ou peut-être l’alcool, un peu comme lui, ou s’il existe une autre raison qu’il ne soupçonne pas. Quelle qu’elle soit, elle ne doit pas être triste, ou alors quelque chose a changé en cours de route et elle ne l’est plus. Nate n’a pas l’air triste. C’est même tout l’inverse, il semble de très bonne humeur, serein. Jamie n’ira jamais jusqu'à penser qu’il peut y être pour quelque chose. Il s’est contenté de s’installer auprès de lui et, très vite, c’est comme si rien de fâcheux n’était jamais arrivé. Il en est très heureux. Tout comme il est heureux de renouer avec ce rituel à base de bière instauré entre eux. Une bière, il en aura bien besoin pour délier sa langue. Peut-être même plus d’une. Il doute en revanche que boire l’aide à délier celle du taciturne Nate. Mais tant pis. Il lui faut plus que quelques bières pour finir trop éméché et l’empêcher d’essayer. Surtout qu’il compte bien ouvrir grand les oreilles, ne rien oublier des nouvelles que le professeur voudra bien lui donner. Pour l’instant, c’est surtout lui qui en donne, au compte-gouttes, sous forme d’énigmes. Nate secoue la tête à ses mystères de fleurs et de chocolats, se rend-t-il compte qu’il l’encourage ? Jamie aimerait bien savoir comment s’en est sorti Nate, comment Casey et lui se sont réconciliés, mais il n’est pas assez joueur pour rester muet ni le cuisiner plus longtemps. Il est bien trop heureux, au fond, de partager la nouvelle du couple qu’il forme de nouveau avec Grace et ne tient pas très longtemps face aux questions du curieux professeur. Plus facile également de lui confier ses doutes, ceux qu’il ne peut exprimer à Grace, ceux la feraient douter davantage elle-même, elle qu’il se doit de rassurer. Nate sourit à la nouvelle, Jamie réalise : C’est exactement ce qu’il devrait faire, sourire, sourire et ne pas s’en faire. C’est encore difficile d’afficher un sourire franc et confiant en pensant à Elijah, mais acquiescer, à bon entendeur, ça il peut. Le soutien et l’optimisme que lui offre Nate sont très appréciés. « T’as vu ça un peu ? » Qu’il relance, plus décontracté. « On va essayer de faire les choses dans les règles, et en douceur, cette fois. » Jamie ne fanfaronne pas plus. Évoquer son erreur passée lui serre toujours le coeur, mais, après tout, l'erreur en question n’est pas un secret pour Nate. « Ça marche. » De nouveau amusé, il rebondit sur le plan d’évasion de plus en plus élaboré. « Tu as raison. » S’il ne le pensait pas, il ne s’amuserait pas autant de la situation. Non, il n’y a pas de raison que ça tourne mal, pas pour son anniversaire, non, ce serait vraiment terrible.

Alors ? Alors rien. Il patiente un peu plus. La clé du mystère ne se livre pas comme ça, sans un peu de suspense et un impact à la hauteur. « Ne sois pas si modeste. » Est-ce qu’il doit lui dire tout de suite qu’il ne l’a pas trouvée, la réponse à ce grand mystère ? « Ah j'te reconnais bien là ! » Ça lui fait trop plaisir de taquiner son ami, comme au bon vieux temps. Sans aller jusque dire que la modestie lui sied mal, Jamie n’irait pas jusque là. « Le charme naturel, c’était ça ta technique ? » Il s’arrête un instant pour considérer cette hypothèse, espérant que Nate lui donne quelque chose à se mettre sous la dents. Peine perdue. Alors il y va de sa propre hypothèse. « Ça doit être notre charme, alors, qui a fait tout le boulot à notre place. » Pour ne pas dire qu’ils doivent tout à Grace et à Casey. Non il n’irait pas jusqu’à accuser Nate de fausse modestie, sinon, comment pourrait-il lui-même se vanter de la sorte ? Mais il n’est pas réellement question de charme, non évidemment. Ne rien faire, la voilà la solution miracle, la chute de sa boutade qu’il livre enfin. Dur en affaire, il ne rebondit pas. Jamie voit déjà plus loin, difficile d’identifier lequel des deux s’impatiente le plus. Il a besoin que ça sorte, d’un coup, la vraie recette, vieille comme le monde. La jalousie, enfin. Pas de charme, du naturel peut-être, mais surtout de jalousie, enfouie jusqu’à imploser, jusqu’à ce qu’elle ne puisse que sortir. La honte qu’il ressent en l’avouant n’est pas comparable à celle de vouloir échapper à un enfant de neuf ans. Il y a trop de colère, trop de frustration dans celle-ci, à en casser son nouveau jouet s’il serrait un tout petit plus les dents. Une nouvelle fois, Nate le comprend et Jamie s’adoucit. « Oui.. euh non, non, oh bon sang. Pas quelqu’un d’autre, juste… » S’embourbe aussi. Et merde. Parler de ce quelqu’un plus en détails, il le refuse, catégoriquement. Parce que sa bière a bon goût, pour commencer, qu’il ne voudrait pas le gâcher, et parce que cette histoire n’appartient qu’à Grace. Jamie est bien trop pudique pour révéler une partie de son intimité. « …un individu mâle qui m’est pas revenu. » Pas revenu, ouais, la blague. Qui a bien failli le rendre fou, ce serait plus juste. Nate lui arrache les mots de la bouche. « C’est pas passé loin. » Aucune honte cette fois. Ce n’est pas Nate qui le jugera là-dessus. Qui le jugera tout court d’ailleurs. Elle est avec toi maintenant oui, c’est l’essentiel, le plus important dans tout ça. « C’est bien mon intention, mais ça tu t’en doutes. » Qu’il ne veuille pas rendre Grace heureuse, ça, ça aurait été une nouvelle inattendue, et complètement insensée. « Merci. » Jamie ne serait pas Jamie s’il ne prenait pas le temps de dire merci pour quelques mots gentils. « Mais n'espère pas m’endormir si facilement… » Et Jamie ne serait pas Jamie s’il lâchait le morceau si facilement. Le couple qu’il forme avec Grace n’est pas plus une surprise que celui que Nate forme avec Casey, mais il y a tant de choses que Jamie, lui, ignore encore, malgré son flot de paroles inhabituel et le niveau de leurs verres en baisse. « Je parle je parle… Et toi alors ? » À son tour d’afficher un grand sourire enthousiaste et de descendre un peu plus sa bière pour rattraper Nate. Droit sur son siège, dans l’axe de l’irlandais, le verre entre les mains et les yeux fixés sur son vis-à-vis, il attend. Pas de blague cette fois.

T’as raison. Bien sûr. En doutait-il encore ? Ce fut donc avec un large sourire du professeur que cette plaisanterie prit fin. Nate, lui, n’en doutait pas. L’anniversaire de Grace se passerait au mieux et Jamie commencerait à se faire une place dans la famille. Une vraie place, pas comme la dernière fois. Mais il se garda bien de formuler ce commentaire malvenu qui ne ferait que mettre plus mal à l’aise son ami. En réalité, le brun était bien trop curieux pour s’attarder sur ces mondanités – pour lui, pas pour le garde forestier – et préférait de loin l’interroger sur sa nouvelle relation. Pour une fois, ce serait lui qui mènerait l’interrogatoire sans vergogne. Tout savoir. Il voulait tout savoir sur ce qui avait rapproché ces deux individus faits pour être ensemble. Pourtant, là encore, le plaisanterie fut le parfait échappatoire pour Jamie qui tentait de lui renvoyer la balle. Pas de chance pour lui, le géographe était un expert pour tourner la situation à son avantage et usa de fausse modestie pour s’en sortir. Une spécialité chez lui, qui croyait dur comme fer à ce qu’il débitait. Son charme naturel… Évidemment qu’il en avait et qu’aucune femme ne pouvait y résister. Cependant… Était-ce vraiment ça la technique miracle qui pouvait sauver n’importe quel couple qui ne demandait qu’à être reformé ? Amusé par les réactions de son ami, il se prit encore plus au jeu. « C’est exactement ça. » Ils n’avaient rien eu à faire. Le sous-entendu était plus qu’évident : ils devaient tout à leurs compagnes. Mais ça, c’était moins flatteur à expliciter.

Toujours animé par l’envie de faire patienter son ami tout en récoltant les informations nécessaires à la satisfaction de sa curiosité, Nate garda le silence sur son histoire le temps que son interlocuteur finisse la sienne. A l’écoute, il finit tout de même par ne retenir qu’une seule information. Et pas n’importe laquelle. Grace avait été avec quelqu’un d’autre ? Le professeur avait entendu des bruits de couloir sur ça, mais de là à entendre Jamie affirmer qu’elle avait fréquenté quelqu’un...Étrange. Pourtant, il ne pouvait que comprendre sa réaction. Lui aurait explosé s’il avait vu Casey traîner avec un autre homme, même si elle en aurait tout à fait eu le droit. Et que lui s’était octroyé le droit de voir d’autres femmes, d’ailleurs. Bref. Le léger quiproquo prit fin lorsque Jamie expliqua que ce n’était pas si sérieux que Nate avait pu l’imaginer dans l’instant, même si l’impact restait le même. « Tu m’étonnes ! » Heureusement que son ami était du genre réservé, ça l’avait sans doute sauvé d’une crise de jalousie un peu gênante. Au fond, le professeur était presque soulagé que cette histoire soit arrivée à celui d’en face, et pas à lui. Pour sûr, cela aurait compromis ses chances de renouer avec Casey. A moins qu’elle apprécie la jalousie ? Ce week-end à New York avait laissé entrevoir cet aspect de la personnalité de Nate qui ne l’avait pas fait fuir, même s’il était resté très modéré. Enfin, mieux valait ne pas la tester. Les disputes, ils avaient déjà donné dans ce domaine, et le géographe ne tenait pas à recommencer. Un sourire esquissé, alors que Jamie le remercia. De quoi ? D’être sympathique ? Inutile. « Ça vaudrait bien une autre bière en remerciement, non ? » Oh, il ne perdait pas le Nord. Et surtout sa tendance à blaguer en s’amusant de sa manie à dire merci sans cesse. A mille lieux du professeur bien trop avare.

« Mince, je pensais que j’avais réussi pourtant... » Qu’il répliqua d’un air entendu. Il savait bien que son ami n’était pas fou et suivait le fil de leur conversation à la perfection. Et c’était maintenant au tour de Nate d’être mis au pilori pour l’obliger à parler. Façon de parler, bien sûr. Par chance pour Jamie, il était d’excellente humeur et sans nul doute plus enclin à dévoiler jusqu’aux détails les moins flatteurs de leur épisode retrouvailles hasardeuses (et extrêmement embarrassantes pour lui). « Puisqu’on est dans les confidences gênantes... » Sympa, pour Jamie. Mais bon, il se rendrait bien compte que son histoire n’était pas si terrible en comparaison à celle de son ami professeur et sa compagne doctorante. « On revient de New York là, on a passé le week-end à jouer les touristes. » Et c’était ça ses confidences gênantes ? Nate, tu peux mieux faire quand même. « Elle devait voir une amie ce soir alors je suis sorti profiter de la Saint Patrick un petit peu... » Qu’il s’empressa d’ajouter comme s’il avait besoin de se justifier de ne pas passer la soirée en sa compagnie après un week-end en amoureux. Mais que pouvait-il bien dire d’autre ? Que Casey vivait chez lui depuis un mois ? Il le savait déjà, sûrement. Qu’ils s’étaient dit ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre à Noël ? Oh non, c’était bien trop fleur bleue. Que ça se passait très bien avec Joyce ? Le pauvre Jamie ne serait que rappeler à sa réalité et à son appréhension. Il ne restait plus qu’à dévoiler ce qu’il mourait d’envie d’entendre. « En fait, on s’est retrouvés un peu par hasard. » Sur une plage entre lac et forêt, au coucher du soleil. Une scène digne d’un film romantique que Nate détesterait sans doute pour son ridicule. « Et je sais pas si c’était mon charme ou de la pitié... » A vrai dire, il optait pour la dernière. Malheureusement. Un peu gêné, il continua tout de même. Autant aller jusqu’au bout. « Je venais de laisser ma fille à sa mère, après son anniversaire... » Il fallait bien qu’il justifie la suite pour ne pas avoir l’air d’un gros raté. « J’avais un peu trop bu et la main ensanglantée comme j’avais failli tomber à cause d’un arbre... » Haussement de sourcils doublé d’un soupir. Oh mon Dieu, c’était encore pire de le raconter à présent. « Bref, tu vois le genre. » Et il avait plutôt intérêt, parce que le professeur ne souhaitait absolument pas formuler plus en détails son début de soirée. Parler de ce qu’il s’était passé une fois chez lui, ce serait sans problème, surtout s’il pouvait voir Jamie gêné, mais l’avant… Non merci.

THE IDEAL WANNABE PADDY TRAP

ANAPHORE

Il n’est pas passé loin d’une remarque en avouant si naturellement que Nate a raison, il le sent, il l’a un peu cherché avec des mots pareils à son  intention. Un comme toujours, quelque chose dans ce gout-là, mais rien, à son grand étonnement. Il se retrouve… déçu ? Quelle mouche l’a piqué ? Le grand sourire qu’il affiche doit être suffisamment expressif pour Jamie, pas complètement mal à l’aise de parler de tout ça, mais un peu tout de même. C’est dans sa nature. L’alcool, les plaisanteries et les sourires francs l’atténuent. Il comprend la curiosité de son ami, endure la même et n’est pas contre la satisfaire, raisonnablement, ouais… Jamie et la raison. Jamie et la pudeur. Tout de même, à quoi serviraient les amis si non à libérer ses états d'âme ? Il y a tout un tas de confidences à faire, au fond, tout un tas de nouvelles, de pensées qui se bousculent. Il ne sait pas par où commencer ni où en venir exactement, mais il essaie. Au final, la conclusion se dessine, simple, limpide, il a une nouvelle chance d’être heureux avec la femme qu’il aime. Cet anniversaire ou n’importe quel autre évènement est une bonne chose. Du genre qu’on partage avec une bonne bière et un bon camarade, en oubliant vite les anecdotes plus sombres, moins glorieuses. Oui, parce que ça n’empêche pas d’en plaisanter, de s’inventer d’autres gloires et des qualités démesurées. Le charme naturel. Ah le voilà rassuré, cette bonne vieille vantardise. Et la vérité, sous-jacente, évidente, mais moins séduisante. Si Nate n’avait pas rebondit cette fois-ci, il se serait sérieusement inquiété de son état. Mais tout va bien. Et Jamie aussi, va bien. Bien mieux. Même si certaines explications sont encore difficiles à fournir, ça passe et ça finit par faire du bien. Parce que Nate écoute tout du long, parce que grâce à lui, il se rend compte au bon moment du quiproquo qu’il tisse malgré lui. Quelqu’un d’autre Bordel, il n’aurait manqué que ça… C’est ce qu’il a crû, bien sûr, et d’après ce qu’il a compris, c’est ce qui a bien failli arriver, il n’en est même pas certain. Grace non plus. Il se souvient de son visage, les larmes sur ses joues et son regard perdu. Il pouvait même voir danser tous les sentiments contradictoires dans sa tête comme dans les cartons, tels de petits diables de torture. Jamie les connait bien, ces diables, ils dansent dans sa tête depuis des lustres. Ils ont dansé après avoir vu l’autre faire le coq au bras de Grace, ouais, à en chopper la migraine et la nausée. Mais s’il devait expliquer tout ça, ce n’est plus une bière qu’il lui faudrait. Devenir fou semble être un résumé suffisamment fidèle à la réalité. Un terme très approprié sorti spontanément par Nate. Au moins, il comprend. Il ne s’étonne pas que lui, le réservé Jamie, le flegmatique puisse céder au vice de la jalousie. Car oui, se raisonner lui a demandé beaucoup d’efforts. C’est qu’il est solitaire à tendance rustre depuis quelques années. Il est surtout doué pour enfouir ses émotions en profondeur. Avec Nate, c’est plus facile de renouer avec ses habitudes de policier de quartier plus sociable. Il peut également réapprendre à doser sa répartie, ouais, d’après leur dernière réunion de ce genre, il en a besoin.

À une bière au compteur, il semble trouver le juste dosage sans effort, mais à deux ? Évidemment, Nate ne se contente pas d’un merci. Il provoque la chance, ou dans ce cas, la crédulité de Jamie. Malheureusement pour le malin professeur, Jamie se montre impitoyable, allant jusqu’à refuser une deuxième tournée. « Désolé. » Tu parles ! Il n'est pas désolé du tout. Il a autre chose en tête. Ce n’est pas sa soif qui demande à être étanchée mais davantage sa curiosité. D’ailleurs, ses oreilles sont tout ouïe, sa posture solennelle. Nate annonce des confidences gênantes tout aussi gravement. Aïe. La fierté et la moquerie sont rapidement gommées de son visage. Jamie devine ce qui va suivre. Pas dans le fond, mais dans la forme, parce qu’ils ont tous les deux compris qu’un épisode embarrassant a précédé les retrouvailles amoureuses. Précipité aussi, sans doute ? Sauf qu’une lueur traverse son regard, vive, autant que les paroles du professeur. Pas du tout ce à quoi il s’attendait, du moins, pas en premier, pas après sa phrase d’introduction. New York... Casey partie retrouver une amie… Alors il est sorti pour ne pas rester sans elle ? Se pourrait-il qu’ils vivent ensemble ? Oh merde, tout d’un coup, ça devient difficile d’écouter sagement et de ne pas sourire de toutes ses dents à cette réalisation. Pas tout de suite, pas tout de suite. Le garde forestier imprime l’information pour plus tard, à la fin du récit qui suit, moins joyeux. Le hasard d’abord, ça, il connait bien. Il a encore un espoir que ce hasard ait connu un meilleur dénouement. De la pitié ? Il en doute fort. Il ne peut pas prétendre connaître Casey. Pas pour savoir ce qu’elle a ressenti en voyant Nate dans cet état. Mais il sait que la compassion, l'inquiétude et la pitié n’ont rien à voir. Pas le temps de le couper, et comme les mots suivants sont pour sa fille, il n’ose plus rien dire de peur de faire une nouvelle gaffe. Comme Nate soupire, les yeux en l’air, il manque peut être le regard bienveillant de son acolyte. T’as fait le plus dur semble-t-il lui crier, désolé -réellement cette fois- de l’attirer dans cet exercice difficile. « Ouais, je vois. » Il réagit vite, pour le sauver d’un blanc ou de n’importe quoi qu’il se sentirait obligé de rajouter s'il ne répondait pas tout de suite. « Sauf un truc… » Une coupure de deux secondes pour qu’il redoute ce qui va suivre. Pas de panique Nate. « J’ai vraiment du mal à visualiser Casey avoir pitié de toi. » Il n’allait tout de même pas laisser couler cette histoire, et même pas la peine qu’il essaie de lui prouver le contraire. « Quoi ? M’oblige pas à t’expliquer la différence entre la pitié et le gros mot avec un grand A, monsieur le professeur. » Simple mesure de précaution. Là, il a peut-être moyen de l’embarrasser. Pas en demandant des détails gênants comme Nate pourrait le faire, non, rien qu’en donnant un peu dans le sentimental. « Tu sais quoi, je crois que t’as mérité une autre bière, finalement. » Il fait immédiatement signe au barman. « J’en prendrai peut-être même une troisième ! C'est pas moi qui risque de déranger quelqu'un en rentrant si je fais trop de bruit pour me mettre au lit. » Un regard complice et un sourire entendu ponctuent sa remarque. Non, pas question qu’il ne réagisse pas à ça non plus. Il a bien croisé le couple à des évènements en ville, mais rien ne lui a indiqué qu’ils rentraient ensemble dans la même voiture vers la même maison, pas pour plus longtemps qu’une nuit ou un week end. « On doit adresser des félicitations pour un emménagement ? » Jamie connait cette tradition pour les mariages et les grossesses, ce qu’il se garde bien d’évoquer.

Désolé ? C’était ça qu’il trouvait à lui répondre ? Heureusement que Nate connaissait l’humour de son interlocuteur, ou il aurait pu se sentir offensé. Il fallait dire qu’il n’en fallait que peu au professeur pour briser une bonne entente et faire tourner une simple conversation en véritable catastrophe. Jamie le savait bien trop. Promis, le géographe ferait tout pour lui épargner cette peine cette fois-ci. Pourquoi en serait-il autrement, de toute façon ? Pas de Shelby. Pas de frère encombrant. Pas de risque de coup d’éclat, d’énervement aussi soudain que violent. Impossible, alors que Casey serait au coeur de leur échange. Casey et le bonheur de l’avoir retrouvée. Léger souci, cependant. Leurs retrouvailles. Nate savait pertinemment que c’était pour cette raison que Jamie lui avait refusé une autre bière. Parce qu’il attendait d’entendre l’histoire qu’il avait comprise embarrassante. Et cela se confirma avec les dires du professeur. Il expliqua les grandes lignes. En avait-il trop dit ? Bien sûr. A son goût, ne serait-ce qu’avouer qu’il n’avait pas eu le courage de faire le premier pas était presque humiliant. Oui. Humiliant. Parce que Nate prenait ce qu’il voulait, tout le temps. Mais peut-être était-ce là un aveu de sentiments déjà très développés à son égard ? Eh bien, heureusement qu’il n’y avait jamais pensé à l’époque, ou l’angoisse l’aurait sans nul doute paralysé encore plus. Déjà que l’histoire de la bière et de l’arbre était assez gênante… Dépité par le ridicule de son récit, il finit par soupirer et manqua le signe de bienveillance de son ami. Oh, ce n’était pas bien grave. Nate connaissait assez bien, une fois encore, son interlocuteur pour savoir qu’il ne pourrait avoir que de la compassion pour lui. Enfin, il avait plutôt intérêt à ne pas s’imaginer pouvoir plaisanter sur l’instant. Sauf s’il était adepte des emportements signés Nate ? Apparemment, non. Il voyait. Il comprenait. Pas besoin d’expliciter la honte qu’il avait ressenti alors. Parfait. C’était donc un peu plus détendu que le brun accueillit la suite. Tant mieux, parce qu’elle ne lui plut pas forcément. Sauf un truc ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Est-ce qu’il osait le contredire ? Pire, lui demander des détails ? Froncement de sourcils. Ah, non, ce n’était que ça. Pas de pitié ? Mais alors… ? Oh. D’accord. Sourire. Est-ce que ses joues rougissaient aussi ? Bien sûr que non. Même s’il fallait bien avouer que, intérieurement, il en était tout troublé. Tout ça à cause d’un gros mot, comme Jamie disait, qui n’avait même pas été prononcé. Ah, sacré Nate. « Monsieur le professeur... » Qu’il reprit, d’un ton presque défiant. Parce que c’était la seule chose qu’il trouvait à redire sans sombrer trop dans l’embarras. Comme s’il allait se mettre à parler d’amour, de toute façon…

Et là, ce fut le soulagement absolu. Jamie lui offrit un échappatoire parfait en même temps qu’une nouvelle bière. Fière récompense pour un effort qu’il devait savoir intense chez son ami professeur. Le grand sourire ne se fit alors pas attendre, mais il garda pour lui une remarque sur sa pitié à lui quant à l’histoire qu’il venait d’entendre. C’était bien pour ça qu’il lui offrait une autre bière, non ? Ou pour pouvoir en prendre une autre pour lui-même… Mince, c’est qu’il serait presque déçu notre Nate. Quoique… Ce serait peut-être l’occasion de le faire parler un peu plus. D’autant qu’il lui offrit un sujet de conversation des plus intéressant. Le sourire s’affirma de plus belle alors qu’il trépignait déjà d’impatience à l’idée de le taquiner autant que possible. Petite vengeance personnelle pour l’avoir poussé dans ses retranchements en évoquant un certain mot qui ne faisait pas partie de son vocabulaire. Oui, il exagérait. Et alors ? « La déranger ? » Léger rire. Oh, Jamie. Etait-il vraiment si innocent ou le faisait-il exprès pour créer ce sentiment d’amusement chez son ami ? « Tu crois vraiment qu’elle ne va pas m’attendre, s’endormir toute seule et se priver de ma présence si délicieuse ? » Qu’il lâcha, bien content d’embêter le garde forestier. Et encore, il avait eu de la chance. Nate restait correct. « Ne me dis pas que tu n’attends pas Grace toi ? » Ou l’inverse, d’ailleurs. A vrai dire, la comparaison entre eux n’était pas vraiment faisable puisque Jamie ne partageait pas une maison avec sa compagne. Il n’avait même pas encore rencontré son fils… C’est alors qu’il réalisa… Le garde forestier n’en savait rien pour leur emménagement ? C’était l’impression qu’il donnait, en tout cas. Mince. Ça faisait si longtemps que ça qu’ils ne s’étaient pas parlé ? « T’as mon adresse si tu veux nous envoyer un petit cadeau. » Autant le prendre sur le ton de la plaisanterie, au lieu de se retrouver à sortir de grands mots inhabituels chez Nate. Et surtout pas celui avec un grand A. « Enfin, notre adresse... » Qu’il rectifia de lui-même. C’était toujours étrange, même si cela faisait déjà un mois. « Elle passait tout son temps à la maison de toute façon, on n’a fait que rendre officiel ce qu’il se passait déjà. » Puis il haussa les épaules, histoire de minimiser l’engagement. Surtout, ne pas lui parler d’engagement. « J’ai attendu d’en parler avec Joyce avant, pour être sûr qu’elle accepte sa présence. Mais bon, je me suis inquiété pour rien... » Comme d’habitude, pour l’inquiétude. Pourtant, cette fois-ci, c’était sans doute pour le mieux. Au moins, sa demande n’avait pas été trop précipitée. Enfin… tout était relatif.