one step closer to disaster

Alejandro, Tom & Nate (Lilac Road | Décembre 2018)

Passer un peu de temps hors de chez lui et sans la compagnie de Casey lui serait profitable, même si le brun ne le voyait pas de cet œil. Il avait bien du mal à se séparer d’elle mais ne savourait que mieux leurs retrouvailles. Ils avaient donc décidé de ne pas passer la journée ensemble et Nate en profitait pour retrouver un voisin et ami afin de discuter de tout et de rien. Peut-être boulot, pour le plaindre à nouveau de ses élèves adolescents. Les pires qui pouvaient exister. Peut-être perso, pour le plaindre de l’absence de son mari. Heureusement, ils trouvaient toujours d’autres sujets de conversation bien plus réjouissants. Et Nate ne s’attardait pas non plus trop sur ces choses-là, se doutant que ce n’était pas très délicat de sa part de s’immiscer dans ce mariage, même s’il ne manquait jamais de l’inviter à postuler à l’université. Ce serait l’idéal pour lui et ses qualifications, pourquoi ne pas franchir le pas ? L’universitaire finirait bien par avoir raison de lui, tant pis s’il fallait être un peu lourd. Nate n’était pas réputé pour sa délicatesse de toute façon.

Nate était sur le départ quand il se rappela avoir oublier la bouteille de vin qu’il souhaitait apporter en guise de joyeux Noël et bonne année, un peu en avance pour ce dernier certes. Un détour dans la cuisine, il l’empoigna rapidement avant de se diriger vers l’entrée. Il ouvrit la porte et échappa de peu à la catastrophe en se retenant avant de foncer sur l’importun qui se présentait devant sa porte. Non annoncé, ce que Nate détestait par-dessus tout. Enfin, il était d’excellente humeur depuis quelques semaines, alors ce n’était pas ça qui allait le transformer en ce démon qu’il avait pu être auparavant. Surtout qu’il ne s’agissait pas d’un visage hostile. « Tom ? » Plutôt étonnant de le voir débarquer devant chez lui à l’improviste. « Je vais chez un voisin là, t’as besoin de quelque chose ? Sinon tu peux venir c’est pas un problème. » En tout cas, il l’espérait. D’autant que Nate n’avait pas particulièrement envie de faire faux bond à Alejandro pour converser avec le meilleur ami de Lilly. Il les appréciait, rien à dire là-dessus, mais il s’imaginait déjà avoir à faire un compte-rendu précis sur sa rencontre avec le fameux mari, Fitz. Il avait bien dû en entendre parler depuis le temps. Le professeur ne lui laissa pas vraiment le temps de répondre, il ferma sa porte et l’invita à le suivre. Il comprendrait le message, non ?

Une catastrophe. Ce mois était une catastrophe. D'abord, Lilly et son don suprême d'éviter les sujets fâcheux. Don que nous partagions tous les deux, mais qui ne me plaisait pas du tout quand j'en payais les frais. Je lui faisais la tête depuis, même si elle ne se rendait compte de rien. Ou plutôt, ça aussi elle l'évitait. Ensuite, cette complète déconfiture que je m'étais prise avec Sacha Lewis, aka l'homme que j'avais cru être l'homme de ma vie une heure après l'avoir rencontré. Objectivement, rien ne s'était passé qui soit si horrible, mais j'avais gardé malgré moi cette amertume profonde. Mon quotidien me faisait mourir d'ennui. Le boulot était bien la seule chose un peu réjouissante et à l'approche des vacances de fin d'année, je ne pouvais faire autre chose que broyer du noir. Qu'allais-je donc faire une fois privé de la seule chose qui me changeait un peu les idées ? J'allais devenir une larve et ce n'était pas joli à voir. J'envisageais déjà d'hiberner jusqu'au 7 janvier et d'être le premier arrivé au bureau, des chocolats à la main pour tout le monde parce que je n'aurais pas eu le temps d'en manger un seul si j'hibernais. Car pour couronner le tout, mon père devait passer les fêtes de fin d'années à Washington et je n'avais pas envie de prendre un billet d'avion pour passer Noël en famille. Je serais seul. Comme toujours, à jamais. Cette malédiction planant au dessus de ma tête ne me quitterait jamais et je crèverais seul aussi.

Armé de ces pensées sombres, j'errais dans le voisinage. Dans un moment de faiblesse, j'avais acheté des chocolats pour Lilly. Je savais qu'elle raffolait des sucreries, ma blonde, et devant la chocolaterie spécialement décorée pour Noël à Burlington, je n'avais pas pu résister. Sauf qu'entre la fin d'après-midi où je les avais achetés et le début de la journée suivante, je m'étais résolu au fait que je ne pouvais pas cesser de bouder pour seul prétexte d'avoir des chocolats à lui offrir. J'allais perdre toute crédibilité, alors qu'elle ne s'était pas encore rendue compte que je lui faisais la tête, ce qui réduisait à néant mes chances d'être considéré pour une fois. Je décidais donc que la meilleure chose à faire avec ces chocolats était de les offrir à quelqu'un d'autre. Qui de mieux qu'une personne qui rapporterait probablement l'étrangeté de la chose, en l'occurrence moi qui lui offrait des chocolats plusieurs jours avant Noël ? Je ne voyais rien de mieux et c'était ce qui m'avait poussé à cette longue errance jusqu'à chez Nate. « Hey, Nate. » Je souriais comme si je débordais d'enthousiasme et de cette foutue magie des fêtes. « Euh, ok. » Visiblement, j'avais mal choisi mon moment. « Il est sympa cet ami, j'espère ? » J'étais un peu confus par l'empressement du professeur et je haussais les épaules. « Non, j'ai besoin de rien. Je t'apportais des chocolats. » Pourquoi pas, hein ? Je lui tendais la boite cachée derrière un emballage qui ne servait plus à rien maintenant que j'avais vendu la surprise, sans savoir s'il voulait qu'on l'emporte avec nous chez son ami ou s'il préférait la laisser à l'intérieur.

Spoiler:

Sa façon de faire était sans nul doute peu délicate, mais Nate ne s’en souciait aucunement. Il aimait bien Tom, mais il ne se sentait pas non plus contraint à tout faire pour être dans ses bonnes grâces. Une simple amitié, légère, lui suffirait pour que tout se passe au mieux avec Lilly. Et tant mieux s’il gagnait un ami au passage. En espérant qu’il ne lui ressorte pas à nouveau ce discours sur les enfants qu’il trouverait peut-être opportun en apprenant que le professeur n’était plus seul. Bref. Toutes ces pensées ne changeaient rien au fait que Nate devait choisir entre rester pour discuter avec Tom ou aller voir son voisin comme promis. Et pourquoi pas les deux ? Alors il lui proposa de l’accompagner. Alejandro ne serait pas contre, en tout cas le brun croisait les doigts. C’était quand même étrange de débarquer chez son voisin avec un ami sans prévenir de la présence de celui-ci.

La réaction de Tom tranchait avec le sourire qu’il avait arboré en le saluant. En même temps, il fallait avouer que la manière de Nate n’était pas très correcte. Lui imposer ça, comme si c’était tout à fait naturel. « Ouais, tu vas voir. » Il se retint de lui dire qu’il était gay, lui aussi. Comme si ce point commun devait en faire des amis… Pas besoin de lui sortir tous les clichés limite, il avait été déjà assez maladroit lors de leur rencontre qu’il avait cru être un rencard farceur organisé par Lilly. « Je ne fréquente que des personnes sympa de toute façon. » Qu’il lui lâcha dans un grand sourire, de bonne humeur. De trop bonne humeur, en fait. Surtout pour Tom qui ne l’avait jamais vu ainsi. Mais ça sous-entendait aussi qu’il considérait Tom comme une personne sympathique qui méritait son attention, le compliment lui plairait non ? Il avait d’ailleurs l’air d’être légèrement déconcerté par le comportement de Nate mais ce dernier n’y prêta pas attention. Trop dans son idée, son objectif. Rejoindre la maison d’Alejandro. Il se retrouva rapidement en face d’un ami qui lui offrait un cadeau, des chocolats selon son discours. On repasserait pour la surprise, même si Nate ne s’en souciait pas vraiment. « Des chocolats ? Merci ! En quel honneur ? » Il reçut comme remerciement un large sourire un peu surpris. Il n’avait rien à lui offrir en retour, et surtout, pourquoi ? Ils n’étaient pas si proches. Enfin… C’était Tom, le meilleur ami de Lilly… Ils avancèrent jusqu’à la rue avant qu’il pose cette question, boîte en main. « Ça te dérange si je l’emmène ? » Là encore, nouveau message pour lui faire comprendre qu’il ne souhaitait pas se poser chez lui ne serait-ce qu’une petite minute. Mais bon, il ferait un effort si cela le dérangeait vraiment. Nate pouvait être indélicat mais il savait aussi se montrer un minimum sensé. Surtout depuis qu’il avait retrouvé sa joie de vivre.

Je ne m'étais pas encore tout à fait décider à savoir si l'honnêteté de Nate était une bonne chose, qu'il fallait encourager, ou alors quelque chose qui était un tantinet dérangeant. J'étais plutôt du genre à en faire des masses pour éviter les ennuis, mais il m'arrivait aussi de plonger les deux pieds dedans lorsqu'il y avait une donnée trop émotive dans l'équation. En ce moment, j'étais quelque peu apaisé par la présence de Nate. Le professeur n'était pas forcément une personne apaisante en tant que tel, mais j'avais surtout besoin d'un visage amical pour m'aider à chasser les sombres pensées qui tournoyaient sous mon crâne. C'était facile de sourire pour le dissimuler, mais j'avais plus qu'une vague à l'âme. Je ne me sentais pas très bien et ça n'avait rien à voir avec un virus. Je haussais les épaules quand il disait ne fréquenter que des personnes sympas. J'espérais que ce soit vrai, car même si je me fichais un peu de la destination, j'aurais préféré qu'il m'invite à boire un café chez lui. Eh oui, c'était ambitieux pour quelqu'un qui se ramenait complètement à l'improviste, mais Nate était malgré nos rapports plus cordiaux que véritablement amicaux, la seule personne que je pouvais vraiment appelé un ami dans cette ville, en dehors de Lilly et de Sacha. Deux personnes que je n'aurais pas pu appeler aujourd'hui aussi simplement que je l'aurais voulu. Et puis, j'avais emporté des chocolats. En soi, c'était bien une raison suffisante pour s'attendre à un café ? Tant pis pour le café. J'essayais de voir le bon côté des choses et en l’occurrence, c'était qu'il m'avait invité à le suivre chez son ami où nous nous dirigions à pieds. Ça ne devait donc pas être très loin d'ici.

« Aucun honneur, c'est bientôt Noël. » Le sourire qu'affichait Nate faisait plaisir et me donnait envie de faire un effort également. Je lui en renvoyais donc un quand il me demandait si nous pouvions emporter la boite de chocolats. « Pourquoi pas. » Si j'avais pris le temps de choisir cette boite de sucreries pour lui, ce qui n'était pas le cas mais qu'il n'avait pas besoin de savoir, j'aurais probablement mal pris qu'il veuille la partager avec un illustre -mais sympa- inconnu. Pour l'heure, je me fichais bien de qui mangerait ces chocolats, tant qu'ils disparaissaient rapidement de ma vue pour me faire oublier le moment de faiblesse qui m'avait conduit à les acheter. Il ne fallait pas beaucoup de temps pour arriver à destination et je regardais Nate une fois qu'il eut toqué. « Merci de ne pas trouver ça bizarre... J'avais vraiment besoin de voir un visage amical. » J'étais conscient que c'était lui confier une lourde tâche, mais il avait répondu présent à sa manière. Je lui étais reconnaissant pour cela. La porte sur mes derniers mots et, la bouche encore ouverte, je restais figé. Ce visage m'était beaucoup trop familier. « C'est... C'est une blague. » J'interrogeais aussitôt Nate du regard. Il fallait que ce soit une blague, mais une blague du plus mauvais genre. La revanche, elle était supposée être destinée à Lilly, pas à moi. Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça. J'éclatais d'un rire étranglé. « Qu'est-ce que tu fiches ici ? » M'exclamais-je malgré moi à Alejandro Parades. Un nom, un visage, une rupture que je n'avais pas oubliés.

Les vacances de Noël avaient au moins le mérite de mettre Alejandro de bonne humeur. Une bonne humeur liée au fait qu’il pouvait passer du temps avec Nathan, ce qui n’arrivait pas aussi souvent qu’il l’aurait voulu ces derniers temps. L’avocat était occupé, toujours dans un avion ou en train de rédiger une plaidoirie sur le bout de la table de la salle à manger. Les vacances avaient permis  à Alejandro de relativiser, de se dire qu’ils ne faisaient pas tout cela pour rien, qu’ils étaient aussi heureux que possible lorsqu’une semaine de vacances venait alléger leurs emplois du temps chargés.  Mais dans le fond, les commentaires désobligeants de ses proches rendaient les choses plus difficiles sans que ceux-ci ne s’en rendent seulement compte. Tout le monde appréciait beaucoup Nathan, après tout il s’était toujours montré respectueux et agréable avec toute la famille, mais il avait eu l’occasion de constater que le jugement des autres s’était fait une place de choix dans leur vie depuis que l’avocat avait pris la décision d’accepter le poste à New York. Ce qu’ils voyaient c’était les faits, ignorant ainsi tous les efforts de Nathan pour faire fonctionner cette situation compliquée.

Aussi, Alejandro avait pris un soin particulier à réunir son entourage et son mari pendant les fêtes, pour prouver quelque chose sans doute, montrer que tout allait bien entre lui et Nathan, et ce malgré la distance. Il avait donc organisé une petite soirée sans prétention avec quelques amis du voisinage. Apéro dinatoire de rigueur, il avait envoyé Nathan acheter une bouteille en catastrophe, idée brillante avec le recul, vu la surprise qui l’attendait derrière la porte.

Son ex, avec dix ans de plus, un peu plus mignon qu’à l’époque, mais visiblement toujours aussi intense. Alej n’eut pas vraiment le temps de réagir que Tom l’agressait déjà sous le coup de l’émotion. Alej jeta un regard interloqué à Nate puis croisa les bras avec un calme qu’il ne devait qu’à la tonne de sexe dont il avait pu profiter avec les vacances de Noël pour se détendre.

- Ce que je fiche ici ? Attends laisse-moi réfléchir. Je suis chez moi, ça doit être ça l’explication. Content de te revoir aussi Tom. Entrez tous les deux, je vous en prie, on ne va pas faire une scène en plein milieu de la rue si ?

Nate aurait sans doute dû sentir que son acolyte n’était pas au meilleur de sa forme. Lui qui était d’habitude si enjoué et rieur. Enfin, pour ce que le professeur savait, mais il n’en doutait pas un instant puisqu’il s’agissait du meilleur ami de Lilly. Pourtant, le brun faisait sa vie sans se soucier du reste, sans proposer une discussion entre presque amis pour comprendre les véritables raisons qui se cachaient derrière ce cadeau surprenant. Il fonçait, chez son voisin, une bouteille et donc une boîte de chocolats dans les mains, en espérant qu’Alejandro apprécie le geste. Davantage que Nate qui avait dû paraître ingrat face à Tom semblant faire de son mieux pour ne pas s’abattre en pleine rue. Ils auraient l’occasion d’en parler chez le fameux voisin, une présence inconnue l’aiderait peut-être même à se défaire de ses pensées. Sans jugement. Du moins, c’était ce qu’il espérait en l’entendant le remercier de curieuse façon, pour Tom. Nate était sur le point de réagir, enfin, et de lui demander ce qui le tracassait mais la porte s’ouvrit rapidement après avoir toqué. Et le désastre pouvait commencer.

Une blague ? Quoi ? Un regard étrange de la part de Tom, suivi d’un rire tout aussi étrange. Puis c’était au tour d’Alejandro de le regarder d’un air presque décontenancé. On pouvait déjà sentir la tension émerger devant cette porte d’entrée, encore plus après cet échange très cordial. Ironique, bien sûr. Nate, lui, les regardait l’un après l’autre, se demandant dans quoi il avait mis les pieds. Y avait-il possibilité de s’enfuir ? Non. Tant pis. Il répondit à l’invitation de son ami et voisin en s’engouffrant chez lui, ne laissant pas vraiment le choix à Tom de faire de même puis s’interrogea librement. Pourquoi ? Il se le demandait bien, il fallait être fou pour plonger tête baissée là-dedans. « Vous vous connaissez ? » D’accord, ce n’était pas la question à poser. Nate n’avait sans aucun doute nullement envie d’entendre la réponse, de connaître les raisons de cette antipathie qui embrassait l’atmosphère qui aurait dû être légère. Et encore moins d’être présent lorsque l’engueulade éclaterait. « Je t’ai apporté ça, j’espère que c’est une bonne bouteille ! » Pour les chocolats, il valait sans doute mieux les oublier pour que Tom ne saute pas au plafond. Faire comme si de rien n’était, c’était une bonne technique, non ? Apparemment pas. Il avait au moins le mérite d’essayer. Même si c’était purement égoïste, pour éviter d’être témoin de la suite. Mon Dieu, dans quoi venait-il de s’embarquer ?

Oui, d'accord, c'était un argument de taille. Un argument contre lequel je ne pouvais rien opposer qui ne me fasse pas passer pour le dernier des imbéciles. Pourquoi, hein ? Pourquoi est-ce que je devais plonger tête première, encore et encore, dans des situations qui me mettaient tout, sauf à mon avantage ? Sans l'effet -désagréable- de surprise, j'aurais encore pu m'en sortir et ne pas afficher cette tête d'enterrement depuis les trois dernières minutes au moins. Mon regard faisait de lents allers-retours entre l'expression beaucoup trop calme d'Alejandro et le visage de Nate, qui apparemment lui aussi était pris par la surprise. Aide-moi, Nate, aurais-je voulu le supplier. Non pas qu'il pouvait faire quelque chose pour moi dans cette situation, alors que je réalisais petit à petit que ce n'était rien d'autre qu'un coup de ce con de hasard, mais peut-être que si. Nate aurait pu dire : oh, j'ai oublié quelque chose chez moi ! Il aurait pu faire n'importe quoi pour me sortir de cette torpeur embarrassante. « Ouais, tu parles. » Grommelais-je alors que j'arrivais enfin à dire un mot. S'il n'avait pas encore compris que l'on se connaissait, ce n'était pas moi qui allait lui faire le récit de notre historique.

J'aurais pu prendre mes jambes à mon cou et j'aurais très certainement dû. Mais j'avais l'impression d'avoir le bras tordu par Nate qui s'était déjà engouffré dans le repère du diable et moi, pour ma défense, je n'avais pas le temps de réfléchir à mieux. Je l'avais donc suivi en ayant l'impression d'être englouti soudainement pas la nervosité. J'avais envie de faire une scène et je détestais le fait qu'Alejandro me lise si facilement ! Je regardais autour de moi, constatant qu'il était bien installé. Ce n'était donc pas nouveau. « Redwood Hills, vraiment ? » Je plantais un regard assassin sur le maître des lieux. « C'était pas New-York ? » Oups. Comment dévoiler trop rapidement que j'avais peut-être jeter un oeil aux réseaux sociaux une fois ici et là au fil des années ? Je n'étais pas obsédé par lui, j'avais même décidé que je ne voulais rien avoir à faire avec un homme comme lui. Mais il m'avait brisé le coeur... Pour aller à New-York ! Je m'en faisais probablement pour rien, il ne pourrait pas deviner si facilement que je savais qu'il avait épousé un riche avocat. Cet homme vivait-il donc ici ? Allais-je devoir saluer le mari de mon premier petit ami ? J'avais la nausée. « Ça ne me fait pas du tout plaisir à moi. » Je doutais de toute façon que ça lui en fasse de me voir. Cette réplique était plutôt destinée à Nate, le traitre du jour. Même si ce n'était pas de sa faute, mon esprit embrumé et complètement paralysé par la déconcertante ironie de toute l'histoire, ne pouvait fomenter le moindre plan susceptible de me sauver la face. Une broutille et j'allais m'énerver. Je le savais, je le sentais. Je pouvais exploser à tout instant, mes nerfs étaient à vif plus que jamais, et j'ignorais complètement de quoi cela aurait l'air. Qu'est-ce qu'on faisait là au juste ? Allait-il oser lui donner mes chocolats ?!

Si ils se connaissent ?  Légèrement oui...  C’est d’ailleurs étrange de voir Tom sur le pas de sa porte après tant d’années sans se côtoyer. Alej n’a gardé aucune rancœur, peut-être même un bon souvenir de cette relation lorsqu’il y pense. Et si il n’était pas à mille lieues de s’imaginer que Tom ait pu avoir le coeur brisé par une simple amourette de vacances, alors il comprendrait certainement la colère qui déforme de les traits de son ex petit ami. Seulement pour lui tout cela est enterré depuis des années. Il faut dire que contrairement à Tom il a eu de plus gros problèmes à gérer avec les années, l’élection de Donald Trump, l’incapacité de voyager en dehors du territoire américain, les visites incessantes de l’immigration…Et ne parlons même pas de la difficulté à trouver du travail sans green card. Assez naturellement les First World Problems de Tom lui passent donc totalement au dessus et il lui est bien difficile de s’imaginer qu’ils puissent même avoir un semblant de pertinence dans la situation. Il hausse donc une épaule, en reportant son attention sur Nate qui est bien le seul à se montrer agréable malgré sa charmante hospitalité. Il s’empare de la bouteille et le remercie avec la politesse qui s’impose. Le pauvre Nate n’a pas demandé grand-chose et le voilà qui se retrouve dans une situation qui n’a rien de confortable.

- Du lycée, on est sortis vaguement ensemble avant que je déménage pour étudier à NY

Désinvolture qui doit sûrement agacer Tom, encore une fois Alejandro ne se rappelle pas leur relation avec la même intensité ce qui explique en grande partie son manque certain de tact. Une question de perception qui lui coûtera cher... Alors qu’il se prend une remarque désobligeante, il réalise que Tom ne voit décidément pas les choses de la même manière. Oops ?

- J’ai emménagé ici il y a presque sept ans, tes sources ne sont pas très à jour.

Alej tente une plaisanterie, mais le malaise est palpable.

- Enfin ravi de constater que tu es toujours aussi franc, c’est une qualité d’après ce qu’on dit. Calme toi un peu cela dit tu veux, tu vas mettre Nate mal à l’aise et on ne va quand même pas faire tout un plat de quelque chose qui s’est passé il y a près de quinze ans.

Alejandro envoie toutefois un message à Nathan pour agrandir la liste de courses. Ce n’est probablement pas le meilleur moment pour son mari de rentrer à la maison.

Vous vous connaissez ? Vraiment, Nate ? Tu n’avais pas trouvé mieux pour désamorcer la bombe qui menaçait à tout moment de lui exploser en pleine figure ? Non ? Il s’était engouffré dans cette situation complexe tout en entrant chez son voisin. La réponse de Tom lui faisait craindre le pire et commençait à lui faire regretter son choix. Pourquoi ne pas avoir tout simplement tourné les talons en disant qu’il repasserait plus tard ? A la place, le meilleur ami de Lilly continua à être des plus agréable et Nate essayait de garder la face pour ne pas rendre la situation encore plus gênante. Le sourire était moins franc, mais il était encore là pour tenter de sauver les meubles. Alors comme ça ils étaient sortis ensemble ? Rien de sérieux pour Alejandro apparemment, mais il doutait que Tom ait la même opinion sur leur romance. Ça se voyait à sa tête. Nate jeta un coup d’oeil à la porte d’entrée en se demandant s’il aurait le temps de s’enfuir avant que le graphiste n’ait le temps de réagir. Heureusement qu’Alejandro semblait vouloir apaiser les choses en ne s’enflammant pas, ce qu’il aurait été en droit de faire avec Nate qui ramenait un ex chez lui.

Léger problème. Sa dernière réplique n’apporterait en rien la paix dans cette atmosphère de plus en plus lourde. Surtout lorsqu’Alejandro évoqua la position délicate de Nate. Il avait raison, totalement, mais ce dernier savait très bien que ça n’empêcherait pas à l’autre partie de mal réagir. Il le comprenait au fond, il aurait été bien hypocrite d’assurer le contraire vu son comportement avec son frère et son ex mais… Là, il se retrouvait témoin extérieur et totalement innocent. A part d’avoir créer cette rencontre qu’il aurait mieux valu éviter. Mais pour le reste, il n’y était pour rien (pour une fois) même si cette satisfaction n’arrangeait aucunement la situation. Il décida donc de ne plus jouer à l’aveugle et se risqua à proposer une alternative à l’orage qui ne demandait qu’à inonder la maison de son voisin. « Je peux toujours repasser à un autre moment, ça me dérange pas... » Ou tu aurais pu y penser avant de jouer à l’insouciant qui pouvait tout gérer. Nate commençait à ne plus savoir où se mettre. S’installer dans le canapé comme si tout allait bien ? Rester planté comme un imbécile ? L’universitaire choisit la dernière, gardant la boîte de chocolats dans la main sans savoir qu’en faire. Et surtout, ne pas la donner à Alejandro.

J'étais tout simplement interloqué par la désinvolture qu'il crachait à l'instant. Se moquait-il de moi ? J'avais la tête qui bourdonnait, impossible de réfléchir calmement ou clairement. Vaguement... Est-ce que cela voulait simplement dire quoi que ce soit ? Je clignais des yeux, enfin aussi bien dire que je ne faisais rien de particulier pendant quelques secondes où je tentais de digérer sa remarque pour le bien de nous tous. J'ignorais dans quoi je venais de me foutre les pieds. Était-ce une soirée entre amis, un déjeuner en tête-à-tête entre Nate et Alejandro... Sans compter que je craignais encore de voir surgir cet avocat que j'avais aperçu sur des photos, celles de leur mariage notamment. Oh oui, j'étais de ce genre. La curiosité ne coûtait rien, sauf en cet instant où elle me coûtait assurément ma dignité. J'éprouvais un fin mélange de honte et de colère, et c'était décidément la deuxième qui remportait le concours de l'émotion qui allait me pousser à dire ou à faire quelque chose. « Ah non, mais ce qu'il ne dit pas... » Je m'adressais à Nate. Bien sûr, que je m'adressais à lui. Parce qu'il n'avait rien demandé. Parce que dans l'histoire, c'était mon seul ami. Ça non plus, il ne l'avait pas demandé, je m'en rendais compte à l'instant et ça me mettait encore plus en colère parce que j'étais affreusement mal à l'aise et que j'aurais mieux fait de rester chez moi à broyer du noir plutôt que de penser qu'un ami saurait me remonter le moral. Grossière erreur ! La première d'une longue série.

« ...C'est qu'il s'est barré comme une fleur en ne pensant qu'à lui, oh et en clamant haut et fort que les mecs en mon genre ça ne l'intéressent pas après avoir passé tout un été à ne pas s'y intéresser. » J'étais étrangement calme. Ce calme tomiesque que trop de gens connaissaient si bien et qui ne signifiait qu'une chose : j'étais sur le point d'exploser. « Pour en épouser un quelques années plus tard, of course. » Tais-toi, Tom. Il y avait bien cette petite voix dans ma tête qui l'exigeait en vain. « Ah, et maintenant tu veux t'en aller ? » Ça ne pouvait pas être vrai, Nate ne pouvait pas suggérer de me laisser seul avec Alejandro, qui n'avait pas plus envie de me voir que je n'étais heureux d'être dans le repère du loup. Est-ce que tout le monde avait perdu le moindre sens commun ? « Ça aurait pu se passer il y a trois mille ans que ça resterait bas, même pour toi. Et que ça m'a fait mal si jamais ça t'intéresse... Mais tu sais quoi ? J'en doute. » J'avais la nausée. Tout ce que je voulais, c'était rentrer chez moi. « C'est moi qui s'en vais. » Je regardais Nate une seconde, je n'avais pas le courage de le regarder plus longuement dans mon état que je savais pitoyable. « T'avises pas de lui donner mes chocolats. » J'étais un peu confus, mais je ravalais cette infinie rancoeur qui menaçait de s'étendre dans toute la pièce comme de la lave bouillante pour faire quelques pas chancelants vers la porte d'entrée. Je me sentais doublement trahi et vaincu, et je n'allais pas rester une seconde de plus. « Joyeux Noël ! Bonne année ! ... Bonne vie ! » Mon dieu, j'avais vraiment dit ça ? C'était tout bonnement hors de contrôle.