time to move on

Grace & Nate (Chez Grace, Lilac Road | Janvier 2019)

Passer la chercher chez Grace. Nate n’avait pas particulièrement été fan de cette proposition, mais il l’avait acceptée quand Casey lui avait dit que la propriétaire serait sortie avec ses enfants. Ou quelque chose dans le genre. Bref, Grace ne serait pas là et c’était la information qu’il avait retenue. Pas de risque de la croiser et d’avoir à subir ce moment gênant où il se retrouverait en face d’elle sans savoir que dire. Surtout après s’être rappelé que cela faisait presque un an qu’ils n’avaient plus aucun contact. Sauf ce maudit jour d’avril où ils avaient fait comme si de rien n’était avant que le drame ne frappe et les sépare. Pas un seul mot en plusieurs mois pour ces deux amis qui s’étaient tant dit. Peut-être trop selon Nate, sans doute pas assez ou pas assez vite selon l’autre partie. Heureusement que le brun n’avait pas à penser à tout cela avant d’aller chercher Casey pour passer la fin de journée en sa compagnie. Heureusement. Il s’était préparé rapidement après avoir relu un projet d’un collègue de l’université. Un coup de main qu’ils se donnaient régulièrement pour le bien du département géographie mais aussi par amitié. Les collègues étaient là pour ça après tout, pas pour se tirer dans les pattes et s’empêcher d’avancer. Certains semblaient l’avoir oublié, notamment depuis la plainte de Casey qui avait fait grand bruit. Enfin, il n’avait pas envie de penser à ces choses alors qu’il allait retrouver cette femme qu’il adorait et lui faisait oublier tout le reste. Il était si impatient qu’il n’avait pas fait attention. Erreur dans l’horaire. Mais ça, il ne le saurait qu’en découvrant la silhouette qui ouvrirait la porte.

Na faisant donc pas attention à l’heure, Nate s’engouffra dans sa voiture avant de se garer devant chez Grace. Il l’avait fait plein de fois avant, mais n’avait jamais fait ce qu’il s’apprêtait à faire. Descendre et rejoindre la porte. Inutile d’être nerveux, qu’il se disait. Inutile de redouter sa présence puisque Casey lui avait clairement dit qu’elle ne serait pas là. Il sonna à la porte. Elle ne tarderait pas de toute façon, le rendez-vous était pris. Il attendit cependant un petit bout de temps, ce qui lui fit dire qu’elle n’était pas à l’attendre à la porte. Puis celle-ci s’ouvrit, enfin, et son sourire s’effaça immédiatement. « Grace ? » Clairement pas celle qu’il attendait. Incompréhension totale. Et il était encore trop tôt pour que tous les scénarios possibles s’enchaînent dans son esprit. Pour le moment, il fallait sauver les meubles et ne pas passer pour un imbécile muet. « Salut… Casey est là ? » Son regard était on ne pouvait plus fuyant. Pourvu qu’elle soit juste derrière et double son amie avant qu’il soit obligé d’entamer la conversation.

Tu es vivant. Ha ha, très drôle. D’accord, c’était mérité. Presque un an sans une véritable conversation, il y avait de quoi douter sur son sort. Bref, trêve de plaisanterie. A voir son expression, Grace semblait tout aussi surprise de la présence du jeune homme à sa porte. En d’autres circonstances, le brun aurait sans nul doute ironisé sur la situation, se serait même permis une légère blague. Bien sûr qu’il était vivant, elle aurait pu venir frapper à sa porte pour s’en assurer si ça l’avait tant tracassé que ça. Mais non, il ne valait mieux pas commencer de la sorte. Lancer les hostilités. D’autant que Nate était tout aussi responsable de ce silence radio. Et puis, il fallait penser à Casey qui aurait à se retrouver entre eux s’il ne faisait pas d’efforts. Qu’est-ce qu’elle penserait d’un tel comportement d’ailleurs ? Certainement pas beaucoup de bien. Impassible, Nate décida donc de laisser passer la remarque pour demander si la jeune femme était là. Histoire qu’il puisse s’enfuir rapidement, bien sûr. Pourtant, ses espoirs s’envolèrent vite.

Elle n’était pas là. Casey n’était pas là. Alerte générale. Qu’est-ce qui était en train de se passer là ? Elle ne lui aurait quand même pas fait ce coup-là ? De l’inviter à venir la chercher chez Grace pour lui poser un lapin et les faire discuter ? Non, ce n’était pas possible. Il tourna tous les scénarios possibles en tête. Une erreur, oui, une erreur quelque part. Le brun posa ses yeux sur sa montre. Trop tôt ? Et merde, il s’était trompé. Quel con. Mais quel con ! Et voilà maintenant que la blonde en face de lui l’invitait à entrer pour patienter. Impossible de refuser sans passer pour un imbécile qui préférait geler dehors plutôt que d’avoir à parler à une amie. Ancienne amie ? Il ne savait pas. Et c’était bien ça, le problème. Il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait avec Grace. Elle paraissait pourtant conciliante mais ce serait mal la connaître de ne pas soupçonner un instant qu’elle soit capable de l’attaquer dès qu’il aurait mis un pied chez elle. Et il savait déjà ce qu’elle aurait à lui dire. Entre ses secrets, son silence et sa relation avec Casey… Voilà pourquoi Nate ne faisait pas le fier devant elle.

Il était sur le point de se défiler en disant qu’il repasserait plus tard lorsqu’elle le retint pour lui affirmer qu’elle était contente de le revoir. Félicitations ? Une bonne nouvelle ? Ce n’était pas vraiment à quoi il s’était attendu de sa part puisqu’elle connaissait ses parts d’ombre. Toutes ses parts d’ombre. Plus que Casey, à vrai dire. L’histoire d’Hesther, son infidélité. La doctorante n’en avait encore jamais entendu parler. Comment Grace pouvait-elle alors se réjouir que sa meilleure amie le fréquente ? Trop de questions qui méritaient des réponses. Enfin, des réponses. Tant pis s’il fallait passer par la case moment déplaisant avec son amie. Nate finit par entre dans la maison en lâchant un simple « merci », sans répondre au reste. Au pire, elle pourrait comprendre ce merci pour les félicitations aussi. Non ? C’était étrange de se retrouver dans cette maison à nouveau, si longtemps après. Un environnement familier, une atmosphère inconnue. Avant, il serait allé s’asseoir directement, aurait déposé sa veste n’importe où. Pas d’importance. Mais, à présent, il fallait passer à nouveau par toutes les étapes de l’amitié pour y revenir. Et l’interrogatoire qui n’allait sans doute pas tarder. Ou le réquisitoire, peut-être. Non, il fallait prendre les devants. Et de préférence éloigner la conversation le plus possible de ce qu’il redoutait. « Il va comment Elijah ? » Ouais, bon, c’était pas top. Et pour éloigner la conversation du problème… On pouvait faire mieux, bien mieux, puisque la prise d’otage avait été le coeur de bien des soucis. Mais, au moins, ça ne parlait pas de lui.

Qui était le responsable de cette ambiance pesante ? La réponse était bien compliquée, tout comme les raisons de cette question. Pourtant, Nate faisait de son mieux pour ne pas paraître gêné par la situation. Parler à Grace, c’était bien la dernière chose qu’il souhaitait. Enfin, il le souhaitait dans un sens, énormément… Il redoutait juste de l’entendre sortir les vérités qu’il avait réussi à éviter jusque là. Sans avoir le temps ou la chance de s’éclipser avant que son amie ne lui fasse comprendre qu’il n’avait pas le choix, Nate finit par céder sans résistance. Quiconque connaissait Grace savait que c’était pour le mieux. Et puis, ils ne pouvaient plus s’éviter encore longtemps. Les émotions s’étaient atténuées pour ne laisser qu’une nostalgie de cette amitié que Nate regrettait profondément. Oh oui ça lui avait manqué de passer du temps avec elle il y a plusieurs mois, d’avoir quelqu’un à qui parler de ses problèmes. Ses vrais problèmes, pour une fois. Quelqu’un qui aurait pu le comprendre et l’accepter malgré ses erreurs. Sauf qu’elle n’avait pas semblé accepter. C’était en tout cas de cette façon que le professeur avait traduit son silence.

Nate la suivit comme s’il ne connaissait pas les lieux. Qu’est-ce qu’il voulait boire en attendant ? Il sourit légèrement, elle savait très bien que le thé n’était jamais une option avec lui. « Un café ? » Petit, de préférence, pour ne pas avoir à rester trop longtemps. Quoique, un grand café serait aussi une solution pour pouvoir s’y plonger assez longtemps et ne pas avoir à trop parler. Pas même un merci qu’il sortirait après. Il s’installa sur le canapé et voilà que la conversation était lancée. Elijah. Il s’était imaginé que c’était un bon sujet, sans avoir trop réfléchi. Comme s’il était capable de réfléchir dans ce genre de situation où il n’était qu’une silhouette de nervosité toujours prête à sortir la pire boulette du monde. Et c’était plutôt mauvais signe pour Grace qu’il soit dans cet état. « C’est une bonne nouvelle alors... » Qu’il ne soit capable de répondre que de courtes phrases, toujours sur la défensive. Comme le proie qui attendait qu’on l’attaque. Prête à bondir, à répliquer ou à s’enfuir. Ou un mélange de tout, spécialité Nate qui faisait toujours son effet.

Elle se lança dans une tirade laissant craindre le pire à Nate qui écoutait attentivement pour déceler le moindre sous-entendu. Une excuse pour se défendre si elle partait à l’attaque rapidement, pour transposer les torts de son côté à elle. Là aussi, c’était une spécialité du fier Nate. Pourtant, elle ne fit que raconter les péripéties de sa vie, de celle de sa voisine. Etait-ce une façon de lui faire comprendre qu’elle n’avait pas eu une seconde à elle et qu’il aurait dû être celui à faire le premier pas ? « Je peux repasser plus tard si tu préfères, je veux pas te déranger si t’as plein de choses à faire... » Le brun préféra interpréter ce discours comme une porte de sortie pour s’enfuir de ce malaise. Ça ne coûtait rien de tenter, non ? Raté. Elle continua et sembla vouloir crever l’abcès. Sous la forme d’une plaisanterie, pour adoucir le tout. Il rit lui aussi, en réponse à sa réaction. Plus nerveusement qu’autre chose, sans doute. « Je pourrais dire la même chose de toi. » Il leva les yeux vers elle après avoir fui son regard depuis un bon bout de temps. C’était parti pour la discussion tant attendue. Et, promis, il essaierait d’y mettre les formes. « Mais je suppose que les torts sont partagés, cette fois-ci. » Contrairement à la dernière fois où Nate avait été le seul responsable du silence qui s’était installé entre eux deux. Peu après que Grace lui ait parlé d’une amie qui n’était autre qu’Hesther. Ah, ce bon temps où tout commençait à partir en vrille dans sa vie…

Sans avoir véritablement le choix, Nate finit par entrer dans la maison de celle qui fut autrefois une amie proche. On pouvait sentir ce malaise entre les deux, cette retenue que chacun avait de dire ce qu’il pensait. Pourquoi n’avait-il pas fait le premier pas ? Bref. Le professeur préférait lancer une conversation presque banale puisqu’il imaginait que Grace était sans cesse interrogé sur l’état de son fils, Elijah, blessé lors de la prise d’otage. Confortablement installé, Nate l’écouta monologuer alors qu’il ne répondait que peu. Typique, chez eux deux, mais le silence du jeune homme n’avait rien à voir avec sa nature tacite. « J’espère aussi. » Il essayait de se forcer à parler mais tout cela devait paraître bien superficiel de sa part. Le professeur profita donc de l’énumération de son amie pour tenter de se dérober, sans succès. De toute façon, elle venait de lui verser une tasse de café. Impossible de s’enfuir à présent sans s’attirer ses foudres. Comme s’il avait besoin d’en rajouter une couche, en plus.

Grace le rejoignit peu après dans le salon pour reprendre la discussion. Ou plutôt la lancer, véritablement. Plus de blabla sur la crèche vivante ou la voisine qui avait rencontré je ne sais quel problème. Elle pensait qu’il la fuyait et Nate ne se priva pas pour lui renvoyer la réflexion. Après tout, n’était-ce pas à elle de s’excuser de la manière dont elle avait réagi et était partie ? Il prit la tasse de café pour tenter d’éviter son regard quelques secondes mais ne pouvait résister trop longtemps, sachant qu’il ne ferait que rendre les choses plus difficiles. Avoir l’air d’un gamin pris en flagrant délit d’une grosse bêtise ne l’aiderait clairement pas à se défendre. Il préféra pourtant la laisser continuer, la laisser dire ce qu’elle avait sur le coeur, ou au moins expliquer son choix de garder le silence. Il prit une gorgée de son café, songeant qu’elle aurait pu le prendre, le temps. Ils n’avaient pas été que de simples amis de passage, non ? Mais il préféra se taire. Elle pourrait lui dire la même chose. « Oui, j’imagine. » Ce n’était pas la vie qui avait repris le dessus, pour sa part, mais plutôt sa colère. Son envie de tout balancer, encore une fois. Son refus de se voir reprocher quelque chose à nouveau, aussi.

« Avec Hesther ? » Ça, c’était inattendu. Il s’était attendu à être interrogé sur Casey, sur ses intentions concernant leur relation. Est-ce qu’il était sérieux ? Est-ce qu’il comptait briser le coeur de sa meilleure amie ? Mais non. Hesther. « Je suppose qu’on peut dire que ça ne se passe pas si mal, compte tenu des circonstances. » Grace était sans nul doute au courant pour les liens brisés entre frères. Que ce soit d’Hesther, de Casey ou d’une autre connaissance qui aurait appris l’ironie. En tout cas, lui, n’avait pas envie d’en parler et encore moins d’avoir à l’expliquer. « On essaie de faire au mieux, pour Joyce. » Mais je ne te cache pas que c’est pas facile. Voilà ce qu’il aurait pu dire s’ils avaient été les amis proches d’antan. Il lui aurait parlé de son frère, de ces mois passés à le haïr, à espérer qu’il disparaisse du jour au lendemain et que sa vie puisse reprendre son cours normal. Ou un peu moins chaotique. Mais avait-il vraiment envie de lui parler de tout ça ? Alors qu’il n’était même pas capable d’en dire un mot à Casey. De peur qu’elle aperçoive la rancoeur dans son regard.

Il fallait être honnête, ces retrouvailles ne se passaient pas très bien. Nate était silencieux, plus que d’habitude, et Grace essayait tant bien que mal de ne pas mettre les pieds dans le plat afin de ne pas le faire fuir. C’était désolant de voir leur amitié réduite à ces ruines de non-dits et de malaise. Où étaient-ils les efforts qu’il voulait faire, pour Casey ? Certainement oubliés dès qu’il avait fait un pas dans cette maison. Ou peut-être bien avant, qui sait. Il fallait dire que parler d’Hesther n’était jamais une partie de plaisir, même avec quelqu’un qui comprenait l’essence du problème. Quoique, Nate finit par se demander si elle le comprenait vraiment, le problème. « Oh c’est pas croiser Hesther qui me pose problème. Enfin, plus maintenant. » C’était à cause de ce putain de frère qui avait trouvé une autre manière de lui pourrir la vie. Comme si s’enfuir dans les quatre coins du pays toutes ces années ne lui avait pas suffi, il fallait qu’il fasse un retour tout aussi insupportable. Impossible qu’elle ne soit pas au courant de ce potin si croustillant de Redwood Hills. Pas Grace. Elle n’aurait qu’à aller chercher les informations, Nate ne lui donnerait pas. Oh, elle était habituée depuis le temps qu’elle le connaissait. Et elle comprendrait pourquoi il était si peu bavard sur le sujet, même pour lui.

Le silence qui s’installait entre les répliques devenait lourd, désagréable. Pourquoi penser à cet indésirable alors qu’ils devraient ne faire que parler de sa relation avec Casey ? Par chance, Grace reprit la parole et le lança, ce fameux sujet. « Officiel ? » Il sourit à sa remarque, enfin. C’était un début. « On ne se cache pas, non, alors on peut dire que c’est officiel. Tu peux le dire à tous ceux que ça intéressera... » Bien sûr que ça l’était, officiel. Tout le monde le savait à l’université. Enfin, tous ceux qui aimaient connaître la vie privée des professeurs. Ils ne s’affichaient pas non plus, ne se donnaient pas en spectacle mais… aucun secret. Plus de secret. Puis elle se demanda si la jeune femme avait rencontré sa fille. Joyce. Celle qui cristallisait toutes les failles de leur amitié. « Elle t’a rien dit alors ? » Étrange que Casey ne lui ait pas raconté tout ça alors qu’ils pensaient qu’elles se disaient tout. Ou peut-être était-ce une façon polie de faire la conversation, de le pousser à parler. « Elles se sont rencontrées avant Noël, on a décoré le sapin tous les trois. » Nate commençait à se détendre au fur et à mesure que les souvenirs lui revenaient. Le sapin, le Pôle Express à Burlington, Noël… « Et on a passé Noël ensemble, enfin le 25. » Un couple on ne peut plus officiel, oui. Le sourire devenait plus franc, le regard moins fuyant. « Je lui ai offert la clé de chez moi aussi, j’ai eu un peu peur qu’elle refuse mais... » Il rit légèrement dans un soupir en baissant la tête. Mais non, elle n’avait pas refusé. Elle lui avait même avoué ses sentiments pour lui. Si ça, ça ne rendait pas leur couple officiel, qu’est-ce qui le rendrait ? Pourtant, le malaise revint lorsque Nate repensa à leur dispute. « Je lui ai pas encore dit tout ce que tu sais Grace. » Ah, il était donc là le problème avec Grace. Ce n’était pas nécessairement leur légère dispute. C’était le risque de la savoir en capacité de dévoiler son passé d’homme infidèle, même s’il ne s’imaginait absolument pas celle qui avait été son amie lui faire ça.