Say that boy's a wonderment
No! The kid's a freak
But that kid he don't care none
His black hands resting on the keys
Hoppin' like a big old frog
And hissin' like a train

La musique pouvait être une chose terrible. Note à moi-même : ne plus écouter de musique lorsque ça n'allait pas du tout. Surtout pas Elton -dieu- John. Après cet enchaînement ultime de mauvaises décisions et tous ces éclats d'une rare intensité tomiesque, j'étais directement rentré chez moi et j'avais mis un CD dans la chaîne stéréo, juste avant de ne crasher sur le canapé avec la ferme intention de me transformer en fossile. Je n'avais aucune envie de rien, plus jamais. D'ailleurs, comment pouvais-je seulement envisager de remettre un pied à l'extérieur de cette maison ? Il n'était peut-être pas trop tard pour prendre un billet d'avion pour nulle part et y disparaître. Quand j'y pensais, ce n'était la première débandade que j'orchestrais malgré moi. Qu'est-ce que ce serait la prochaine fois ? Pouvais-je simplement faire pire ? J'imaginais d'ici ce qu'ils pouvaient se dire à mon sujet et la note exaspérée qu'il devait y avoir dans leur ton de voix. C'était évident, je devenais le sujet principal pour se moquer. J'étais une plaisanterie à moi seul. Tom, l'hystérique. Tom, l'envahissant. Tom, le stalker. Dans un geste rageur, je faisais disparaître ma tête sous un coussin en poussant un râle désespéré.

Je sursautais. Le silence régnait dans mon salon, tous les titres du CD avaient bien dû jouer sans que je ne m'en rende compte. Je m'étais endormi et tout compte fait, c'était probablement la meilleure chose. Il y avait une semi-obscurité, me laissant comprendre que les heures avaient filé. Mais on toquait à ma porte, je n'avais pas rêvé. Qui pouvait donc avoir envie de me voir ? Sans doute un livreur, je ne voyais pas d'autres options. J'avais le bras engourdi pour être resté trop longtemps appuyé dessus, et probablement les marques des coutures du coussin sur le côté droit du visage, et cela me tirait un soupir d'une profonde lassitude. J'allais répondre à la porte parce que franchement, je ne réfléchissais jamais assez avant d'agir. Les événements du jour l'avaient bien prouvé. Alors que le froid de l'extérieur me faisait grimacer, je posais les yeux sur... Nate. Mon esprit s'égarait en pleine confusion. Qu'est-ce que Nate pouvait bien venir faire chez-moi après tout ça ?

« Qu'est-ce que tu fais là ? » Encore une fois, aucun filtre. Je baissais les yeux, comme si cela pouvait faire une différence et me donner un air moins pathétique devant le professeur. « Écoute, Nate, je sais que je suis un crétin. Tu n'es responsable de rien. Alors, ce n'est pas la peine de faire semblant. Je sais bien qu'on n'est pas vraiment... amis... de toute façon... » Déballais-je tout d'un trait. Il aurait sans doute été plus simple de lui dire que j'étais désolé d'avoir peut-être gâché son après-midi, mais c'était ce que je faisais en lui disant que ce qui s'était passé n'était pas de sa responsabilité, non ? Du moins, à ma façon. « Juste le copain taré et hystérique de Lilly... » J'avais la nausée et le ton beaucoup trop sérieux, ainsi que le regard beaucoup trop absent lorsque je relevais la tête vers lui.

Se retrouver dans une telle situation n’avait jamais été au programme. Jamais. Nate n’avait pas pensé à mal en invitant Tom à le suivre chez son voisin, Alejandro. Bon, d’accord, c’était parti de son refus de le laisser entrer chez lui pour discuter autour de la fameuse boîte de chocolats. Il aurait sans doute mieux fait, se serait rendu compte que quelque chose n’allait pas chez lui. Qu’il n’avait pas cet entrain qui le caractérisait. Et adieu la rencontre affreuse qu’il avait provoquée. Enfin, bref. On ne pouvait pas changer le passé, Nate ne le savait que trop bien, et préférait aller de l’avant pour ne pas trop s’en faire. Une fois parti de chez son voisin, il fit un saut chez lui, s’occupa de quelques bricoles. Un peu de travail. Et direction chez Tom. Il n’allait quand même pas le laisser finir la journée sans prendre des nouvelles. Pas alors qu’il était responsable du drame qui s’était joué à quelques pas de lui.

A peine quelques minutes et Nate y était. L’avantage de vivre dans une petite ville comme Redwood Hills. Le seul avantage, puisque celui de connaître tout le monde ne l’était pas, comme la journée l’avait montré. Dans quel était allait-il trouvé Tom ? Oh, il espérait ne pas se retrouver en face d’une furie qui lui crierait dessus et le ferait regretter cet élan de sympathie. Pourtant, Nate ne s’en faisait pas. Il était confiant, certain qu’il faisait quelque chose de bien et que cela allait payer. Pas vrai ? Il sonna à la porte et dût attendre quelques instants. Il faisait froid quand même, un petit effort Tom ? Qu’il lui crie d’aller se faire voir au pire, il aurait sa réponse au moins. La porte s’ouvrit enfin et laissa apparaître une silhouette bien amochée. Ouch. Il l’avait si mal vécu que ça ? Quelle idée Nate, forcément qu’il l’avait mal vécu ! Le professeur ne fut pas accueilli en grande pompe mais ce n’était pas si mal. Pas d’agression, pas trop en tout cas. Juste un homme dévasté par ce qu’il venait de vivre.

Il le laissa parler. Dire ce qu’il avait sur le coeur. Si ça pouvait lui faire du bien, soit. Nate n’aurait qu’à ramasser ce qui restait à la petite cuillère. « C’est bon, t’as fini ? » Sans doute pas la meilleure chose à dire, mais Nate n’était pas délicat. Et puis, il avait appris que c’était parfois en bousculant les personnes qu’on arrivait à les faire sortir de leur torpeur. « On est pas obligé de parler de ça, mais je vois bien que ça va pas alors je vais pas te laisser tout seul. » Qui était donc ce Nate qui avait frappé à la porte de Tom ? Aimable et altruiste ? Étrange. « Je peux rentrer ? » Il montra la boîte de chocolats en guise de signe de paix. Non, il ne l’avait pas donnée à Alejandro. Et, si Tom le souhaitait, ils pourraient la dévorer pendant qu’il lâcherait ce qu’il avait sur le coeur.  Ça donnerait surtout une excuse à Nate pour garder le silence pendant que son ami déballerait ses malheurs. Être venu jusque là, c’était déjà un exploit pour lui.

Mon esprit parvenait encore difficilement à admettre la vérité que j'avais pourtant sous les yeux : Nate était devant moi. Pour une raison ou une autre, il avait pris le temps de se rendre jusqu'à moi. Non pas que cela relevait d'un effort surhumain dans ce petit village, mais tout de même. Si j'avais été moins préoccupé par mon monologue, c'était probablement ce qui aurait retenu le plus mon attention. Le professeur se chargeait toutefois de me ramener un peu brusquement à la réalité. Je fronçais instantanément les sourcils d'un air quelque peu scandalisé. Comment osait-il ? Il pouvait bien m'accuser d'en faire trop, mais il n'avait aucune idée de la façon dont je m'étais senti en tombant nez à nez avec mon ex un peu plus tôt aujourd'hui, il... Je pinçais les lèvres, pris d'un rare éclair de lucidité quand il était ainsi question de sujets hautement émotifs. Nate n'avait strictement rien dit de la sorte. Même qu'il proposait de ne pas du tout en parler si je le souhaitais, il ne... voulait pas me laisser seul. À l'entendre prononcer ces mots, mon coeur s'éparpillait en un million de morceaux par lesquels il était brisé. Je regardais mes orteils un instant, à tout le moins ce que je pouvais en apercevoir avec ces misérables chaussettes. Tout à la fois, je n'avais pas envie de prononcer un seul mot et je devais me faire violence pour contenir le flot de paroles qui menaçait de se déverser pour la seule et bonne raison que le professeur s'y intéressait un tout petit peu.

En guise de réponse, je m'écartais pour le laisser entrer et la porte se refermait sur l'étrange silence qui se prolongeait entre nous. Je n'osais pas le briser, de peur de laisser déferler non seulement l'immensité de mes doutes, mais avec eux les réflexions du professeur. Malgré cette vague d'altruisme de sa part, j'étais convaincu qu'il avait trouvé ma réaction excessive. Pouvais-je l'en blâmer ? Je trouvais moi-même ma réaction excessive, quoi que justifiée. « Les fameux chocolats... » Commentais-je, alors qu'il se retournait vers moi. J'étais quelque peu engourdi, si bien que je mettais de longues secondes avant de tendre les bras pour lui prendre son manteau que j'accrochais ensuite auprès du mien. Ou plutôt, des miens. Nate avait sans doute vu juste en les apportant avec lui ; cela m'apaisait. Il avait bel et bien respecté ma requête -supplication, devrais-je dire- et il n'avait pas laissé ceux-ci à Alejandro. « Tu les as amenés pour faire joli ou bien... ? » Je souriais faiblement, tentant un peu d'humour. De coutume, j'évitais de me perdre dans ce genre de compensation, mais pour une fois... Et puisque c'était le temps des fêtes... Même si je n'en disais rien, j'étais heureux que Nate soit là. Sans sa visite surprise, j'aurais probablement enchainer sur un autre album de mon Elton John et cette soirée se serait évanouie dans un splendide lyrisme un peu déprimant.

J'entrainais Nate à ma suite jusqu'à la cuisine, où des tabourets près du plan de travail nous offraient les meilleurs sièges pour cette... discussion. Je n'étais toujours pas certain de savoir ce qu'il espérait accomplir en venant me tenir compagnie. C'était plus fort que moi. J'avais tendance à me faire des scénarios sans queue ni tête et je craignais qu'il ne soit venu que pour apaiser sa conscience. « Je les avais achetés pour Lilly. » Avouais-je alors, songeant que le fait de le dire à voix haute rendait la chose plus pathétique encore. Cependant, j'avais déjà atteint des sommets en la matière et c'était surtout de sincérité dont j'avais besoin. Je haussais les épaules. « J'essaie de prendre mes distances... Alors, je... » J'avais décidé de les offrir à quelqu'un d'autre. Même pour moi, c'était bizarre. « Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à toi, je sais qu'on n'est pas vraiment amis - et je ne dis pas ça pour que tu me plaignes. » Pas cette fois, en tout cas. J'essayais seulement de faire preuve d'un peu de perspicacité parce qu'en ce qui concernait les excès, j'avais déjà dépassé la limite quotidienne permise. « Tu trouves ça pathétique ? » Je me servais un verre d'eau, duquel je prenais une longue gorgée avant de l'installer soigneusement sur un des sous-verres de ma collection. « Je t'offre quelque chose à boire ? » Nate avait sans doute bu suffisamment de vin bien cher chez notre connaissance commune, pour qu'il ne soit pas utile de lui en proposer. Je n'allais tout de même pas devenir un mauvais hôte pour autant.

Pourquoi avait-il décidé de se lancer dans cette discussion avec Tom ? Aucune idée. Il se surprendrait sans doute plus tard à se questionner là-dessus, sur ce soudain élan de sympathie envers l’ami d’une amie. Lui, Nate, qui était pourtant si peu enclin à compatir, à se soucier de ce que les autres pouvaient ressentir. Mais le voilà. Devant chez Tom. Une boîte de chocolats dans la main, la même que tout à l’heure, en espérant qu’il y verrait un signe de paix. Une volonté de se faire excuser pour la triste erreur, même inconsciente, qu’il avait commise un peu plus tôt. Mais surtout pour n’avoir rien fait lorsqu’il l’avait comprise. C’était sans doute aussi ce côté égoïste qui motivait Nate, en partie. Cette boulette qu’il voulait effacer au plus vite, pour son ego et pour l’image que Tom et Lilly auraient de lui. Parce que, oui, il n’oubliait pas que tout ce qui se produisait avec Tom parviendrait d’une façon ou d’une autre aux oreilles de Lilly et ça… Disons que Nate craignait plus la revanche de cette blonde, moins celle du brun. Pourtant, il ne pouvait nier qu’il tenait aussi à s’assurer que tout allait bien pour celui qui deviendrait bien un ami avec le temps.

Nate avait tout de même craint subir un nouveau scandale après avoir bousculé son interlocuteur, mais non. Tom sembla se rendre compte que le professeur n’avait aucune envie de se battre avec lui, juste de l’aider à passer ce moment difficile, et finit même par l’inviter à entrer chez lui. Bon, l’ambiance était toujours aussi étrange bien que largement moins gênante qu’auparavant. Entre le temps de réaction du jeune homme et sa plaisanterie à peine crédible sur les chocolats… Il faudrait être aveugle et même sourd pour ne pas se rendre compte que Tom était au fond du gouffre. « Pour faire joli, c’est exactement ça ! » Nate continua sur le même ton pour tenter à son tour de détendre l’atmosphère. Pendant ce temps, il ouvrit le paquet pour dévoiler la boîte de chocolats . Enfin. Un pas de plus avant la dégustation qui ne devrait plus tarder. Ils seraient bien plus utiles ainsi, au lieu de se perdre sur une table chez lui.

Suivant Tom jusqu’à la cuisine, Nate observa un les alentours. Toujours cette curiosité de découvrir l’environnement, les aménagements et décorations qui en dévoilaient tellement sur les personnalités. Bref, ce n’était pas le moment de se lancer dans une pseudo-psychanalyse du jeune homme clairement en proie au désarroi. Le professeur s’installa et déposa la boîte. Alors, comme ça, Nate avait été le second choix ? Il aurait sûrement plaisanté sur cette révélation, en temps normal, mais il se ravisa rapidement. Ce n’était pas le moment de tout ramener à lui. Il préféra le laisser parler puisqu’il semblait en mourir d’envie. Quelque chose d’étrange se passait, dans sa façon de parler de Lilly, de cette situation… D’accord, ils n’étaient pas si proches, mais ce n’était que des chocolats. Pas de quoi en faire tout un plat. Et ça ne pouvait être que par rapport à l’inopportune rencontre avec Alejandro. « Mais non, dis pas ça. » Il en faisait beaucoup, c’était vrai, mais de là à dire pathétique… Il avait ses raisons, et même si elles semblaient démesurées pour certains, Nate ne pouvait que comprendre son état d’esprit. Après tout, il avait été prisonnier de sa colère tellement longtemps qu’il aurait fallu être un véritable hypocrite pour ne faire aucun effort pour un ami dans le même état. « Je veux bien un verre d’eau, merci. » Ou rien du tout, mais il préféra ne pas refuser sa proposition. On ne savait jamais avec les fortes émotions. Il rapprocha la boîte de chocolats de son hôte pour l’inviter à se servir et lui donner un peu de courage pour la suite. « Ça se passe pas bien avec Lilly ? » Il fallait bien commencer quelque part, même si Nate n’était pas certain de s’immiscer cette fois-ci entre les deux amis. « Enfin, si tu veux en parler... » C’était pour cela qu’il était venu, alors autant en profiter pour déballer tout ce qui lui traversait l’esprit…

Nate prenait sans doute la bonne décision en ne plaisantant pas sur les chocolats. Ceux-ci étaient devenus l'emblème même de mes problèmes qui, bien sûr, étaient un peu plus compliqués que la simple surprise de tomber sur un ex qui s'était fait un plaisir de dire devant notre « ami commun » que notre histoire n'avait été qu'une aventure d'été sans importance. Cette simple pensée me faisait bouillir le sang, mais j'étais suffisamment au fond du gouffre pour ne plus en ressentir l'amertume qui me collait de toute façon à la peau à propos de tout et n'importe quoi en ce moment. Non, la présence de Nate parvenait étrangement à me calmer. Peut-être était-ce cette manie que j'avais de ne pas vouloir mal paraitre et qui, même si j'avais déjà marqué pas mal de points négatifs, ne m'avait pas encore complètement abandonné. Je jetais un coup d'oeil à la boite de chocolats, tenté de céder à l'appel de ceux-ci comme pour crever un abcès. Triste de parler de chocolats de la sorte, mais enfin. J'étais encore trop occupé par mon rôle d'hôte et j'étais ravi de pouvoir lui servir un verre d'eau à son tour, que je posais évidemment sur un autre sous-verres qui était de sortie pour l'occasion. D'accord, ça ne pouvait pas aller si mal si je prenais encore le temps de bien faire les choses et de me soucier de mes meubles.

Je lui avais adressé un pâle sourire quand il m'avait contredit. C'était déjà beaucoup, je n'étais pas en train d'attendre qu'il fasse tout un monologue sur mon attitude que nous savions tous les deux excessive. Il me témoignait tout de même qu'il comprenait et c'était précieux. Qui d'autre pouvait en dire autant ? Pour être juste, je n'avais pas tenté de partager ce qui me tracassait avec toutes les personnes de mon entourage et il aurait par conséquent été bien faux de dire qu'elles ne pouvaient toutes pas comprendre, mais l'idée y était. Qui s'en souciait ? ...Nate s'en souciait. Pour l'heure, c'était tout ce qui comptait et je n'étais pas en état de me perdre dans d'autres considérations. Je l'avais regardé quelques secondes quand sa question -toute simple pourtant- au sujet de Lilly était tombée comme une sentence. Le simple fait de l'admettre me faisait mal, mais comment le nier à présent ? Et surtout, pourquoi le nier ? Mon regard rencontrait la surface plate du plan de travail où trônaient à présent nos deux verres d'eau, qui eux étaient surtout là pour faire joli, et la boite de chocolats. J'étirais la main pour ouvrir celle-ci et avoir quelque chose à regarder même si je ne me décidais toujours pas à en manger un. Au placard les faux-semblants. Nate était là pour ça, non ?

« Tu sais, ça fait des mois que j'ai l'impression de vivre la pire rupture de toute ma vie. » Avouais-je d'un ton grave et étrangement lucide. « Je suis heureux pour Lil'. Je le suis vraiment, même si je ne porte pas Fitz dans mon coeur. » C'était une façon très polie de dire que je détestais tout chez cet homme, mais j'avais déjà raconté cette histoire au professeur. « Mais tu sais, en dehors... du sexe... » Je levais les yeux vers Nate pour m'assurer qu'il n'était pas en train de grimacer devant mes confidences, mais je ne pouvais de toute façon pas m'interrompre, maintenant que j'étais lancé. « Je n'ai jamais aimé quelqu'un comme je l'aime, elle. » Je déglutissais péniblement. Attrapant par le fait même mon verre d'eau sans pour autant prendre une gorgée. « On vivait ensemble... On parlait d'avoir ce bébé... » Cette idée qui avait semblé la meilleure qui soit fut une certaine époque pas si lointaine était absurde aujourd'hui. « Tu connais Lilly, tout est beau dans le meilleur des mondes et c'est impossible de lui parler de quoi que ce soit. De toute façon pourquoi lui parler de quoi que ce soit... Elle m'a juste... brisé le coeur. Sans le savoir, peut-être. » Légitime ou pas, c'était la façon dont je ressentais les choses et je n'y pouvais rien. J'avais pourtant essayé. « Je crois que je fais partie de ces gens qu'on finit toujours par jeter, d'une façon ou d'une autre. » C'était facile de dire non, que ça ne se pouvait pas, mais il n'y avait qu'à se rappeler la façon dont Alejandro avait parlé de moi et il devenait plus que normal que cela m'ait fait ainsi exploser.

Ce rôle de réconfort était à mille lieues des habitudes de Nate. Lui qui était si souvent un simple observateur silencieux ou, pire, celui qui accusait, se retrouvait à devoir rassurer un ami. Enfin, était-il vraiment un ami ? Au mieux, ils étaient de bonnes connaissances avec une amitié commune. Le professeur avait appris à savoir qui était ce meilleur ami de Lilly, d’abord à travers les mots de la blonde puis lors d’une rencontre montée de toutes pièces. Ce n’était pas tant que ça, mais quand on connaissait Lilly, on pouvait très bien s’imaginer le genre de personne qu’elle prendrait pour meilleur ami. Un reflet d’elle-même, excessif à bien des niveaux mais attachant. Une bonne humeur qui ne pouvait que se transmettre à l’autre. Alors, en voyant le pauvre Tom dans cet état, nul n’avait besoin d’être son plus grand ami pour savoir que quelque chose clochait. Au-delà de cette rencontre catastrophique avec un voisin. Et, pour une fois, Nate se tentait à endosser le rôle de l’ami réconfortant. Tant pis s’il n’était pas très doué, il faisait de son mieux. C’était déjà bien, non ?

Nate avait fini par évoquer Lilly, un sujet qui semblait avoir son importance dans tout ce mélodrame Pas manqué. Ce prénom uniquement réussit à lui faire comprendre qu’il était tombé juste. L’amitié n’était plus au beau fixe entre eux deux ? Impossible. Quoique. En y réfléchissant, le jeune homme avait été assez virulent avec le mari tombé du ciel. Peut-être y avait-il un rapport ? Le professeur pensa que que Tom allait esquiver la question en s’approchant des chocolats mais… Non. Et le voilà partie dans une tirade d’explications. Mince. C’était si intense que ça ? Jamais Nate n’aurait imaginé que la présence de Fitz avait eu un tel impact sur leur amitié. En même temps, il ne s’était rendu compte de leur lien très fort qu’il y a peu et… il fallait avouer qu’il avait eu d’autres préoccupations. Silencieux, il l’écoutait exposer son ressenti. C’était pourtant évident que Tom se sentait abandonné dans cette histoire. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Lui, Nate, un connaisseur de l’abandon subi ou imposé. Pourquoi ? Oh, sans doute parce qu’il ne pensait que trop rarement aux autres. Le pauvre semblait véritablement au fond du gouffre et se noyait dans ses idées noires. Allez Nate, c’est le moment de te dévoiler fin psychologue. Ou pas.

« Je serais pas venu là si j’avais l’intention de te laisser. Alors, non, t’es pas ce genre-là. » Première étape, se mettre en avant et obliger l’autre à apprécier ses efforts. Réussi, Nate. « Ne te mets pas ces idées en tête, ça t’aidera pas. Crois-moi. » Oh oui, Nate était particulièrement doué dans ce domaine et en avait fait les frais. Et il avait même failli perdre très gros, si Casey n’avait pas été si compréhensive. Pourtant, c’était sans nul doute une étape à passer pour aller mieux. Pour tourner la page. Peut-être que cette rencontre avec Alejandro finirait par être bénéfique et l’aider à passer à autre chose à l’avenir. Ou peut-être que ce n’était qu’une idée que Nate se mettait en tête pour ne pas trop culpabiliser en voyant l’état de son ami. « Je comprends, pour Lilly. » Pour le reste aussi, d’ailleurs. « Les vraies conversations ne sont pas toujours faciles avec elle. » Ce n’était déjà pas simple avec Nate, mais alors avec Tom… Honnêtement, ce n’était pas chose aisée de les imaginer avoir une discussion sérieuse. Désolé, Tom. « Il faudrait que tu essaies quand même, ça peut pas durer comme ça. » Les non-dits, ça aussi le professeur connaissait. Et c’était bien pire qu’une bonne engueulade. Quoique… Tout était relatif. Mais, s’il avait véritablement le coeur brisé, il ne pouvait pas ne pas en parler. « Je suis sûr qu’elle comprendrait. » Mouais, ce n’était peut-être pas le genre d’affirmation à sortir. On parlait de Lilly là, quand même. « Tu voudrais lui dire quoi, si elle était là ? » Façon subtile de continuer à le faire parler alors que Nate n’avait aucune idée de quoi ajouter pour qu’il se sente mieux. Peut-être pas si subtile, il n’y avait plus qu’à espérer que Tom soit trop noyé dans ses pensées pour le remarquer.

Est-ce que Nate était la meilleure personne pour recueillir mes confidences le plus intimes du moment ? Peut-être pas. Je ne savais même pas si nous avions des points communs en dehors de cette amitié commune avec Lilly ou le fait de vivre dans la même ville et de travailler à Burlington. En soi, ça nous en faisait déjà trois. Il fallait faire avec, le hasard et un peu de sa volonté avaient fait en sorte de nous faire partager cette fin de soirée. Pour cela, je lui en étais reconnaissant. Cette pensée me revenait en tête bien plus fortement que tout le reste à chaque vingt secondes qui s'écoulaient. Il se passait quelque chose d'inédit. Je ne m'inquiétais plus ce qu'il pensait. En fait, non... Je m'inquiétais toujours et je le faisais à ce moment même, mais j'étais si captif de mes propres sentiments que j'en oubliais de réfléchir, et d'agir, en fonction de ma crainte de son jugement. Si Nate était venu pour me tirer des aveux, il y avait de fortes chances qu'il se demande bientôt comment arrêter cette familiarité nouvelle entre nous. Quelque chose en moi, ce si profond mal-être, s'accrochait à lui doucement comme s'il pouvait, pour une heure peut-être, alléger le poids qui me pesait terriblement.

Un très mince sourire trouvait son chemin sur mon visage, mon regard flottant dans le vide. C'était évident qu'il allait dire ça, les gens avaient toujours du mal à ce qu'on exprime la vérité si clairement. Enfin, malgré tout, je trouvais un peu de réconfort dans sa réponse qui n'était pas « tu as raison, Tom, tu es le pire cas désespéré qui m'ait été donné de rencontrer ». J'ignorais pourquoi, mais je le croyais. Quelque chose me soufflait qu'il pouvait comprendre, à sa façon, de la même façon que j'ignorais à vrai dire de quoi pouvait être constituée sa vie à lui, mais que j'étais persuadé que cette note de sincérité quand il me disait de le croire n'était pas feinte. C'était bien le moins qu'on puisse dire : les véritables conversations n'étaient pas aisées avec ma blonde. Même avec Nate, j'avais l'impression d'avoir échangé plus de mots sur ce qui me préoccupait vraiment que ce que j'avais pu faire avec Lilly ces derniers mois. Le jour et la nuit, à côté de ce dont nous avions l'habitude tous les deux. « C'est qu'elle ne veut pas entendre. » Soufflais-je doucement. Lilly était pétillante et parfois étourdie, comme je pouvais l'être moi-même, mais elle savait écouter. Il fallait pour cela qu'elle en ait envie et ce n'était pas du tout le cas en ce qui concernait ce que je lui partageais. « Elle ne veut pas comprendre non plus. » Protestais-je mollement. Mais avais-je suffisamment essayé de lui expliquer ? N'avais-je pas moi-même joué les lâches en me butant à ses premières stratégies de contournement parce que je n'avais pas la moindre envie de changer quoi que ce soit de plus à notre amitié ? Je relevais les yeux vers Nate, peu convaincu.

« Je lui dirais... » Je n'aimais pas beaucoup cette façon de faire. J'étais incapable de m'imaginer Lilly à la place de Nate en ayant les yeux rivés sur lui, c'était impossible. « C'est trop bizarre. » Soupirais-je. Mais je comprenais où il voulait en venir et je tentais de me concentrer. « Je ne peux rien lui dire parce qu'elle ne peut rien changer. » Dans toute cette histoire, c'était bien le pire. Il n'y avait rien que je voulais la voir changer parce que c'était son bonheur et les choix qu'elle avait faits pour la vie qu'elle voulait mener. J'aurais été le pire des amis de l'univers si j'avais exigé quoi que ce soit d'autre, même si le temps était peut-être venu pour moi de faire le deuil de ce que notre relation ne serait jamais comme Lilly avait bien dû le faire quand nous étions adolescents. « Je lui dirais que tout a changé. D'accord, peut-être pas tout, mais beaucoup de choses. Et que ce sont ses choix. » Mon regard s'accrochait à celui du professeur. « Et qu'elle.. qu'elle doit me laisser changer aussi. Je crois que j’ai déjà changé. » Je n'étais pas certain de ce que cela voulait dire, mais je savais que les choses ne pouvaient plus être comme avant. Au fond de moi, j'avais aussi envie d'avancer. « Tu as déjà eu le coeur brisé, Nate... » C'était une question, même s'il manquait le ton interrogatif qui aurait dû s'y accoler. J'admirais le jeune homme, mais je savais déjà qu'il l'avait probablement eu, alors j'espérais surtout qu'il ait envie de m'en parler pour que je me sente un peu moins seul.

C’était tout à fait inouï. Nate en tant que confident, ami réconfortant. Il n’était pas habitué à ce genre de chose. Certes, il savait écouter les problèmes des autres, il était même plutôt doué pour ça, tant qu’il n’avait pas à y répondre. A trouver ce qu’il fallait dire pour rassurer l’autre. Le problème avec Tom, c’est qu’il avait autant besoin d’écoute que de mots. Et ça, ce n’était clairement pas le domaine de Nate. Au contraire. Il pouvait être tellement maladroit, tellement détaché jusqu’à paraître froid. Le brun essayait bien de faire mieux depuis quelques temps mais… on ne pouvait faire des miracles d’un homme si marqué. Si égoïste. Et pourtant… et pourtant. Il était là, chez celui qu’il ne pouvait pas vraiment appelé son ami puisqu’ils s’étaient si peu rencontrés, et tentait de trouver les mots justes pour qu’il ne s’enferme pas dans la même prison que lui avait connue. La même, ou une différente. Quelle importance ? Le mal être était insupportable dans tous les cas.

Nate essaya de le faire parler, de lui faire dire ce qu’il reprochait à Lilly. Jamais il ne s’était imaginé parler d’elle en venant chez leur ami commun. Jamais. Enfin, peut-être une minute ou deux mais pas autant. Encore moins qu’elle serait au coeur du mal être de celui qui était censé être son meilleur ami. C’était bizarre, oui, Nate se doutait bien qu’il ne faisait pas véritablement une Lilly crédible et pourtant Tom continua de se prêter au jeu. C’était étrange de se retrouver au milieu de cette amitié semblant s’étioler au fil des jours, au fil des mois. Ils devaient être sacrément proches pour qu’il se sente si mal. Ou terriblement seul. Comment ne pas comprendre ? « Pourquoi tu pourrais pas lui dire ça ? » Ironique venant d’un homme qui préférait la fuite à l’aveu de ses pensées, de ses sentiments. Mais on ne parlait pas de lui ici, pas vrai ? « Je sais que c’est compliqué avec elle mais je pense vraiment qu’elle peut comprendre. » Elle avait su comprendre Nate a plusieurs reprises quand il n’était pas au top de sa forme, à sa façon bien sûr. En tout cas, le professeur en était convaincu. Alors pourquoi ne pourrait-elle pas faire la même chose pour son ami le plus proche ? « Peut-être pas maintenant, mais au moins avec le temps. Elle finira bien par se rendre compte de certaines choses. Que vous avez changé, comme tu dis. » Revenir après six mois d’absence et en plus accompagnée d’un mari… Forcément, ça faisait un choc. Nate ne pouvait même pas imaginé le sentiment d’abandon qu’il avait dû ressentir.

Puis Tom changea de sujet. Est-ce que Nate avait déjà eu le coeur brisé ? Il baissa le regard un instant et laissa le silence s’installer quelques secondes. Tout le monde finissait par avoir le coeur brisé, d’une façon ou d’une autre. De même pour lui, même s’il ne l’avouerait jamais. Ou que cette fois-ci. « Sans doute pas pour la raison que tu imagines... » Pas à cause d’une femme. Pas à cause d’une relation brisée. Pour une raison que Tom était sur le point de découvrir. « Quand j’ai dû quitter ma fille je… » Il jeta un coup d’oeil vers lui un court instant avant de baisser les yeux à nouveau et soupirer l’égèrement. C’était la première fois qu’il en parlait et ça ne rendait pas les choses faciles. « J’avais l’impression de n’avoir plus rien. De n’être plus rien. Il y avait ce vide… c’était insupportable. » Encore plus alors qu’il s’était retrouvé à Redwood Hills du jour au lendemain. Sans attache. Sans rien. Juste lui et ses regrets, ses remords. Son silence. « J’ai vécu avec pendant des années, sans rien dire, et crois-moi je ne le conseille à personne. » Et s’il pouvait éviter le même genre de souffrance à quelqu’un qui considérait de plus en plus comme un ami, il fallait qu’il agisse. « Alors quand je te dis d’aller lui parler... » C’est pour ne pas faire la même connerie que moi. Garder le silence n’était jamais bon, il l’apprenait chaque jour de sa vie. « Ça sera peut-être pas agréable sur le moment, sûrement pas, mais ça vaudra mieux que ce que j’ai fait. » Que ce qu’il faisait encore. Quel hypocrite.

Ce qui faisait le plus mal, c'était de savoir qu'il avait raison même s'il ne l'affirmait qu'à demi-mot. Si je n'avais pas fait ces aveux à ma blonde, c'était parce que je n'en avais pas la moindre envie. Notre amitié était beaucoup plus menacée par le statuquo que j'avais décidé de laisser s'instaurer que par les terribles vérités qu'il fallait regarder en face pour mieux... s'adapter. Au fond de moi, je savais bien que Lilly + Tom, c'était pour la vie. Rien ne saurait vraiment nous séparer, il ne suffisait que d'accepter de changer, mais je n'avais pas envie que notre relation change. Elle l'avait déjà fait, je l'avais dit moi-même. Mon coeur se serrait plus douloureusement que jamais aujourd'hui. Je savais, et malgré les efforts surhumains que je faisais pour rester bien confortablement dans mon déni, je savais encore. Je pinçais les lèvres et serrais les dents, alors qu'il prononçait des mots simples. Communiquer. J'aurais prodigué le même genre de conseil si les rôles avaient été inversés, qui pouvait contredire qu'il était toujours mieux de communiquer ? Non seulement le professeur parvenait tout de même à insuffler un sens à ces paroles qui auraient pu sembler creuses, mais il me donnait l'impression de comprendre vraiment, sans jugement. Je lui souriais doucement, peu convaincu mais pourtant sachant qu'il disait vrai, alors qu'il évoquait le temps. Ce même temps qui guérissait tout, du moins qui parvenait à apaiser les maux, mais qui se faisait toujours si cruel à prendre son temps.

Nate jouait le jeu. J'étais rassuré de ne pas le voir se braquer, alors que je le questionnais plus ou moins sur son propre vécu. J'aurais certes compris qu'il le fasse, car il n'avait jamais demandé à être interrogé. Il était venu par amitié, même si nous n'étions pas tout à fait des amis. L'effort qu'il faisait, à tout le moins je le percevais ainsi, me forçait à un silence bourré de respect. Sa fille. Je hochais la tête lentement, l'air compréhensif. Pourtant, pouvais-je vraiment comprendre ? Je savais ce que représentait une famille, je savais ce que cela faisait d'avoir le coeur brisé et d'aimer, pas forcément de passion, mais de quelque chose d'autre. Ce qui me liait à Lilly était plus fort que la plupart des histoires de coeur, mais était-ce comparable à ce que l'on pouvait éprouver pour un enfant ? Je n'avais pas la chance de le savoir, mais quelque part au fond de moi j'avais le sentiment d'en avoir la plus intime intuition. « Tu sais de quoi tu parles. » Complétais-je en le regardant dans les yeux, quand il me rappelait son conseil d'aller lui parler. Ainsi, Nate avait aussi fait l'expérience de garder à l'intérieur trop de choses douloureuses. « Comment t'as fait ? » Je me permettais de pousser plus loin les interrogations, mais cette discussion avait tout d'inédit. Lui, Nate, qui s'ouvrait sans que cela ne soit plus compliqué et qui jouait le confident. Moi, qui n'enchainait pas des centaines de mots dans une énergie délirante. Je ne lui avais pas menti, un peu plus tôt, quand j'avais dit que j'avais déjà changé, même si l'on ne changeait jamais complètement. « Pour surmonter tout ça, malgré tout. » Peut-être que je présumais un peu trop, parce que je ne savais pas vraiment s'il avait réussi à surmonter ce dont il me parlait à demi-mot. Je savais en tout cas qu'il avait pu rétablir un contact avec sa fille, mais était-ce seulement le temps qui avait opéré ?

« Je suis désolé, Nate, pour ma réaction avec Alej'. » Je hochais la tête à une ou deux reprises. « C'est une vieille histoire, mais ça m'a replongé tout à la fois dans mes deux plus grands problèmes de l'heure actuelle : l'incapacité à communiquer... » Parce que, franchement, Alejandro et moi n'avions jamais su régler nos comptes. Je doutais même que cela l'intéresse. « ...et le fait de constamment échouer, en tout cas, dans ce domaine. » J'avais beau être irrémédiablement romantique en mon genre, je n'avais jamais vécu d'histoire digne de ce nom. « C'est le premier mec que j'ai aimé. » Soupirais-je.

Bien sûr que Nate percevait toute l’ironie de son discours. Ou plutôt, toute l’hypocrisie ? L’entendre défendre la parole, la communication, la transparence. Oh oui, il savait que c’était là le remède à tous les maux dans une relation. Qu’elle soit amicale ou amoureuse. Oh oui, il le savait. Parce qu’il n’en avait jamais usé et le résultat était évident. Si l’on ne voulait pas se retrouver seul, comme le professeur l’avait été pendant de longues années, il ne fallait pas être avare de ce remède. Il commençait d’ailleurs à en voir les bénéfices dans sa relation avec Casey qui se passait si bien depuis qu’ils avaient pu parler. Un peu. Juste un peu. Nate n’avait plus qu’à écouter ses propres conseils et consolider son couple en ouvrant les tristes chapitres de sa vie qu’il aurait largement préféré arracher pour mieux les oublier. Alors, quand il voyait Tom grimacer à moitié alors qu’il lui racontait tout ça, le professeur ne pouvait que le comprendre. Pourtant, il remarqua ensuite un léger sourire. Se pouvait-il qu’il croit ce discours creux bien que compréhensif et prévenant ? Nate n’était peut-être pas si mauvais, tout compte fait. Enfin, de là à dire qu’il pourrait être un bon ami… il y avait sans nul doute un écart considérable. Néanmoins, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas laisser le pauvre se noyer dans ses idées noires.

Pourquoi avait-il décidé de déballer tout son ressenti face à l’abandon de Joyce ? Pourquoi à Tom, parmi tant d’autres ? Sans doute parce que c’était plus facile. Il ne le connaissait pas, pas tant que ça. Et, peut-être qu’au fond, Nate se disait qu’il ne risquait pas grand-chose en faisant ce genre de confidence au jeune homme. C’était étrange de se retrouver devant un Tom silencieux, retenu. Dans d’autres circonstances, le professeur aurait été assailli de questions et remarques en tout genre. Pas maintenant. C’était aussi pour cela qu’il avait réussi à se confier, non ? Pourtant, il ne se renferma pas face à la curiosité de son interlocuteur. Au contraire. « J’ai rien fait, justement. » Malheureusement. D’où sa lucidité concernant la situation. Il regarda un instant Tom avant de reprendre. « Je me suis convaincu que je finirais par passer à autre chose. » Comme à chaque fois, la solution de facilité. Pourquoi parler quand le temps pouvait faire le travail à notre place ? Problème dans l’équation. Ce n’était pas si facile. Ca ne l’était jamais. « Sauf que j’ai fini par m’enfoncer un petit plus chaque jour. Avec le temps tu t’enfermes dans ton silence. » Nate commençait tout juste à s’en délivrer. Cinq ans après. Pas trop tôt, hein ? Mais il avait encore tellement d’efforts à faire. Et encore, il pouvait remercier le destin de l’avoir aidé ou il en serait toujours au même stade. « Et un jour j’ai eu la chance de la retrouver. Ca n’a pas été facile, ça m’a pris énormément de temps pour tourner la page. » Est-ce qu’elle était vraiment tournée ? Sois honnête Nate, elle ne le serait sans doute jamais. Il soupira. « Mais, la crainte du vide, elle sera toujours là. Parce que je l’ai laissé gagner à l’époque. Et je veux pas que ça t’arrive aussi. » Ils n’étaient pas si proches, mais l’universitaire se sentait en devoir de l’aider à surmonter ses problèmes. Il sourit légèrement, dans l’espoir que ça l’aiderait à ne pas faire la même erreur que lui.

Puis, Tom finit par s’excuser pour son comportement de la journée. Inutile. On avait tous des jours, des moments comme ça... « T’inquiète pas. J’ai pas fait mieux quand j’ai vu mon ex au bras de mon frère... » Il se permit un léger rire alors que tout cela n’était absolument pas drôle. Mais ça aiderait à détendre un peu l’atmosphère. Peut-être. Un coeur brisé en avait besoin. « Tu trouveras quelqu’un, je suis sûr. » Les paroles que tout le monde sortait dans ce genre de situation, mais que dire d’autre ? Tom ne déméritait pas, au contraire. En tout cas, si Nate avait su trouver quelqu’un, il n’y avait aucune raison que lui n’en soit pas capable. « Peut-être même que tu le connais déjà mais que t’as aucune idée de ce que l’avenir vous réserve... » Il lui sourit, un peu plus largement. C’était l’expérience qui parlait. Et peut-être qu’il parviendrait à lui faire parler d’une connaissance qui lui plaisait bien… Histoire de lui changer les idées.