Un bruit dans la nuit. Un bruit sourd qui la tira de son sommeil. Elle ouvrit doucement les yeux, se demandant bien ce qui pouvait être à l'origine de ce réveil intempestif. Elle jeta un coup d'oeil tout embrumé de sommeil à son radio réveil. Les chiffres lumineux affichaient 4:30. Quelque part dans son subconscient, elle en vint à se dire que Joyce était très certainement réveillée et qu'elle était en train de fouiner dans le réfrigérateur à la recherche d'un verre de lait. Cette pensée réconfortante fut suffisante pour qu'elle puisse retrouver les bras de Morphée. Lorsqu'elle se leva le matin suivant, Hesther se fit la remarque qu'elle devrait penser à augmenter la température des radiateurs, ou peut être bien à remettre une bûche dans la cheminée, avant de se coucher. Elle frissonna. Il faisait un vrai froid de canard dans toute la maison et ce fut pire lorsqu'elle posa le pied contre le sol tout aussi glacé du salon. Elle se frotta les bras, le tissus de son peignoir en soie lui donna l'impression d'avoir encore plus froid. Elle se dirigea vers la cuisine, se fit couler un café machinalement et emporta la tasse avec elle, pour s'installer comme à son habitude, sur la table de la petite salle à manger.

En passant dans le couloir menant à la salle à manger, sa rétine fut attirée par quelque chose d'inhabituel. La tasse qu'elle tenait lui échappa des mains. Le liquide brun se répandit à même le sol du couloir, formant une auréole autour de la tasse. Interdite, elle contempla la porte d'entrée restée grande ouverte. Battue aux quatre vents, la porte s'agitait mollement, laissant passer de fines gouttelettes de pluie, qui s'écrasaient sur le tapis souhaitant la bienvenue. Elle se précipita dans un premier temps contre cette dernière, la ferma rageusement, le tout en essayant de contrôler les battements de son cœur. Les pieds mouillés de café et de pluie, elle écouta les bruits à l'intérieur de la maison. Rien de trop suspect, mais cela ne la rassura pas pour autant. Elle était pourtant sûre et certaine d'avoir bien verrouillé la porte d'entrée avant de se coucher. La peur au ventre, elle remonta l'escalier quatre à quatre et se rua dans la chambre de Joyce. La petite fille, déjà levée, était en train de jouer tranquillement dans son coin. « Bonjour ma puce. J'ai besoin que tu t'habilles, pendant que je vais en faire de même. Il y a eu un problème avec la porte d'entrée et la pluie a fait quelques dégâts... Je viens te chercher dès que je suis prête, d'accord ? », dit-elle paniquée, en se baissant au niveau de Joyce, qui hocha la tête, signe qu'elle avait compris. Elle ne posa pas de questions et se rendit directement face à sa commode. « On ira prendre un petit déjeuner quelque part, d'accord ? »

Hesther sortit doucement de la chambre de Joyce et attrapa le téléphone posé sur une petite table. Quelques sonneries avant que son interlocuteur ne décrocha. Des secondes qui lui parurent une éternité. « N... Nate... J'ai besoin que tu viennes au plus vite. Je... je crois que quelqu'un s'est introduit chez moi cette nuit ! », dit-elle en chuchotant dans le combiné, pour le coup où il y aurait toujours ce quelqu'un dans la maison. Sans vraiment laisser le choix à Nate, elle raccrocha, au bord de l'apoplexie. N'ayant d'autre choix, parce qu'il faisait bien trop froid dehors pour rester en pyjama, elle se rua dans sa chambre, enfila à la hâte un pantalon et un sweat shirt et retourna auprès de Joyce. « Prête ? », demanda-t-elle avec un grand sourire, dans une tentative sûrement ratée de donner le change. Joyce fit oui de la tête et rapidement, elles se retrouvèrent dans la voiture de l'avocate de l'autre côté de la rue. Le chauffage à fond, pour tenter de les réchauffer mais surtout de réconforter Hesther qui grelotait d'effroi en observant sa maison et en attendante Nate.

À bon entendeur. Nate était hanté par ce message reçu il y a quelques jours à peine. Terriblement hanté par ces quelques mots qui avaient échoué sur sa messagerie sans crier gare. L’idée de la mauvaise blague lui avait traversé l’esprit un bref instant, mais… comment y croire avec ce qu’il se passait dans cette petite ville ? C’était sans doute ça, il voulait y croire, que ce n’était qu’une mauvaise blague. Mais les sueurs froides ne s’étaient pas fait attendre. Ça ne pouvait être qu’eux, la secte. Ils savaient tout de son passé. Et la suite… et cette suite… Mon Dieu. Qu’est-ce qu’ils voulaient insinuer ? Est-ce qu’elles étaient en danger à cause de lui ? Pourquoi ? Cette sensation d’incompréhension et d’horreur l’avait envahi à nouveau, alors qu’il pensait avoir définitivement tourné la page de cet épisode de sa vie. Les images de cette lettre, de ces photos accusatrices, tout lui était revenu en pleine figure. Cinq ans, cinq longues années, à essayer de s’en remettre. Cinq années de repentir fastidieux balayé d’un revers. Le regard vide, de longues minutes. De longues heures. La première nuit avait été éprouvante, blanche et interminable. Est-ce que ça devait recommencer ? Est-ce qu’il devait recommencer ? Partir, encore ? Cette question l’avait hanté toute cette nuit. Cette torture à laquelle il n’avait pas su résister la première fois. Partir ? Rien que l’envisager, ne serait-ce qu’une seconde, finissait d’anéantir le peu de considération qu’il avait pour son propre pardon. Partir ? Jamais plus il ne pourrait supporter son reflet dans un miroir. Jamais plus il ne pourrait se pardonner. Partir ? Non. Jamais.

Tentant de ne pas se laisser submerger par l’angoisse qu’entraînait ce message, Nate s’était empressé de retrouver Casey. Passant presque toutes ses journées, toutes ses nuits avec elle. Elle serait en sécurité s’il ne la quittait jamais des yeux. Pas vrai ? Encore plus si elle ne savait rien de tout ça. Et une promesse brisée, encore. Ça recommençait. Il recommençait. Non, il fallait qu’il parle. Il faudrait qu’il parle. Réveillé dans le lit, contre elle, il se promit de le faire dans la journée. Avouer tout, avant qu’elle ne l’apprenne dans un message aussi effrayant. Avouer tout, avant qu’il ne soit trop tard. En attendant, il profitait de sa chaleur et de sa douceur pour apaiser son esprit torturé. Puis il lui offrit un sourire tendre à son réveil, si doué à dissimuler le tiraillement au fond de sa psyché. Comme toujours. Il avait appris à voiler ses pensées ou à se trouver des prétextes pour assouvir la curiosité de la jeune femme. Le mensonge qui revenait. Il était si simple avec tout ce qu’il s’était passé ce mois-ci, entre le facteur, son frère… Il pouvait accuser n’importe qui, n’importe quoi, pour ces regards vides qui échappaient à son contrôle.

Puis le téléphone sonna. Aucune envie de répondre. Le brun préférait de loin profiter de sa matinée avec Casey sans être dérangé. Pourtant, le prénom s’affichant sur l’écran ne lui laissa pas le choix. Hesther. Pour qu’elle l’appelle à cette heure-là, elle devait avoir besoin de quelque chose. Nate soupira, un regard désolé à la jeune femme partageant son lit, et il décrocha. Le ton de sa voix le fit se redresser immédiatement. Quoi ? Quelqu’un s’était introduit chez elle pendant la nuit ? C’est pas vrai… Sur le point de répondre, il n’entendit plus que les tonalités du téléphone. Fin d’appel. Elle venait de lui raccrocher au nez. Sans attendre, il prévint Casey à ses côtés qu’une urgence l’obligeait à aller là-bas, avant de lui faire promettre qu’elle resterait à la maison jusqu’à ce qu’il revienne. Pour la discussion tant attendue. Tant redoutée. Il fila sans attendre après s’être habillé et avoir récupéré de quoi grignoter un peu. Rapidement chez Hesther, il s’étonna, s’inquiéta, de les voir dans la voiture de l’autre côté de la rue puis les rejoignit. « Qu’est-ce que vous faites là ? » Question absolument stupide, Nate. Il suffisait de voir le visage de la jeune femme, terrifiée.

Assise dans la voiture – en attendant l’arrivée de Nate – Hesther tenta tant bien que mal et plutôt mal que bien de se rassurer. De se dire que tout irait bien. Qu’elle et Joyce étaient en sécurité. Que ça finirait par passer, que son esprit lui avait joué un mauvais tour. Elle tenta également de se raisonner, en se disant qu’elle avait sans doute mal fermé la porte d’entrée avant d’aller se coucher. Elle se repassa alors le film de la soirée passée, mais elle se revoyait encore très clairement vérifier toutes les portes de chez elle, dont cette fameuse porte d'entrée. Interdite, elle réalisa une fois de plus que le fantôme de son passé continuerait encore à la hanter, tant qu'elle ne se résignerait pas à mener une action. Peu importe laquelle. Mais cela ne pouvait plus durer. Cela faisait bien trop longtemps qu'elle vivait ainsi, dans la peur du lendemain et dans l'attente du prochain coup de grâce de la part de Mark. Cette épée de Damoclès au dessus de sa tête, ne ressemblait en rien au bonheur qu'elle avait pourtant imaginé pour son futur. Tout ceci n'était même pas une fin en soi, mais le début d'une nouvelle catastrophe à chaque fois que Mark se rappelait à son bon souvenir. Malgré la fuite, son avenir demeurait toujours aussi instable. Des années plus tard, le passé revenait toujours la hanter et en dehors de Joyce, rien n'avançait réellement dans sa vie. Il s'assurait toujours qu'elle végète au même stade. Elle ne pouvait plus infliger la folie de son ex-mari à son entourage et encore moins à elle-même. Il ne méritait pas qu'elle l'épargne. Il ne méritait que de croupir derrière les barreaux.

Au bout de longues minutes, Nate arriva enfin et elle eut presque envie de lui sauter au cou, tellement sa présence fut rassurante. Un pauvre sourire vint mourir au bord de ses lèvres. Elle abaissa tout d'abord la vitre côté conducteur. La question du brun ne parut même pas la surprendre. Que faisaient-elles dans la voiture juste devant la maison au juste ? Même l'avocate ne le savait pas elle-même. « Je… je me suis dit que c’était mieux qu’on reste ici au chaud, en t’attendant… au cas où ! » Au cas où quoi exactement ? Au cas où ce cinglé de Mark ait envoyé quelqu’un à ses trousses et se trouve encore dans la maison ? Parce que clairement il ne prendrait jamais la peine d'effectuer ce genre de boulot lui-même. Il se contentait simplement de récolter les graines de la terreur qu'il semait derrière lui. Et l'avocate était plus que bien placée pour savoir à quel point il était fort à ce petit jeu. Tout d'abord le téléphone qui retentissait à n'importe quel moment du jour et de la nuit, puis les lettres anonymes, les ombres dansantes derrière ses fenêtres et maintenant cette intrusion à son domicile. L'escalade de l'épouvante.

Elle prit soin de refermer la vitre et s’extirpa alors de la voiture, la peur lui martelant toujours les tripes. « Je suis désolée… Comme Joyce était avec moi, j’ai paniqué et je t’ai appelé sans vraiment réfléchir ! », dit alors Hesther pour expliquer la raison de son appel. Elle resta devant la portière arrière, côté passager, ne faisant pas sortir la petite fille tout de suite. « Quand je me suis levé, la porte d’entrée était grande ouverte… Certes le vent a très bien pu ouvrir la porte, mais je suis persuadée d’avoir tout verrouillé comme il faut hier soir et puis j’ai entendu du bruit dans la nuit. Je pensais que c’était Joyce qui cherchait un verre d’eau... » L’avocate laissa filer quelques secondes, avant de dire « Tu dois me prendre pour une folle ! » Elle s’en voulu en cette seconde, de s’être montré faible une fois de plus, en appelant à l’aide et en impliquant à nouveau Nate dans ses histoires. Elle laissa ensuite sortir Joyce, qui sautilla sur place, avant d'enlacer Nate. « Il y a de l'eau partout dans l'entrée et pis j'ai vu une trace sur le tapis du salon ! », expliqua la petite fille à son père. Une trace ? Le cœur d'Hesther fit un nouveau bond dans sa poitrine. Elle jeta un regard au jeune homme, avant de répondre « Allons vérifier les dégâts et comme promis, on ira prendre un petit déjeuner après ». Elle verrouilla la voiture et se laissa entrainer par Joyce vers la maison. La petite fille – qui ne semblait pas se formaliser de l'inquiétude générale – les prit chacun par la main. Moment légèrement gênant pour l'avocate, elle adressa un énième pauvre sourire au brun, s'excusant au passage pour l'image qu'ils devaient véhiculer en ce moment même.

Quitter un lit partagé avec sa compagne pour retrouver son ex, il n’y avait bien que Nate pour vivre ce genre de situation saugrenue. Pourtant, il encourageait presque Hesther à le contacter à chaque fois qu’ils se voyaient si elle en avait besoin. C’était ce Nate qu’il voulait être à présent, celui qu’il n’avait pas été à l’époque de leur relation. Il voulait la soutenir dès qu’il le pourrait, que ce soit par rapport à Joyce et même pour autre chose si elle le souhaitait. Une façon de se racheter de ses erreurs ? Bien sûr. Mais il y avait aussi un profond attachement pour cette femme qu’il ne pouvait nier. Un attachement qu’il avait d’abord refoulé, de peur d’y voir des sentiments malvenus, puis qu’il avait appris à accepter en comprenant qu’il ne s’agissait que d’un lien presque familial. Un lien pur, sans arrière-pensée. Bref. C’était la mère de sa fille, et rien ne pourrait l’effacer. Alors, il s’était empressé de la rejoindre à sa demande pour...pourquoi, à vrai dire ? Il ne pourrait pas faire grand-chose, à part la soutenir et la rassurer. Et ce serait déjà une bonne chose.

Nate arriva rapidement chez Hesther et remarqua la voiture occupée de l’autre côté de la rue. Étrange. Qu’est-ce qu’elles pouvaient bien faire à patienter dans cet habitable au lieu de la maison ? Elle lui répondit, un peu perdue et confuse. Soupir. C’était si pire que ça ? La jeune femme n’avait même pas eu le réflexe de sortir de sa voiture, elle avait préféré abaisser la fenêtre pour qu’ils se comprennent mieux. Était-elle si effrayée pour ne même pas oser sortir en présence de Nate ? Apparemment non, puisqu’elle finit par sortir. Et s’excuser. Encore ? Ce n’était pas la peine, elle le savait. « T’inquiète pas pour ça Hesther, je t’ai déjà dit que tu pouvais m’appeler quand tu voulais. » Le professeur préférait de loin qu’elle le joigne dès qu’un problème se présentait plutôt que de l’apprendre des jours, ou des semaines, plus tard lorsque la situation avait empiré. Puis elle lui expliqua plus longuement la raison de cet appel au secours. La porte ouverte, du bruit en pleine nuit. Comme si elle avait besoin de ça après les appels et les lettres… Ça ne pouvait plus durer. Il fallait qu’ils fassent quelque chose. Qu’ils mettent un terme à cette psychose qui n’en finissait plus. Il secoua la tête à sa remarque. « Je te prends pas pour une folle...Si tu penses qu’il s’est passé quelque chose, je te crois. » Le brun posa sa main sur son épaule pour appuyer ses propos. Qu’elle se rassure, jamais il ne la jugera ainsi concernant cette histoire. Jamais il ne se permettrait après l’avoir abandonnée à cause de lui.

C’est alors qu’elle laissa leur fille sortir de la voiture. Le père s’abaissa à son niveau pour l’enlacer et l’embrasser sur la joue. Joyce expliqua ce qu’elle avait vu et Nate se tourna un court instant vers Hesther, effrayée, ajoutant rapidement un « Tu voudras bien nous montrer ? » avant qu’Hesther ne les invite à rentrer. La petite acquiesça et prit la main de ses parents pour rejoindre la maison. Scène étrange et un peu gênante, il fallait l’avouer. Mais Nate ne se formalisait pas de ce genre de chose, il suivit sans se poser de question et commença à découvrir le lieu. La tache de café, il supposait, avec les ruines d’une tasse éparpillées autour. Il suivit à nouveau la petite qui devait leur montrer la trace dans le salon puis il se tourna vers Hesther. Sans cacher ces questions qui n’affoleraient pas leur fille. « Est-ce qu’ils manquent des choses ? » Après tout, ça ne pourrait être qu’un cambriolage. Pas courant, à Redwood Hills, mais il ne fallait éliminer aucune piste avant de trop s’en faire. Même si Nate était loin d’être serein. « Ou quelque chose en plus… ? » Une lettre. Un objet. N’importe quoi. Quelque chose qui prouverait le passage de quelqu’un. Le passage de son ex-mari qui ne perdait jamais une occasion d’effrayer son ancienne compagne. Enfin, s’il avait compris que c’était du passé, ce dont le brun doutait fortement.

Tout tournait dans sa tête, encore et encore, jusqu'à lui donner le tournis. Impression d'être dans un manège trop fou. Impossible de l’arrêter, sous peine de se faire éjecter et de se faire une grosse bosse au passage. Serait-ce si terrible que ça après tout ? Elle n’était plus à quelques bleus près. Des hématomes sur son corps, mais surtout sur son âme. Elle n’était plus à cela près. La vision de Joyce dans le rétroviseur stoppa presque instantanément le fil décousu de ses pensées sordides. D’ailleurs, Nate ne tarda pas à la rassurer, sur le fait qu’elle pouvait continuer à l’appeler en cas de problèmes. Mais cela ne l’empêcha pas de se juger trop faible. Dernièrement, à chaque fois qu’un drame survenait dans sa vie, elle se précipitait sur le téléphone pour l’appeler à l’aide. Surement parce qu'elle ne tenait pas à ce que Nate l'apprenne par l'intermédiaire d'une autre personne. Elle se promit de parler de cet épisode à Fynn, afin que ce dernier ne se fasse pas de films, ni ne se méprenne sur la raison des appels au secours envers son frère. Elle se devait d'être transparente à 100% avec l'un et l'autre.  

Le fait que Nate ne chercha pas à la contredire ou bien même à démonter sa théorie un brin étrange, lui fit du bien. Elle n’avait pas besoin de grand-chose au final, juste que l’on croit à son histoire, que l’on valide ses paroles. Elle hocha alors la tête et baissa les yeux quelques secondes sur cette main posée sur son épaule. « Je te remercie de ne pas mettre ma parole en doute et merci d’être venu aussi vite ! », dit-elle finalement très simplement. Pas besoin de grands discours, elle venait déjà largement de se répandre en excuses et explications. Sans doute avaient-ils besoin de se racheter de quelque chose, du moins c’est le sentiment qu’Hesther eut en observant le professeur. C’est à cet instant qu’elle laissa Joyce sortir de la voiture. Le moment de légèreté entre Joyce et Nate qui s’ensuivit, fit naitre un sourire au coin des lèvres de la jeune femme. Un moment rare, duquel elle les laissa profiter, sans intervenir. Joyce leur révéla d’ailleurs avoir vu quelque chose, Hesther laissa le soin à Nate de rebondir  là-dessus et lui demanda de leur montrer ce dont elle parlait. La petite fille hocha la tête et prenant sa mission très au sérieux s'enquit de les mener jusque dans la maison. Elle n'avait clairement pas conscience du danger, ce qui l’empêcha de manifester le moindre signe de peur. Une chance,  pensa Hesther, qui aurait bien aimé ne plus ressentir cette peur sourde.

Une question lui tarauda l’esprit, au moment où elle pénétra dans le couloir tout tâché de café. Et si elle venait à se retrouver face à un inconnu dans sa propre maison, ou bien même à Mark, quelle serait sa réaction ? Mais surtout qu’elle serait celle de Joyce ? Elle préféra balayer au loin cette pensée. La petite fille les mena alors jusque dans le salon et leur indiqua la trace de pas bien visible sur le tapis blanc. « Là ! », fit elle en désignant de son doigt l’empreinte mi-marron, mi-noire, qui ne ressemblait en rien à une trace de chaussure d’enfant. L’avocate jeta alors un coup d’œil en direction de Nate. Cette trace, bien visible, confirmait le passage de la personne étrangère à la maison. Le rythme cardiaque d’Hesther s’accéléra d’autant plus et elle sentit son sang affluer vers ses membres inférieurs et surtout, quitter son visage. Elle fit un tour rapide du salon et de la cuisine, n’osant s’aventurer trop en avant de la maison, préférant rester auprès de Joyce et Nate. Elle remarqua alors le bazar sur son bureau – dans un coin du salon – dont les tiroirs étaient ouverts, et tous les papiers figurant dans ces derniers avaient été entassés sur le dessus du bureau. « Je ne pense pas qu’il manque quoi que ce soit ici », lâcha-t-elle au bout d’un moment, scrutant d’un œil méfiant son bureau. Hesther s’approcha et posa sa main sur sa bouche, retenant un cri. Au milieu des papiers éparpillés, des articles de journaux relatant la chute de sa voiture dans les eaux du lac et donc de sa disparition de la Nouvelle Orléans. Elle trouva également des photos d’elle, dans la vie quotidienne, visiblement prise depuis l’autre côté de la rue « Nate… je… je viens de trouver ça », dit-elle en lui tendant les articles et les photos. En cette seconde, l’avocate se sentit telle une barbe à papa. Si Nate avait le malheur de tendre à nouveau la main vers elle, elle disparaîtrait surement en un petit nuage collant de sucre, d'air et tout larmoyant. Une fois de plus, elle devait faire pitié à voir. « C’est bien lui, j’en étais sûre ! », dit-elle à voix basse, de peur d’être entendue par Joyce. Elle n’osa pas bouger et attendit que Nate dise quelque chose.

Pour tout dire, le professeur appréciait grandement que la mère de sa fille se tourne vers lui quand elle avait des problèmes. Une petite fierté personnelle, bien sûr, mais surtout une impression d’être utile et digne de confiance. Oh, il ne se réjouissait pas non plus de la situation, loin de là. Il aurait largement préféré rester chez lui avec Casey et n’avoir à se soucier de rien, que cette histoire soit derrière eux. Mais à présent, il se sentait enfin acteur de drame en beaucoup trop d’actes. Acteur dans des événements qu’il était capable de comprendre. Ce n’était plus cette passivité dans l’inconnu qui l’avait entraîné au pire des choix des années plus tôt. Alors, non, ça ne le dérangeait absolument pas qu’elle ait décidé de l’appeler pour lui demander du soutien. Pas le moins du monde. Il avait une chance de se rattraper, de ne plus ignorer les problèmes, de ne plus les fuir. Seul un imbécile la laisserait passer. Et, croyez-le ou non, Nate n’en était pas un.

Malgré ses paroles, Hesther ne semblait pas si rassurée. Normal, dans un sens, avec ce qu’elle vivait. Le brun ne pouvait pas imaginer une seule seconde la terreur qu’elle devait ressentir à chaque fois que le contrôle de sa vie lui échappait. Un aperçu, c’était tout ce qu’il avait eu lorsqu’il était passé ramener Joyce il y a quelque temps déjà. Mais que valait un simple discours de l’horreur à côté des souvenirs qu’elle portait péniblement depuis tout ce temps. Et dire qu’elle ne lui avait jamais rien dit. Bref. Sentant que son geste n’était peut-être pas approprié à leur relation, Nate ôta sa main de son épaule sans tarder et se contenta d’un sourire amical pour lui répondre. On ne mettait pas des heures à répondre à un appel à l’aide, surtout quand sa fille était concernée. Et on ne remettait encore moins en cause les menaces concernant cet individu. Pas deux fois dans une vie. Enlaçant ensuite sa fille sortie de la voiture, il ne put que s’inquiéter de ce qu’elle leur révélait. Une trace sur le tapis. Ils ne tardèrent donc pas à s’engouffrer dans la maison pour découvrir ce dont elle parlait. Une marque nette d’un passage extérieur. Quelqu’un était donc venu. Nate ne laissa rien paraître, mais l’appréhension commençait sérieusement à l’envahir. Il était vraiment revenu, alors ? Le visage d’Hesther pâlit brutalement à cette découverte. Mais ce ne fut pas le pire. Ce serait trop simple, bien trop simple sinon. À ses questions, elle se lança dans un tour des lieux. Lui attendait avec sa fille, pour ne pas la laisser seule. Rien ne manquait. Tant mieux. Quoique, cela éliminait la piste du cambriolage bien préférable à l’alternative. Soupir.

Une seconde à peine, et il comprit que les soupçons n’en étaient plus. Nate invita leur fille à s’installer sur le canapé et lui donna un petit livre plein d’illustrations qui traînait sur la table basse. Hors de question de l’emmener auprès de sa mère visiblement choquée par ce qu’elle venait de découvrir sur son bureau. Une fois la petite occupée, il put rejoindre Hesther et partager son horreur. Un bazar sans nom, mais ce n’était pas le problème. Le problème, c’était ces coupures de journaux, ces photos. Un coup en plein coeur. Il avait l’impression de retourner à cette journée, à ce moment précis où il avait reçu ce courrier qui avait changé sa vie pour le pire. Sans réfléchir, Nate prit les documents et les parcourut rapidement. Sa vie d’avant, ce dont il n’avait aucune idée. Un accident de voiture ? Une disparition ? Oh Hesther, comment avais-tu fait pour vivre avec ça, dans le secret, si longtemps ? La culpabilité le rongeait un peu plus alors que l’angoisse revenait. Soudain, il les laissa tomber sur le bureau. « Je devrais pas les toucher. » Il ne devrait toucher à rien et appeler la police immédiatement. Ça ne pouvait plus durer. Et, malgré l’horrible situation, son ex-mari leur donnait là une excellente occasion pour étayer la parole de la jeune femme. La regardant à nouveau de ses yeux sombres et anxieux, il répondit lui aussi à voix basse pour ne pas alerter Joyce. « Il faut appeler la police » Qu’elle cache ces coupures de journaux si elle ne se sentait pas encore prête à parler à dévoiler cette partie de sa vie. À vrai dire, il était tout aussi peu prêt qu’elle puisqu’il n’avait aucune envie de parler de son propre passé, mais elle ne pouvait plus vivre dans cette peur constante. Alors il ferait cet effort. Il pouvait bien sacrifier une partie de son ego pour assurer la sécurité d’Hesther et leur fille. L’invitant à ne plus laisser son regard errer de terreur sur ces documents, Nate l’attira un peu plus loin, hors du champ de vision de la petite pour qu’elle ne soit témoin de rien. Il posa sa main sur son bras, retenant un contact plus amical mal venu de sa part, puis tenta du mieux qu’il pouvait de la rassurer. « Ça va aller Hesther, t’es pas toute seule. On va trouver une solution ensemble. » Et Nate veillerait à être là à chacune des étapes. Tant pis si cela déplaisait à son frère. Tant mieux, au fond. Parce qu’il trouvait toujours un moyen de se satisfaire de n’importe quelle situation. « On appelle la police ou pas ? On peut aussi garder les articles si tu te sens pas prête pour ça. » Et lui préférerait clairement ne pas avoir à entrer dans ces détails si les forces de l’ordre étaient invitées à se mêler de ces affaires.

Maintenant qu’elle se retrouvait face à Nate, Hesther en vint à se dire qu’elle avait été idiote d’avoir paniqué de la sorte. Sans doute essayait-elle de minimiser la gravité de la situation, ou bien tentait-elle de marchander avec elle-même, après coup. Surement quelque chose comme ça. Une vieille habitude de masquer cette vie intérieure désastreuse, de n'afficher que sa pseudo réussite, mais elle mentait aux autres et à elle-même en agissant de la sorte. Sauf que d’apercevoir les débris de sa tasse de café dans le couloir de sa maison et le liquide répandu tout autour, lui rappela à quel point la panique s’était emparée d’elle à vitesse grand V. Elle avait fait le bon choix et devait cesser de culpabiliser pour à peu près tout et n’importe quoi, et la présence de Nate en était une excellente preuve. Dans le cas contraire et sans importance aucune, le jeune homme n'aurait pas pris la peine de faire le déplacement.

De voir cette marque sur le tapis, si vraie, ne fit qu’accentuer l’horreur de la situation. La réalité la rattrapait une fois de plus et ne faisait qu’incrémenter le fait que, son sentiment de sécurité n’était en fait qu’une illusion. Une illusion -doublée d’une utopie - qui s’écroula presque instantanément, après que Joyce leur ait montré l’empreinte de pas dans le salon. Nate se chargea rapidement d’occuper Joyce, afin qu’elle ne soit pas témoin une fois de plus, du triste spectacle qu’offrirait bientôt Hesther. La petite fille avait certainement vu bien plus de fois sa mère en train de pleurer que nageant en plein bonheur. Du moins, c’est la représentation que l’avocate se fit au moment où elle reposa presque en jetant les coupures de journaux et les photos sur son bureau. Comme-ci ces dernières venaient subitement de lui brûler les doigts. De lui brûler le cœur. Elle acquiesça les paroles du brun, d’un mouvement de tête. « Ne touchons plus à rien… Je devrais les mettre dans une enveloppe kraft. C’est ce qui retient le mieux les empreintes », dit-elle en se basant sur du factuel. Cette pensée, qu’il y aurait peut-être moyen d’arrêter Mark ou au moins ses sbires, la rassura légèrement.

La bienveillance dont fit ensuite preuve Nate lui noua la gorge. La gentillesse avait tendance à produire cet effet sur elle. Incapable de parler durant quelques secondes, elle se laissa entrainer à l’écart, passant rapidement en revue ce qu’elle pourrait dire à la police et ce qu’elle risquait pour avoir simulé sa mort et changé d’identité illégalement. Elle pouvait tout perdre, d’un claquement de doigt, elle connaissait assez la loi pour cela. Malgré les enjeux, elle observa Nate d’un œil, prenant le temps de se poser, de réfléchir à la situation. Elle rassembla ses pensées, avant de secouer la tête à la négative. Son passé la rattrapait et même si elle ne savait pas encore comment l’affronter,  elle en vint à se dire qu’il s’agissait là de la première erreur de son ex-mari. Jamais auparavant il ne s’était montré aussi imprudent. Avec le temps, peut-être se montrait-il moins sur ses gardes, persuadé qu’il pouvait agir comme bon lui semblait. « Je… je préfère attendre un peu pour appeler la police. », elle laissa passer quelques secondes avant d’enchainer « Des articles de journaux et des photos ça ne veut pas dire grand-chose, mais c’est la preuve qu’il se montre moins attentif. Je suis prête à parier qu’il ne va pas pouvoir s’empêcher de taper encore plus fort », dit-elle en déglutissant difficilement, tout en parlant à voix basse. « Il faut une preuve irréfutable de sa folie », avoua-t-elle alors en plongeant son regard dans celui de Nate. Elle était prête à prendre le risque d’attendre encore un peu, avant d’aller trouver la police.

Sans savoir pourquoi, elle enlaça doucement le brun, avant de dire « Merci», puis elle se dépêcha de se dégager de cette étrange étreinte, et s'entendit dire : «Je sais que Joyce est entre de bonnes mains avec toi, s'il m'arrivait quelque chose », Hesther détourna alors le regard, retenant sans doute quelques larmes et se mit alors en quête de gants à usage unique et enveloppa chaque coupure de journal et chaque photo dans une enveloppe. Hesther rangea ensuite le tout à l’abri dans un dossier, elle revint alors vers Nate et Joyce. « Est-ce que c'est embêtant si on avance la garde de Joyce ? », demanda-t-elle en jetant un coup d'oeil à sa fille. Elle serait très certainement bien plus en sécurité avec son père qu'en compagnie d'Hesther.

Une effraction, des marques, des coupures de journaux. Il savait y faire, ce Mark, pour les rendre fous à lier. Pour instiller l’angoisse, la terreur dans leurs esprits et les empêcher de vivre sereinement. Et dire que Nate avait pensé s’être débarrassé de ce déséquilibré il y a des mois, après avoir revu Hesther et leur fille sans représailles. Nate y avait cru, totalement, mais la réalité lui revenait en pleine figure. Encore. Elles étaient en danger, à nouveau. Par sa faute, ou non, ça n’avait plus d’importance. Observant les documents que la jeune femme lui avait tendus, il revivait l’horreur de Détroit, ce sentiment d’impuissance et d’incompréhension. Qu’est-ce qu’il cherchait, à leur faire vivre une telle psychose ? Était-ce par pur plaisir ? Était-ce par stupidité extrême en pensant regagner l’attention de sa femme ? Oh, il l’avait son attention. Mais certainement pas celle qu’il souhaitait. À moins qu’il ne soit assez désespéré pour accepter ‘n’importe quoi, tant qu’elle pensait à lui. Il fallait mettre un terme à cette folie, immédiatement. Il fallait surtout que Nate arrête de toucher à tout, au cas où Hesther accepterait d’informer la police de l’incident, alors il laissa tomber le tout sur le bureau. Elle acquiesça. Pour la police ? Non, pour… une enveloppe kraft ? D’accord, c’était elle l’avocate après tout. Et puis, c’était sans doute un premier pas vers l’acceptation, la résignation. À ce niveau-là, seule la police pourrait agir.

Attirant la mère de sa fille à l’écart pour que Joyce ne soit témoin de rien, il tenta de la rassurer du mieux qu’il pouvait, dans l’espoir de la convaincre de faire ce qu’il fallait. Ne pas vivre ça seule. Alerter les autorités. Pourtant, il voyait dans son regard qu’elle n’était pas prête, ce que son signe de tête ne fit que confirmer. Attendre. Attendre, encore. Mais pourquoi ? Il hocha la tête, compréhensif et réprobateur à la fois, mais resta silencieux en soutenant son regard. Frapper fort. Une preuve irréfutable. Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ? Attendre qu’il s’en prenne à elle ? Hors de question. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien dire ? Avait-il ne serait-ce que le droit de lui dire ce qu’elle devait faire pour gérer sa propre vie ? Non. De toute façon, elle l’empêcha de prendre une place qu’il ne devait avoir en lui en imposant une autre plutôt étrange. Une légère étreinte. Son coeur manqua un battement. Et si on les voyait comme ça ? Et si Joyce allait répéter ça ? Mon Dieu, heureusement qu’elle ne pouvait les voir et qu’Hesther y mit fin sans tarder. Comme s’ils étaient coupables d’un crime, comme s’ils allaient bien au-delà de leur relation déjà complexe. Ridicule. Depuis quand devait-on presque s’excuser d’avoir enlacé quelqu’un ? Ces questionnements furent balayés d’un revers lorsque la jeune femme reprit la parole. Un compliment, toujours appréciable. Mais pas la suite. « Quoi ? » S’il lui arrivait quelque chose ? Elle n’envisageait tout de même pas… Non, jamais il ne la laisserait faire ça. Jamais. Choqué par cette parole, il ne trouva pas immédiatement les mots ou les gestes pour la retenir et lui faire entendre raison.

Voilà qu’elle l’évitait en s’occupant des documents. Et lui, il restait là, comme un idiot. Interdit. Comment avait-elle pu dire ça ? La suite eut au moins le mérite de débloquer sa parole, malgré son incapacité à se réjouir de la nouvelle. Comment pourrait-il le faire avec toute cette histoire ? « Non, c’est pas un problème. » Qu’il lâcha, presque machinalement, trop troublé par le reste. Sans délicatesse cette fois-ci, Nate l’entraîna à nouveau hors du champ de vision de leur fille pour lui dire, enfin, le fond de sa pensée. « Tu peux pas envisager ça, Hesther. » C’était un ordre, murmuré, qu’il ne la laisserait pas ignorer. « Il t’arrivera rien, je ferai tout pour m’en assurer. » Tout et n'importe quoi, tant qu’elles étaient en sécurité. « Elle a besoin de toi, elle a besoin de sa mère. » Il prit une inspiration et continua, toujours dans un murmure alors qu’il posa sa main sur son épaule. « Et moi aussi, j’ai besoin de toi. » Persuadé qu’il ne serait pas le père qu’il était aujourd’hui s’il n’avait pas eu son soutien, sa bienveillance. Ce n’était pas simple à formuler, mais pourquoi avoir honte de la vérité ? Ça ne rendait en rien la nature de leur relation plus étrange. Pas pour lui, du moins. Il finit par l’obliger à garder son regard dans le sien en posant ses mains contre ses joues et en relevant son visage. « Alors tu oublies ce que tu as en tête. On est d’accord ? » Qu’elle acquiesce. C’était la seule réponse acceptable.

Malgré ce rappel du passé – qui n'avait de cesse de la rattraper – Hesther sentit comme un poids en moins sur ses frêles épaules. Cela n’ôtait en rien ce sentiment d'insécurité constant, mais elle se sentit plus légère de partager ses doutes et surtout ses craintes avec quelqu'un. Pas avec n'importe qui. Avec Nate. Rien n'était simple entre eux certes, mais elle vint à se dire que si elle s'était montrée un peu moins idiote et surtout moins égoïste, il aurait pu l'aider et ce depuis longtemps. Mais elle lui avait refusé ce rôle, ne sachant toujours pas pourquoi. Plus elle vieillissait et plus il lui était facile de regarder en arrière, le tout en regrettant amèrement ses erreurs. Rangeant cette stupide pensée au fond de son esprit, elle réalisa au même moment qu'il valait mieux ne plus toucher à rien, dans le cas où ils voudraient pouvoir se faire entendre auprès des forces de l'ordre et de la justice. L'avocate révéla alors qu'il fallait placer toutes les preuves dans des enveloppes Kraft. A force de travailler sur des dossiers sordides, et ce en lien avec la police, la jeune femme avait intégré quelques bons réflexes. En entendant sa propre voix, l'avocate pris d'autant plus conscience de sa misérable vie. « J'aimerais pouvoir revenir en arrière et me casser une jambe le jour où je l'ai rencontré ! », dit-elle tout haut, dans un pâle sourire et surtout une piètre tentative de faire de l'humour.

Joyce ne trouva en rien étrange le fait que ses parents s'éclipsent en la laissant vaquer à ses occupations. Elle ne vint pas non plus les interrompre afin d'en savoir plus sur l'étrange marque sur le tapis du salon. Elle ne fut donc pas témoin de cette étreinte aussi furtive que rapide. Un moment teinté d'une certaine gêne, alors qu'il n'y avait pas à être gêné le moins du monde. Rien de louche derrière cette action. Juste une accolade entre deux adultes, deux parents séparés, deux amis dans le fond. La blondinette avança alors plusieurs choses, entre autre la garde de Joyce, qui aurait lieu plus tôt que prévu, car la petite fille serait surement plus en sécurité chez Nate. Comme il l'avait dit lui-même quelques temps plus tôt, ce n'était pas après Joyce que Mark en avait, mais mieux valait être trop prudent que pas assez. Il ne réagit pas vraiment à sa question, intimant que ce ne serait pas un problème. Elle se contenta alors de hocher la tête, soulagée de savoir que Joyce resterait avec son père et serait donc en sécurité. Ne lui manquait plus qu'à trouver le courage de poser la question - qui lui taraudait l'esprit – à Fynn, afin de ne plus rester seule chez elle, à se demander quelle serait la prochaine étape dans l'escalade de l'horreur.

Persuadée qu'elle pouvait pousser Mark dans ses derniers retranchements et surtout le pousser à la faute, l'avocate restait intimement convaincue qu'elle ne devait pas aller trouver la police trop tôt. Pas tout de suite du moins, pas avant que Mark n'est frappé un peu plus fort. Pour l'instant, les charges contre lui ne pouvaient être assez importantes. Hesther avait besoin d'une preuve accablante, puisqu'il n'y avait plus aucune trace des violences passées. Devant une cour de justice, ce serait très certainement sa parole contre celle de Mark, et elle n'était clairement pas prête à affronter cela. Affronter un monstre une fois de plus, elle pouvait faire, mais être elle dont on l'accablerait de tous les torts, non. Jamais. Nate sembla à nouveau sortir de sa torpeur et l'entraina plus loin. Elle fronça les sourcils, se demandant bien ce qui lui arrivait subitement.

Quelques paroles et elle prit alors conscience que tout ce qu'elle avait en tête n'était qu'une utopie, que rien ne prendrait jamais fin. Du moins pas de la façon dont elle avait pu l'imaginer quelques secondes plus tôt. « Pourquoi ? On ne sera pas tranquilles tant qu'il sera toujours dehors ! Et je le connais assez pour savoir qu'il s'en tire toujours à bon compte », dit-elle en se mordant la lèvre. Il était capable de s'attirer la pitié de la cour entière, il était vraiment très fort à ce petit jeu. « Comment tu peux être aussi sûr qu'il ne m'arrivera rien? », demanda-t-elle en baissant d'un ton. Rapidement, elle se retrouva bloquée, obligée de regarder Nate dans les yeux. Son regard commença à s'embuer, suite aux mots du brun. « Je le sais... On a besoin les uns des autres ! », dit-elle en esquissant un léger sourire, peu importe à quel point leur lien puisse être dysfonctionnel. Ces quelques mots, lui firent réaliser qu'elle ne pouvait plus agir seule. Nate avait le droit de jouer son rôle cette fois-ci. Elle hocha alors la tête, pour acquiescer la demande de Nate. « D'accord, mais j'ai quand même besoin de réunir d'autres preuves... Je ne peux pas me contenter de simples articles de journaux ! », lâcha-t-elle à présent sans appel, tout en continuant à le regarder au fond des yeux.

Revenir en arrière. Si seulement ça pouvait être aussi simple. Nate avait longtemps imaginé une telle possibilité, et tout ce qu’il aurait pu réécrire dans sa vie. Beaucoup de choses. Beaucoup de décisions pas toujours très intelligentes. Beaucoup de bêtises. Si Hesther n’avait pas rencontré son ex-mari, elle ne serait jamais venue à Détroit. Nate ne l’aurait pas rencontrée, Joyce ne serait pas née, il y serait encore. Chez sa mère ? Espérons que non. Il aurait continué à mener sa vie de célibataire endurci, de séducteur volage… Et là n’était clairement pas son bonheur. Le professeur le savait aujourd’hui. Il l’était bien plus dans sa petite vie rangée, au fin fond du Vermont. Avec sa fille. Avec Casey. Avec cette stabilité et ce foyer presque parfait qu’il n’avait jamais connu auparavant. Pas avec autant de certitude, du moins. Le chemin avait été dur, extrêmement, mais aurait-il trouvé quelque chose d’aussi fort s’il n’avait pas dû le parcourir jusqu’au bout ? Alors, il esquissa un sourire presque invisible pour répondre à la remarque de la mère de sa fille.  Se casser une jambe le jour de la fameuse rencontre avec son ex, ça aurait été une solution si elle avait été possible. Sauf que la douce plaisanterie ne dura pas, elle ne le pouvait pas. Pas dans cette situation. Pas quand ils finissaient enlacés, vestige d’un réconfort qu’ils avaient pu avoir des années plus tôt. Ou marque d’une amitié qui se liait à nouveau à travers ce dédale de complexité. Ce devait être ça. Dans tous les cas, la gêne se fit ressentir, si bien que l’étreinte prit fin aussi vite qu’elle avait commencé et laissa place à une discussion peu plaisante.

Nate était abasourdi face aux paroles de la jeune femme. Il ne lui arriverait rien, comment pouvait-elle envisager le contraire ? Avait-elle prévu quelque chose ? Le brun devait en avoir le coeur net, et surtout l’empêcher de faire des folies. Même si elle considérait que c’était la seule solution. Non, il y en avait d’autres. Il devait y en avoir d’autre. « Je te laisserai pas devenir... une sorte d’appât pour qu’il fasse une erreur, c’est trop risqué. » C’était bien ce qu’elle sous-entendait en disant avoir besoin d’une preuve irréfutable, non ? Quelque chose de plus tangible. Nate avait beau n’être qu’un simple géographe, il savait bien que des preuves circonstancielles ne valaient rien. Pourtant, il refusait toute solution qui mettrait en danger la mère de sa fille. Sa certitude venait de là. « Il ne t’arrivera rien parce que tu ne feras rien d’insensé. » Pas de question, pas de suggestion. Il lui imposerait s’il le devait, en la menaçant de chercher à avoir Joyce en sécurité à ses côtés s’il le devait. Ou d’une autre manière. Peu importe. « Et je serai là pour y veiller cette fois. » Qu’il ne lui arrive rien ou qu’elle ne fasse rien d’insensé ? Oh, il ne précisait pas pour une raison. Parce que les deux étaient en jeu.

Finalement, elle reprit ses esprits. D’accord. Ce qu’il préférait entendre par-dessus tout. Mais pas la suite, et encore moins sur ce ton. Soupir. Qu’est-ce qu’elle pouvait être têtue. Bon, il ne lui restait plus qu’à lui offrir son soutien et son aide pour qu’ils puissent appréhender cette histoire sereinement. Enfin… sereinement. Si c’était possible. « Et qu’est-ce que tu veux faire ? T’y as pensé ? » Son ton était sans nul doute un peu trop directif pour ne pas passer pour un presque reproche. Mais bon, peut-être que c’était ce qu’il voulait. Lui faire comprendre qu’il n’était pas d’accord avec cette stratégie. « T’as une idée d’où il peut être ? Ou de ce qu’il pourrait faire après ? » Pourquoi la harceler de questions alors qu’elle venait de vivre une situation si stressante et était autant dans l’inconnu et l’angoisse que lui ? Aucune idée. Mais c’était Nate, toujours à penser trop vite. A tout vouloir tout de suite. Et là, il avait besoin de réponses. D’être rassuré. « Et il faut que tu t’entoures pour assurer tes arrières. Je refuse de recevoir un coup de fil m’annonçant quelque chose que je ne veux pas entendre. » Que ce soit une autre frayeur ou pire parce qu’elle s’était lancée dans quelque chose seule. Il demanderait d’être au courant de tout, de l’avancée de ses recherches. Tant pis s’il devenait trop envahissant. Ce serait mieux qu’absent.